Fyctia

Je sais parfaitement où elles sont. SUR LE COMPTOIR DU CINÉMA. Je soupire d’exaspération. J’ai voulu faire une sortie théâtrale et au lieu de ça, je vais faire une entrée la queue entre les jambes.

Merde, merde, merde ! Bon après tout, je pourrais envisager de rentrer à pied. Mais même si on est loin du froid polaire et que l’hiver à Marseille est plutôt doux en comparaison, je n’ai absolument aucune envie de passer vingt minutes à marcher dans le froid. Ou alors, je pourrais attendre encore dix minutes, histoire d’être sûre qu’il soit enfin retourné s’assoir sagement à sa place et en profiter pour récupérer mes clés. Mais bon, le problème reste le même, je vais quand même attendre dans le froid. C’est fou comme cet homme que je ne connais pas me met dans des situations bien trop compliquées. Et je déteste perdre le contrôle.

Depuis Quentin, j’ai besoin de conserver ce contrôle. Sur mes émotions et sur ce que me font ressentir les autres. Jusqu’à présent, c’était plutôt facile vu que personne ne pouvait se vanter d’avoir fait basculer mon être tout entier. Alors, oui, j’ai eu quelques relations. Mais le but était plus de s’amuser et de prendre du bon temps que de construire quelque chose de réel. Mais lui, c’est différent. Je n’ai pas la prétention de dire qu’il se passe quelque chose entre nous. Surtout quand on prend en considération sa situation. Mais je ne peux pas nier que depuis hier, mes sentiments sont totalement chamboulés. Et ça me déplaît au plus haut point. Il me fait ressentir un mélange explosif de sensations, ça me rend désabusée, maladroite, stressée et vivante. Et ce constat m’effraie.

Malheureusement, je n’ai pas d’autres options que de retourner à l’intérieur de l’établissement pour récupérer mes clés et enfin foutre le camp d’ici.

Trainant encore plus des pieds, j’y retourne, passe la porte et la surprise ! Monsieur Je Me Permets Absolument tout ce que je Veux est accoudé au comptoir et semble en grande conversation avec Morgane. Je la connais, elle rit, passe la main dans ses cheveux et met en avant son 90 D. Tout dans son attitude indique qu’elle vient d’entamer sa parade de séduction. Telle un paon, elle sort ses atouts afin de séduire son partenaire. Je ne suis pas jalouse, non. Mais quand même, je pense que si on était dans le monde animal, je la boufferais. Rapidement et entièrement.

Mon envie de passer inaperçue est un échec total lorsque la grande porte claque derrière moi, les faisant stopper immédiatement leurs clins d’œil langoureux.

Beurk, c’est écœurant !

Je m’avance vers le comptoir et un silence religieux règne. Monsieur Je Saute Sur Tout Ce qui Bouge se redresse tel un prédateur prêt à attaquer sa nouvelle proie. Et bah, il ne perd pas une seconde le garçon. Une dans la salle, une au comptoir et une en approche. Il est prêt à attaquer sur tous les fronts. Ridicule. Toujours en silence, mais sans cesser de leur lancer à tour de rôle, un regard désapprobateur, je récupère les clés sur le comptoir et effectue une magnifique et délicate pirouette pour opérer un demi-tour grandiose.

J’entends vaguement Monsieur Prédateur Sauvage s’excuser auprès de Morgane. Je le sens se rapprocher de moi. Lassée par ce petit jeu, je ne me retourne pas. Je m’apprête à tirer la porte de sortie lorsqu’une large main se pose dessus, m’empêchant de poursuivre mon geste. Toujours dos à lui, je ne peux empêcher mon corps, ce traître, de frissonner. Son corps n’est qu’à quelques centimètres du mien. Sa voix me paraît tellement proche, pourtant, je peux voir dans le reflet de la porte vitrée, qu’il ne s’est pas baissé pour me parler. Sa voix résonne en moi lorsqu’il me dit :

— Je suis désolé de vous avoir brusquée tout à l’heure, c’était parfaitement mal venu de ma part. Soyez certaine que je n’essayais pas de vous faire peur. C’est probablement l’impression que cela donnait mais je peux vous garantir que ce n’était pas mon intention. En revanche, je ne m’excuserai pas d’être tombé sur vous aujourd’hui. Je pensais ce que j'ai dit tout à l’heure. Je pense à vous depuis hier et de bien des manières. Alors peut-être que j’ai été trop insistant et je m’en excuse. Mais j’aime être honnête envers les autres. Tout comme j’espère qu’ils le seraient avec moi souffle-t-il.

Sa voix n’est plus qu’un murmure. Un délicieux et sensuel murmure. Bon sang, ce que c’est sexy.

Il reprend donc :

— J’espère sincèrement que j’aurai l’occasion de vous croiser à nouveau, mais je vous garantis que cette fois, je vous laisserai tranquille. Vous avez été parfaitement clair. Mais au cas où, je préfère dissiper tout doute. La femme qui m’accompagne n’est pas mon épouse. C’est ma sœur. Et je n’essayais pas de séduire votre collègue. Même si je ne peux pas en dire autant pour elle. Ah et aussi ! Je m’appelle Alexis. Sait-on jamais, si le destin nous réunit à nouveau et si cette information vous intéresse, vous pourrez peut-être en avoir besoin. Sur ce, je vous souhaite une très bonne soirée, Liana…

Sur ces mots, je vois dans le reflet qu’il s’éloigne de moi.

Il doit bien se passer une minute avant que je ne réalise ce qui vient d’être dit et que je me précipite pour ouvrir la porte et rejoindre mon véhicule. Ce n’est qu’une fois assise dans celui-ci, que je m’autorise enfin à respirer. Tout se mélange dans ma tête. Et tout s’embrouille. Ce n’est pas sa femme, c’est sa sœur ? Il espère me revoir ? IL A PENSÉ À MOI DE BIEN DES MANIÈRES ? Et cette manière de prononcer mon prénom… Hormis entre ses lèvres, mon prénom ne m’a jamais paru aussi érotique. Prise d’une bouffée de chaleur, je mets le contact, ouvre la fenêtre et prend la route vers mon appartement en mode automatique, trop concentrée sur les paroles qui ont été prononcées.

Bon sang… Dans quoi ai-je été embarquée ?