Fyctia
Jo
Mon verre de vin, un Pessac-Léognan de préférence, d'un délicat rouge rubis, est toujours a porté de main. Quand je ne suis pas au travail, je bois. Pas au point de m'en rendre malade, juste ce qu'il faut pour me sentir bien, oublier les emmerdes, abandonner la solitude. L'alcool pâlit à beaucoup de maux m'a-t-on dit quand j'étais gosse, lorsque ma mère revenait saoule de ses soirées entre amies. Fils unique, j'ai appris à me débrouiller seul rapidement. A l'âge de neuf ans, plus personne ne m'accompagnait ou venait me chercher à l'école. A treize, je me préparais le dîner, mangeais et passais les nuits dans ma chambre à regarder des films d'action, en attendant patiemment d'entendre la porte d'entrée s'ouvrir. Ma mère rentrait alors, indifférente à l'idée de me réveiller. Mon cocon n'avait rien de familial. A seize, j'ai pris mon indépendance et j'ai commencé à travailler dans le bâtiment, puis en plomberie. Je louais un studio dans les combles aménagés d'un couple de retraités, avec le strict minimum pour vivre. Dix ans plus tard, alors que je me délecte de mon deux pièces, je travaille comme agent de sécurité dans une centrale nucléaire.
Bien que le jour je dorme beaucoup, je consacre mon temps libre à peaufiner ma cave à vin, installée dans le cellier de ma cuisine. Un petit caviste me reçoit une fois par mois et me propose de déguster de nouvelles saveurs, de nouveaux crus. J'ai un faible pour les vins terreux, à la robe foncée, avec un arrière-goût de végétaux, de sous-bois. Quand la dégustation me convainc, j'y mets le prix. Je le conserve le temps conseillé et le savoure sans attendre une occasion particulière. Occasion qui ne surviendrait pas souvent. Cependant il m'arrive également d'acheter de la piquette, juste pour m'enivrer à grosses lampées.
Je n'ai pas d'amis, je n'en ai jamais eu. Au collège évidemment, quelques potes avec qui je fumais des cigarettes dans une vieille ruine abandonnée. Puis quand je me suis émancipé, je me suis enfermé dans une bulle de solitude, appréciant ces instants esseulés, délaissant les bains de foule et toutes les facilités de la civilisation. Je me suis accommodé à la vie solitaire, j'ai appris à m'en satisfaire. Je m'entends avec ceux qui m'entourent sans véritable effort. Je salue amicalement mes voisins, mes collègues de nuit, ceux qui prennent la relève au petit matin. Je téléphone une fois par semaine à ma mère, qui semble avoir gardé le même quotidien qu'à l'époque de mes treize ans. Elle est contente de me parler, ça la rassure. Elle papote cinq minutes, elle a toujours une anecdote sympathique que j'écoute en sirotant mon pinard. Mais elle ne pose jamais de question, ni sur ma vie, ni mon travail, ma santé, mes amours... On n'évoque pas ces choses-là : chacun son intimité, comme un sanctuaire bien gardé, secret. Le superflu nous suffit. Nous apaise. On ne propose jamais de se voir plus que de raison, on a notre rituel : Noël tous les deux et son anniversaire où j'apporte une bouteille de vin, la meilleure.
Mon père a disparu de mon existence depuis longtemps. J'avais dix ans. Je me souviens, j'étais rentré de l'école. C'était un vendredi. Je l'ai retrouvé sur le parking de la résidence, remplissant le coffre de la voiture de plusieurs sacs de voyage. Il fut surpris de me voir : il ne m'attendait visiblement pas si tôt... Naïvement, j'ai cru qu'il nous préparait une surprise, un week-end quelque part à la montagne. Tout petit on allait souvent dans les Alpes, tous les trois, on dormait sous une tente dans le même camping que j'ai toujours connu désert. On avait froid, mais on se serrait dans nos duvets, la proximité nous réchauffant. A l'instar d'une famille unie.
J'ai mis du temps à comprendre qu'on ne ferait pas parti de son départ, ni ma mère ni moi. Je me souviens juste de cette femme à la peau noire, aux yeux clairs, assise sur le côté passager et mon père qui m'a pris dans ses bras et me glisser à l'oreille « Dis à maman qu'il faudra payer le loyer avant la fin de la semaine. Je dois m'en aller quelques jours.». Quelques jours... Je ne l'ai plus jamais revu. Il n'a jamais cherché à me contacter. Terminé : plus de père à dix ans. Juste ces derniers mots en mémoire, un baiser furtif sur la joue et la vision d'une voiture qui s'éloigne, espérant peut-être un demi-tour. J'ai monté quatre à quatre les escaliers menant à l'appartement, mon cartable d'école pesant sur mes épaules et j'ai cherché une lettre -un mot- d'explication. Rien. Un abandon pur et simple. S’en sont suivies les crises de larmes de ma mère, sa déchéance, la vie de débauche, l'alcool et ma prise de conscience que je devrais rapidement apprendre à vivre seul.
6 commentaires
Oly.Vier
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Il y a 8 ans
Alain Leclerc
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Il y a 8 ans
Oly.Vier
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Il y a 8 ans
Madame Split
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Il y a 8 ans
Oly.Vier
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Il y a 8 ans