Fyctia
1.2 Débuts chaotiques
Niels, contrarié, ferme brutalement la portière, récoltant un regard courroucé en retour tandis que Jacob frémit à cause du froid qui s’est invité dans l’habitacle.
— Scus’… marmonne-t-il en levant les yeux au ciel, tout en bouclant sa ceinture.
— OK, OK… cède-t-elle en retirant le frein à main. T’as quoi comme cours aujourd’hui ? Tu finis à quelle heure ? T’essaieras d’te faire des amis, hein ‽ C’soir, tu m’diras quoi !
— Respire m’man, j’vais pas m’échapper pendant qu’tu roules ! Pour répondre : j’en sais rien, j’en sais rien, on verra, oui j’te dirai quoi ! Ça t’va, ça ‽
— Non mais bon… T’en as vraiment rien à fout’ de tout, en c’moment. Ça va t’y don’ pas dans ta vie ? Qu’est-c’qui s’passe ? T’veux m’en causer un coup ?
— On en a d’jà moulte dit, m’man… Malgré qu’tout l’monde pense qu’j’ai déraillé, j’ai bien agi. J’aurais pas dû êt’ viré d’la sorte, t’sais ! Tout va bien dans ma vie. ’fin, c’est pas comme si qu’j’avais niqué ta carrière d’prof mais bon, sinon ça va, juré craché !
Pour couper court à cette conversation qui l’irrite profondément, Niels s’enfonce dans son siège, pose ses pieds répugnants de boue sur le tableau de bord et insère ses écouteurs dans ses oreilles, le volume au maximum. L’air renfrogné, sa mère lui tape le genou pour qu’il retire ses pieds, mais il refuge de bouger. Les lèvres pincées, furieuse, elle se concentre plus que de coutume sur sa conduite, les doigts serrés sur le volant, se retenant de lui hurler dessus de se tenir correctement et de la respecter.
— J’te dirai l’reste, t‘vas voir ‽ ronchonne-t-elle tout de même pour elle-même avant de se murer dans le silence pour le reste du trajet.
Lorsqu’elle arrête le moteur, Niels se précipite hors du véhicule sans lui laisser la moindre chance de lui souhaiter une bonne journée et de l’embrasser : il ne faut jamais se quitter fâchés, c’est très important pour elle, car on ne sait jamais ce qu’il peut advenir.
Les sourcils froncés, elle salue distraitement de la main son petit dernier qui lui souhaite une bonne journée dans un murmure effacé, elle ouvre son vieux téléphone à clapet bleu nuit et, après avoir regardé l’heure, prend le temps de rédiger le SMS suivant :
Alors qu’il sent son iPhone vibrer à l’arrivée du message, Niels soupire et lève les yeux au ciel. Il ne prend même pas la peine de le sortir de la poche de son short. Quelques secondes, il reste figé devant l’imposant édifice crépi de rose pâle. Il a trois marches et une lourde porte de fer forgé à franchir pour devenir officiellement élève. Un bref instant, il ferme les yeux. Il passe l’entrée avec un petit pincement au cœur en pensant à ses amis et une boule se forme au creux de son estomac : malgré le nombre considérable de fois où il a dû déménager et changer d’établissement, il ressent toujours la pression d’être le petit nouveau qui débarque en cours d’année.
Il se retrouve dans un large couloir du bâtiment administratif, bondé d’élèves et de professeurs. Le brouhaha des conversations l’insupporte et, à peine a-t-il retiré ses écouteurs qu’il les replace immédiatement dans ses oreilles.
Le pas lourd et traînant, il avance d’une vingtaine de mètres et, de nouveau, la pluie battante colle sa mèche rebelle à son front. Il est dans la cour des lycéens, désormais. Autour de lui, il n’y a que des portes marron et des murs de pierre noire. Avec un sourire nostalgique, il se dit qu’au fond, tous les établissements scolaires sont les mêmes : des enchevêtrements de couloirs, d’escaliers et de portes, et pour point central une grande cour intérieure divisée, quand nécessaire, en vue de séparer collégiens et lycéens. Certes, il n’en avait jamais connu d’aussi grands que celui-ci, mais à quoi bon paniquer ? Très vite, il connaîtrait tout cela par cœur, et penserait plus à se défouler dans la cour qu’à autre chose !
Ce n’est que lorsqu’une jeune fille aux longs cheveux châtains s’étale de tout son long à ses pieds, tentant de s’agripper à lui pour enrayer sa chute et manquant ainsi de peu de lui descendre le short aux chevilles, qu’il revient au monde qui l’entoure.
À nouveau, furieusement cette fois, il retire ses écouteurs : il a la ferme intention de faire entendre à cette fille pas franchement dégourdie sa façon de penser. Rapidement, quelque chose l’en empêche, et ce n’est pas le regard azur embué de larmes qui semble le supplier. Pas seulement.
L’ambiance n’est plus la même. Le silence est édifiant, et il se dit même sarcastiquement que la pluie a elle aussi décidé de se taire. Tous les élèves présents feignent l’indifférence, sans succès, leurs yeux dérivant toujours vers la pauvre adolescente au sol et leurs bouches résolument closes là où l’on devrait les entendre pépier incessamment. Tous, à l’exception de quatre lycéennes aux rictus narquois qui ricanent avec mépris et dont l’une d’elles ressemble comme deux gouttes d’eau à la malheureuse qui est à ses pieds.
Niels, depuis toujours, est très observateur. Presque immédiatement, il remarque des morceaux de copies déchirées, dont certains voltigent encore autour d’eux. La jeune inconnue, paniquée, tente de rattraper les bouts de papier avant qu’ils ne soient souillés par la boue, marmonnant encore et encore « non, non, non, non, non, c’est impossible, non, non, non… ».
Très vite, il sent le rouge lui monter jusqu’aux oreilles alors que la rage s’empare de lui et qu’il serre les poings et les mâchoires pour tenter de se contenir. L’injustice l’a toujours mis hors de lui, et c’est à la suite d’une de ses légendaires pertes de contrôle face à une telle situation qu’il a été expulsé.
— Cassez-vous d’là, bande de gourdasses ! hurle-t-il au milieu des caquètements de ces vieilles poules excitées par l’œuf qui leur est coincé dans l’cul.
Ça, c’est ce qu’il pense immédiatement d’elles en son for intérieur. Dès l’enfance, sa mère et Zachée, son frère, aîné, lui ont appris le respect, la tolérance et la solidarité, et voir tant de haine et de cruauté sur les visages de ces quatre imbéciles lui hérisse le poil. Oui, il ne comprend pas vraiment ce qu’il y a de si important sur ces copies déchirées, mais il s’en fiche, car ce qui compte, c’est que ce soit essentiel aux yeux de quelqu’un, pour qui perdre tout ça signifie perdre bien plus que des morceaux de papier.
L’une des filles, qu’il devine immédiatement être à la tête du groupe, s’avance, le défiant du regard, les bras croisés, haussant un sourcil châtain clair, presque blond, parfaitement épilé.
7 commentaires
Sombre Violette
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Il y a 2 ans
JAJ
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Il y a 2 ans
Anna.
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Il y a 2 ans
JAJ
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Il y a 2 ans