Fyctia
Chapitre 2 : Mélanie 📝
La journée a défilé à une vitesse folle. Le dernier cours est arrivé comme une bénédiction. Dehors, le soleil entame déjà sa course. Assise sur une chaise aussi bancale que mon avenir, je lutte contre les pensées intrusives qui me déconcentrent de l’exposé. Désolée Bernard Golse, désolée André Green, la psychanalyse des enfants m’intéresse peu en comparaison des reviviscences du cours de madame Freiberg.
— Très bien les filles ! résonne la voix du chargé de TD. Des questions ?
Quelques mains se lèvent. Shana et Lucie, les deux étudiantes qui exposaient, se dépatouillent comme elles peuvent. Peu intéressant, ça aussi. Non, étudier les enfants n’est pas plus facile qu’étudier les adultes. Oui, selon Green, chercher chez l’enfant l’origine d’un problème de l’adulte revient à chercher un problème qui n’est pas encore arrivé. Non, sans vision d’ensemble nous ne pouvons pas savoir ce que l’on cherche. Et bla-bla-bla. Les mots se mélangent dans ma tête. Je retourne loin, très loin. Je griffonne sur ma feuille des formes sans sens. Ou peut-être qu’elles ont du sens si je regarde de plus près.
— Mademoiselle Kinel ?
Oui, là si je repasse sur les traits ça peut ressembler à un corps.
— Mademoiselle Kinel ?
Là, ce sont les bras. Là, la tête un peu plus loin. Effrayant.
— Mélanie Kinel ?
Un coup de coude me fait dépasser. Je grimace. Quoi encore ?! Sofia me dévisage, les yeux écarquillés. Elle me montre le tableau du menton. Je relève le nez pour constater que le chargé de TD me fixe. Non. Pas moi. Ma feuille. Ma feuille noircie par des dessins sans queue ni tête. Si, il y a une tête, elle est juste plus loin. Toujours effrayant.
— Mademoiselle Kinel, un peu d’attention s’il vous plaît.
— Je… Oui. Pardon.
Je déglutis difficilement et range ma feuille avant d’en sortir une nouvelle. Je m’efforce de prendre des notes lisibles durant le reste du cours. Lorsqu’il se termine, je fais signe à Sofia de m’attendre et me dirige vers le professeur. Monsieur Gomez a toujours été très gentil, je me sens mal d’avoir pu le décevoir.
— Est-ce que je peux vous parler ?
Je bégaye, les joues brûlantes. Il ne me regarde pas. Pourquoi est-ce qu’il ne me regarde pas ? Me déteste-t-il ?
— Je suis désolé mademoiselle, mais je suis très pressé.
— Oh.
Son visage basané se tourne enfin dans ma direction. Un sourire un peu tordu déforme sa bouche. Il a l’air fatigué. Est-ce moi qui le fatigue ? Possible.
— Écoutez Mélanie, je ne sais pas ce que vous traversez ni pourquoi vous êtes aussi distraite. Ce que je sais en revanche, c’est que vous êtes une étudiante prometteuse et ça m’ennuierait de devoir vous reprendre à nouveau.
— Je vois, oui.
Il soupire et regarde sa montre.
— Je serai à mon bureau demain. Vous n’aurez qu’à passer et nous pourrons discuter.
— D’accord. Merci.
Il quitte la salle. Je rejoins Sofia dont le regard semble me scruter.
Je me retiens de pleurer en sortant du bureau de monsieur Gomez. Non pas qu’il ai été horrible avec moi, au contraire. Mais la conversation que nous avons eue me bouleverse. Évoquer ce que j’ai traversé à la fin de l’année dernière est difficile. Son oreille attentive m’a néanmoins fait du bien. Je marche vers la sortie lorsqu’une voix familière m’arrête nette. Curieuse, je rebrousse chemin. Et me dirige vers la source du bruit. Au détour du couloir, je tombe sur un homme de dos. Il est en pleine conversation avec elle. Ana. Ana Freiberg. Professeure Ana Freiberg. Non. Pas en pleine conversation. En pleine dispute. Cachée derrière le mur, j’écoute.
— Mais pourquoi Ana ? Ça fait quand même un moment qu’on est ensemble.
— Nous ne sommes pas ensemble, Joanic.
Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi cet homme se permet-il d’être aussi désagréable avec elle ? Lui, le petit chargé de TD qui attend encore de valider sa thèse. Elle, qui est tant reconnue. Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça du tout.
— On couche ensemble, on mange ensemble, on…
— Oui, et c’est très bien comme ça. Je ne sais pourquoi tu attends plus de moi alors que j’ai été claire dès le départ.
— C’est à cause des fleurs ?
Oh. Voilà qui devient intéressant.
— Comment ça ?
— Tu vois d’autres gens, pas vrai ? C’est pour ça que tu ne veux pas qu’on officialise ! Ça te mettrait mal avec tes autres amants.
— Tu es ridicule, Joanic. Ta crise de jalousie est ridicule. Maintenant, si tu permets, je dois y aller. Je te conseille de réfléchir à ton comportement, ce sera mon dernier avertissement.
— Sinon quoi Ana ?
Le ton de l’homme monte. Il fulmine.
— Tu ne préfères pas le savoir.
Le bruit de talons résonne de l’autre côté du couloir. Quelqu’un vient. Les voix cessent de parler.
23 commentaires
Alsid Kaluende
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Il y a 7 jours
Syllogisme
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Il y a 2 mois
Mikazolinar
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Il y a 2 mois
Lullolaby
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Il y a 2 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 mois
Mikazolinar
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Il y a 2 mois