Pierrette Mattei Prends garde à ta sorcière 3 - Ma sorcière préférée

3 - Ma sorcière préférée

Halloween fut fêté entre filles, chez Anna. Son appartement était plus pratique que celui de Marie et moins loin de l’université. Elles passèrent la nuit à regarder des films d’horreur. Toutes en raffolaient. Jeanne était la plus impressionnable des quatre, mais pelotonnée contre Anna, elle se moquait bien de l’identité du découpeur de chair et de la façon dont il s’y prenait. Elles avaient tamisé les lumières en recouvrant les lampes de leurs foulards et allumé quelques bougies. Elles avaient mangé tous les bonbons qu’elles avaient ramenés, convenant auparavant qu’elles ne répondraient pas à la porte. Enfermées, elles étaient libres de faire ce qu’elles voulaient dans l’appartement minuscule mais confortable d’Anna. Les cigarettes se consumaient une par une. L’alcool coulait à flots. Même le cake aux olives de Sarah ou les crêpes de Jeanne n’avaient pu éponger tout ce qu’elles avaient bu – beaucoup de bières, trois bouteilles de vin blanc et de la vodka –.


Les filles concoctèrent divers filtres selon des recettes de Marie. La jeune femme prétendait que c’était sa grand-mère qui les lui avait envoyées, en vérité certaines venaient d’Internet. Mais à l’époque, les filles étaient novices et elles prirent soin de suivre les recommandations de Marie. Des recettes recopiées sur des feuilles préalablement brunies par ses soins, avec des sachets de thé. Pour Sarah, Marie l’aida à fabriquer un breuvage à base de café, du moins c’est tout ce dont Sarah se souvenait. Il y avait un arrière-goût étrange, mais Sarah ignorait d’où il provenait. Comme elle prétendait toujours qu’elle n’avait jamais assez d’énergie, elle se contenta de boire la préparation de Marie. La caféine remua ses instincts et lui donna un coup de fouet. Jeanne, elle, réclamait de la joie, se sentant un peu maussade ces derniers temps ; elle dut mixer des plantes, ou plutôt laissé faire Marie. Elle la regardait vaguement, sa voix ne lui paraissait que très lointaine, étrangère. Les doigts de Marie ne semblaient même pas presser les feuilles, c’était comme si celles-ci se consumaient d’elles-mêmes entre ses doigts avant de tomber en miettes dans la mixture. Un peu comme les cendres qui tombaient du bout de sa cigarette de Jeanne. Et dans le dos de Marie, Jeanne ajouta à ce qui lui semblait n’être qu’un simple thé, quelques gouttes de vodka. Quand à Anna, qui rêvait d’amour, elle fabriqua un filtre avec de l’eau de rose, du lait et du sucre agrémenté d’épices qui donnèrent à l’ensemble un goût de thé indien. Ce n’était guère à son goût, mais l’amour, dit-elle en rinçant le goût qu’elle avait du mal à supporter avec de la vodka, valait bien quelques sacrifices.


– Je ne suis pas d’accord, répliqua Sarah, éméchée mais profondément contre les paroles d’Anna.

– Je disais ça pour déconner, fit Anna en riant à moitié.

– Tu parles, elle veut l’amour, le vrai de vrai, ria Jeanne en se moquant.

– Pas toi, bécasse ? fit Anna en repoussant Jeanne qui se reposait sur elle.

– On vaut mieux que ça, plaida Sarah.

– Toi peut-être, soupira Anna. Moi… Ok, ça fait niais, mais je voudrais juste une jolie histoire d’amour.

– C’est ton seul but ? s’étonna Marie.

– Non ! Mais non, je sais bien qu’on peut être épanouie sans, mais je… Je n’ai jamais été heureuse en amour. J’aimerais bien que cela m’arrive un jour, voilà, c’est tout.


Comme sa voix tremblait un peu, Jeanne retourna contre elle et lui fit un grand câlin. L’odeur de camomille de ses cheveux était réconfortante pour une Anna qui avait bien trop bu. Elle lui pardonna implicitement sa moquerie.


– Mais chérie, dit Sarah, tu l’auras ton histoire d’amour. Tu mérites une belle histoire, déclara-t-elle.

– Je suis d’accord, fit Marie en vidant la vodka avec une grimace.

– Moi je serais toujours là pour les câlins, fit Jeanne en se frottant contre Anna comme un chat.


