Fyctia
1er Décembre 2024 - Partie 1
La musique de Noël grésille dans les enceintes de la salle des fêtes, massacrant allègrement les chansons qui s'enchaînent, mais je chantonne malgré tout les paroles. Mon amie, Lise, m’a assez souvent torturée à coup de Wham! pour que je connaisse par cœur Last Christmas. Je n’ai jamais compris pourquoi elle aimait tellement une chanson qui parle d’amour perdu alors qu’elle repoussait tout ce qui pouvait un tant soit peu s’approcher d’une relation, en dehors de notre groupe. Si je suis ici aussi tôt un dimanche matin, c’est pour la soutenir. Il n’y a qu’elle qui soit capable de me tirer du lit avant dix heures le week-end.
J’ai toujours été happée par cette ambiance cliché des fêtes de fin d’année. C’est l’excuse parfaite pour courir les magasins pendant des heures à la recherche du cadeau qui correspondra à chacun de nos proches. En réalité, c’est la meilleure raison pour savourer chaque sablé, chaque sucrerie, mis à disposition des clients pour déguster un petit bout de la magie de Noël. Ma tenue pour le Réveillon de Noël est déjà choisie depuis des semaines, j'ai donc tout mon temps pour les dégustations. Pour le vingt-cinq décembre, ma mère se charge toujours de nous trouver un assortiment de pull de Noël sur un thème bien précis, que nous devons porter toute la journée. C’est bien la seule fois de l’année où je me soucis aussi peu de mon apparence. Je laisse ma mère profiter de ce semblant d’unité avant que nous repartions tous chacun de notre côté, jusqu’à la prochaine fête familiale.
Je regarde les stands autour de nous. Sablés. Pain d’épice. Oreillettes. Bûches. Nougats. Chocolat. Tous ces produits me mettent l’eau à la bouche rien que d’y penser. Je n’ai malheureusement pas les compétences en cuisine nécessaire, mais j’aurais pu faire de la dégustation mon métier, si j’avais voulu. Mes amis n’en reviennent toujours pas de ma capacité à dévorer tout ce qui me fait envie, sans la moindre culpabilité ni conséquence sur la balance.
Malgré tous les clichés véhiculés par la musique trop forte et les guirlandes rouges et vertes qui serpentent au plafond, je suis transportée dans cet univers féérique. C’est la période idéale pour se laisser bercer par l’illusion que tout va bien et que la seule problématique à l’horizon peut s'estomper en même temps que l’ouverture du calendrier de l’Avent. Je me fige au milieu de l’allée, devant un stand de marrons glacés et de fondants colorés.
— Il faut que je trouve un calendrier !
A côté de moi, Lise ronchonne en laissant glisser son regard sur les différentes rangées de tables. Depuis que je la connais, je ne l’ai jamais vue s’enthousiasmer pour une fête, quelle qu’elle soit. Le marché de Noël est pour elle une corvée, pourtant nécessaire. Elle vient de se lancer dans l’écriture de livres pour enfants et a été invitée à en faire la lecture ce matin.
Je lui adresse un clin d’œil complice.
Elle m’a appelée en panique, il y a dix jours, pour m’annoncer qu’une des organisatrices l’avait contactée pour lui proposer de faire découvrir son histoire aux enfants et leurs parents. Officieusement, elle est ici pour faire patienter tout ce petit monde jusqu’à l’arrivée du bonhomme en rouge, mais c’est une opportunité qu’elle ne peut pas se permettre de refuser. Je sais que dévoiler son travail ainsi la rend nerveuse, c’est pour cette raison que j’ai proposé de l’accompagner. J’aurais été auprès d’elle, même s’il avait fallu se lever à six heures du matin. Heureusement pour moi, le marché de Noël se déroule seulement à deux rues du bar de Lucas. J’ai pu négocier un chocolat chaud au passage, pendant qu’il était plongé dans la comptabilité et que Lise se rongeait les ongles nerveusement.
— Sérieusement, Tina, tu vas déjà m’abandonner à mon sort ?
Son air dépité me fait rire mais je me retiens en pinçant mes lèvres. Je vois dans son regard l’angoisse que cette situation fait naître en elle. Nous avons tous lu son histoire, dans le groupe. A chaque étape de sa création, de l’écriture à la vingtième relecture. Je peux encore réciter par cœur le résumé tant nous l’avons tourné et retourné dans tous les sens pour trouver la formulation la plus fluide possible. Je n’oserai jamais lui dire que j’ai fini par faire des cauchemars de ce pingouin malheureux. Elle a besoin d’être encouragée et soutenue, pas de s’effondrer à cause d’une mauvaise blague.
— Mais non, Lise. Je ne bougerai pas tant que le Père Noël n’aura pas montré le bout de son nez, promis. Par contre, s’il est sexy je ne peux rien te promettre.
Je joue des sourcils pour appuyer mes propos et elle secoue la tête en souriant. Depuis qu’elle est avec Lucas, elle accepte plus facilement de lâcher prise, mais ses vieux démons ont encore la peau dure et persistent à la tourmenter dans les moments de tension, comme aujourd’hui. Je passe mon bras autour de ses épaules et lui plaque un bisou sur la joue. Mon rouge à lèvre rouge, assorti à ma robe pull, laisse une légère trace qui me fait rire. Je reprends, d’une voix solennelle :
— Je te promets de rester à tes côtés, Lise. Si tu lèves les yeux pendant ta lecture, tu me verras en train de te soutenir.
Ses yeux brillent, mais elle détourne le regard vers un groupe d’enfant un peu plus loin. Je la sens prendre une profonde inspiration et relever la tête. Elle se prépare à affronter le public le plus difficile à convaincre. Je m’approche de son oreille et lui murmure d’une voix suave :
— Si tu réussis ton coup, je t’offre un cornet de marrons grillés pour fêter ça.
Elle hoche la tête en silence, un sourire en coin se dessinant sur son visage.
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Soäl
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