Fyctia
1er Décembre 2024 - Partie 4
J’abandonne toute résistance et me laisse guider par mon amie jusqu’à sa voiture. Elle déverrouille les portes et s’installe derrière le volant sans me quitter des yeux. J’hésite presque à retourner sur nos pas et interpeler l’inconnu pour lui demander des comptes. A la place, je me glisse sur le siège passager. Je ne sais même pas ce que je lui aurais dit. Est-ce que je n’aurais pas justement attisé davantage ses envies de vengeance au nom de son ami ?
Lise prend une grande inspiration, démarre et se lance en même temps que nous sortons du parking, sans un regarde vers moi.
— Tu m’en veux de ne pas t’avoir prévenue pour Jérémy ?
Je prends le temps de réfléchir à sa question. Est-ce que j’aurais aimé savoir que mon violeur, contre qui je n’ai jamais eu le courage de porter plainte, était à quelques mètres seulement de moi ? Peut-être. Est-ce que j’aurais fui l’évènement et laissé Lise seule ? C’est une possibilité. Est-ce que je serais en train de me morfondre chez moi pour avoir abandonné mon amie, en me blâmant de ne pas avoir été capable de mettre un terme aux agissements d’un porc comme lui ? Evidemment.
— Non.
Je n’ai pas l’énergie de formuler quelque chose de plus fourni. En même temps, je ne pense pas avoir besoin de développer ma réponse non plus. C'est simple et plutôt clair. Je sens la tension qui émane de Lise envahir l'habitacle. Elle culpabilise de n’avoir rien dit et elle va certainement s’en vouloir un moment encore. Quoi que je dise, son cerveau est passé en mode auto-flagellation. Je l’entends d’ici lui seriner qu’elle n’est pas une bonne amie, qu’elle aurait dû veiller sur moi davantage, me pousser à porter plainte à l’époque au lieu de passer des soirées entières à m’écouter pleurer. Je caresse son bras pour la rassurer. Elle est la meilleure amie que je puisse avoir. Je sais que je peux compter sur elle dans les bons comme les mauvais moments, en dépit de ses remarques acerbes et sa mauvaise humeur récurrente.
— Tu as veillé sur moi, Lise. Je ne peux pas t’en vouloir. Et puis, tu avais quelque chose de plus important à faire aujourd’hui. Tu aurais pu ne pas le remarquer, trop concentrée sur ton propre stress.
— Je n’étais pas stressée…
Je ris, sincèrement, devant son air renfrogné. Bien sûr qu’elle était stressée. C’était sa première lecture en public. Elle exposait devant des inconnus ce qui s’apparente le plus à un bébé, pour elle. L’angoisse des réactions, des remarques, est tout à fait humain. Elle m’adresse un regard noir avant de se concentrer sur son créneau. Nous sommes arrivées devant le bar de Lucas, le QG de toutes nos soirées et désormais de nos dimanches midis, aussi.
Lise déverrouille la porte d'entrée avec la clé. Le dimanche, le bar n’ouvre pas avant seize heures. Cela permet à Lucas et Maurine, son employée, d’avoir du temps pour eux. En fin d’après-midi, l’établissement va se remplir de fans de sport en tous genres. C’est généralement le signal pour quitter notre table et rentrer chez nous.
Je retire mon manteau et relève la tête en me sentant observée. Antoine, Caroline et Lucas sont au comptoir. Les amoureux sont assis sur les tabourets, face à Lucas qui se tient derrière le bar, comme à son habitude. Tous les trois nous regardent fixement. Non, me regardent fixement. Je me tourne vers Lise en pointant un doigt accusateur dans sa direction.
— Tu les as prévenus ?
Ce n’est même pas une vraie question. C’est évident qu’elle les a prévenus, sinon pourquoi est-ce qu’ils seraient tous présents alors qu’il n’est même pas encore midi ? Lise prend un air innocent et rejoint Lucas. Il lui tend un mug de chocolat chaud et dépose le mien devant le tabouret vide. Je soupire.
— A quel moment est-ce qu’elle t’a prévenu exactement ?
— Pendant que tu t’installais dans la voiture, certainement. Elle envoie un texto plus vite que son ombre, tu devrais le savoir.
Je n’ai pas le temps de réagir, que notre ami Antoine demande :
— Bon, alors, il est comment ce type qui te suit ?
Et voilà Papa Ours. Si Lise est sauvage comme une louve avec ses petits, Antoine sait se montrer protecteur s’il le faut. Je vois dans son regard la même inquiétude que le soir du Nouvel An, quand Jérémy a tenté de me forcer, à nouveau.
Caroline lui caresse discrètement la cuisse pour l’apaiser et je me sens de trop. Une nouvelle fois, je suis dans le rôle de la fille volage qui génère de l’inquiétude dans le groupe et empêchent ses amis de profiter de leur bonheur. Je dois être sacrément jalouse, inconsciemment, pour vouloir saccager leur petit nuage.
Comme je ne réponds pas, c’est Lise qui se charge de la description physique. Qu’est-ce que j’aurais pu dire ? Ses yeux mon envoutée au point d’avoir envie de m’y noyer en dépit du danger que le froid polaire renvoyait ? C’est à peu près tout ce que mon cerveau a retenu de cet homme dont j’aurais dû me méfier. Je sens la honte me monter aux joues, alors je porte le mug brûlant à mes lèvres pour la masquer. La douceur du chocolat tapisse mon palais, enveloppe ma langue et apaise mon cœur. Je n’entends plus vraiment ce qui se dit autour de moi, savourant ce moment, jusqu’à ce que Caroline intervienne.
— Je ne suis pas sûre, il faudrait que je vois une photo, mais je pense que c’est l’homme que j’ai vu ici l’autre soir. Quand je suis arrivée avant vous. Il surveillait la porte d’entrée sans arrêt, ça m’a interpelée.
Mon corps entier se fige. Je suis spectatrice de l’échange, incapable de parler. J'ai envie de rester dans ma bulle, m'isoler de cette réalité qui, je le sais déjà, ne va pas me plaire. Lise sort son téléphone pour montrer une photo à Caroline, qui plisse les yeux avant d’acquiescer. Elle est plus efficace qu'un agent du FBI quand elle veut. Je ne sais même pas à quel moment de la matinée elle a pu trouver le moyen de prendre une photo. Lucas attrape le téléphone des mains de sa copine et fronce les sourcils. Il n’y a qu’Antoine qui reste stoïque. Je ne sais pas à quoi il pense, mais je l’ai rarement vu aussi sérieux.
Finalement, les mots franchissent mes lèvres sans réellement en avoir conscience. Ma voix n’est qu’un murmure, comme si je me posais la question à moi-même.
— Alors il me suit ?
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Tatiana Le Maître
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Il y a 9 jours
Soäl
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Il y a 10 jours
Origami
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Debbie Chapiro
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petites.plumes
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Sarael
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Il y a 21 jours