Marie, qui aimait beaucoup Queen, augmenta le son lorsque Don’t Stop Me Now passa sur le téléphone d’Anna. Elle avait toujours eu un peu du mal avec les épanchements sentimentaux. Queen et l’alcool y remédiaient facilement. Et elle prêchait des convaincues ; toutes les quatre se mirent à hurler les paroles en dansant, faisant valser les canettes plus ou moins vides sur le plancher, se roulant sur le lit de Marie. Elles se moquaient des voisins. D'ailleurs, personne ne se plaignit de leur tapage. Selon Anna, les trois quarts d’entre eux étaient sourds tandis que les autres devaient fêter Halloween ailleurs.


Marie partit chercher le rhum qu’Anna cachait sous l’évier. Sarah, supposée l'aider, se rua aux toilettes. Selon ses cris, tout allait bien. L'alcool ou le filtre ou peut-être les deux faisaient effet. Marie cessa sa quête. Elle en profita pour prendre un peu l’air. Elle ouvrit en grand les fenêtres de la cuisine. Aérer un peu. Respirer. L’air glacé de cette nuit d’octobre, les sonnettes des appartements redevenues muettes – les enfants, poches remplies de bonbons, étaient en train de dormir à présent – l’apaisèrent. Il lui manquait les étoiles au-dessus de sa tête, mais elle pouvait facilement les imaginer. Convoquer les étoiles, lorsqu’on les a tant admirées la plupart de sa vie, était facile à ses yeux. Elle pouvait même imaginer les branches du bois près de la maison maternelle à la place des bâtiments qui entouraient l’immeuble d’Anna. C’était un beau retour en arrière.


À l’autre bout de l’appartement, c’est-à-dire juste à côté, Anna caressait les cheveux de Jeanne.


– C’est la plus belle couleur du monde, murmurait Anna d’une voix rauque. La couleur de tes cheveux, c’est comme un sentiment.


Le cœur de Jeanne battait à cent à l’heure. Anna, l’irrésistible Anna, couchée tout contre elle, que faisait-elle donc ?


– Quel sentiment, Anna ?

– J’en sais rien… C’est un truc qui se sent, ça ne s’explique pas vraiment.

– M-mm, répondit Jeanne, les lèvres soudainement écrasées contre celle d’Anna qui l’embrassait tout doucement.


Leur baiser fut bref, tendre, sans écueils. Jeanne se sépara d’Anna. Ses mains claires entourèrent le visage d’Anna. Même si son maquillage coulait, Anna, avec ses yeux bleus et ses lèvres rouges, était très belle ce soir-là.


– On est d’accord, c’est juste un truc de potes ? s’enquit Jeanne qui ignorait ce que ce geste voulait dire dans cette réalité, elle qui n’avait fait que lire des baisers, qui en avait peu vécue et qui en était toujours perplexe.

– Tu veux autre chose Jeannette ?

– Je ne crois pas. Tu sais, pour moi, les amis, c’est le plus important…


Anna pouvait sentir le cœur de Jeanne qui s’affolait. Elle se fit violence et s’arrêta. Elle l’embrassa gentiment sur la joue.


– Joyeux Halloween Jeanne. T’es ma sorcière préférée.

– Et toi tu es la mienne, répliqua Jeanne avec un sourire.


Elles devaient garder ce secret entre elles. Plusieurs mois après, il serait révélé au cours d’une discussion anodine. Comme si ce baiser n’avait rien signifié. Comme s’il n’avait pas compté. Marie, qui avait tout vu dans le reflet de la fenêtre, savait que c’était encore un signe.

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7 commentaires

Mallo

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Il y a 5 ans

Pour l’instant j’adore et j’apprécie beaucoup ton style d’écriture :)

Pierrette Mattei

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup Mallo !

Chyr

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Il y a 5 ans

J'adore c'est tellement hors des clichés. Enfin des sorcières fortes et affirmées !

Pierrette Mattei

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Il y a 5 ans

Merci ! Oui j'avoue avoir du mal à me reconnaître dans les histoires de sorcières plus tradi. Besoin que ça change !

Little-Lilah

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Il y a 5 ans

Quel bon début! J'aime beaucoup ta plume, ainsi que tes personnages et la manière dont tu amènes les choses! J'ai hâte de voir la suite! (si tu as le temps, j'ai besoin d'avis pour mon roman, La Promesse) Bonne soirée! :)

Pierrette Mattei

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup ! J'y prend plaisir à l'écrire. Je passerais jeter un œil, promis !

Emmanuelle TZ

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Il y a 5 ans

J ai été attirée par le résumé et J aime bcp ton approche du sujet,J attends la suite 🙂 Si tu as le tps de me lire cela sera avec plaisir 😉
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