Fyctia
4.1 Départ raté - Nora
30/31 Mars 2024, Sakhir (Bahreïn)
Le tambour dans ma poitrine chante au rythme des secondes qui s’égrainent. L’attente est interminable.
Mes phalanges blanchissent certainement dans mes gants tant je m’accroche à mon volant comme je m’accroche à mes rêves.
J’ai cette crainte irrationnelle qu’il me glisse des mains, qu’il disparaisse ou qu’on me le subtilise. Puis, ce serait au tour de ma monoplace de s’effacer, mes fesses rencontreraient le sol brûlant et mes rêves crameraient avec ma combinaison.
Je serais nue, dénudée de mes désirs et de mes promesses. Une enveloppe charnelle que l’âme aurait abandonnée à son triste sort, celui d’une destinée torturée loin de ses rêves éveillés.
Comme si je n’avais pas ma place, ni ici, ni ailleurs.
Le voile se lève sur la mascarade fomentée par mon esprit. Les couleurs du monde m’agressent la rétine et me rappellent sur Terre.
Les feux rouges s’éteignent. Les secondes s’allongent et mon coeur accélèrent.
Mes yeux scrutent les alentours.
En fond de grille, j’observe les rangées de monoplace dessinées des lignes de feux clignotants sur ma visière. À la dérobée, mon regard accroche mon voisin. Il ne cille pas, concentré sur les feux de départ qui s’effacent un à un sur son volant.
Il y a aussi les gradins, avec leurs courbes acérées et cette foule agglutinée qui frissonne d’excitation. Je n’ai pas l’impression qu’ils me regardent.
Est-ce qu’ils sont réels ?
Je dois me concentrer.
La nervosité gagne du terrain, petite maline qui s’immisce dans les moindres recoins dès qu’elle en a l’occasion depuis le gala d’ouverture.
Je n’ai pas le droit à l’erreur. J’ai bousillé ma première chance, je ne peux pas rater la deuxième.
Ma course en Australie a été catastrophique, laissant des traces indélébiles dans les journaux. L’encre a noirci mon nom d’une suffisance injustifiée, assurant que je n’avais ni le talent ni le droit d’être en Formule 1.
14ème. Loin de la porte des points quand Lukas paradait avec son trophée.
De promise à un grand avenir, je suis devenue la bêtise de Prodigy. L’erreur fatale qu’ils ont commis en acceptant de donner une chance à une femme.
J’ai été bien naïve de penser que je réussirais ma première qualification, ma première course. Par excès de confiance ou illusion de mon égo, j’ai laissé les médias avoir raison. Je leur ai donné ce qu’il attendait de moi : l’échec.
J’ai perdu mon glaive et mon bouclier, abandonnée dans l’arène sans rien d’autre que l’espoir pour me sauver. L’espoir que ce n’est qu’un mauvais départ.
Puis, il y a Sakhir. Ses courbes serrées, ses épingles et ses lignes droites. Un tracé qui met à rude épreuve, capable de surprendre notamment avec la tombée de la nuit.
Un relent d’espoir a percé mon ciel noir lorsque j’ai passé la Q1, ne m’empêchant pas de m’échouer à la 13ème position sur la grille. Les séances de qualification sont restées à l’image de ce que j’ai délivré à Melbourne : désastreuses et pitoyables.
Je n’ai pas écouté les journalistes, mon oreille distraite se contentant d’esquiver les questions dérangeantes et de brader des réponses ennuyantes.
Je n’avais pas envie de crouler sous leur mesquinerie, ni de me noyer dans leur venin. Je n’ai pas besoin de ça pour sentir mon anxiété effriter le reste de ma détermination.
Je dois rester concentrer, sur moi, sur ma voiture.
Alors qu’il ne reste plus qu’un feu, le dernier avant le lâcher de fauves, je repense aux paroles bienveillantes de Myles qu’il m’a donné juste avant la course.
Paternaliste, il m’a prise à part dans son bureau, balayant d’un sourire tout le stress qui crispait mon corps. Il ne m’a fallu qu’une respiration pour que mes épaules se détendent, que mon ventre se dénoue et que mes jambes cessent de trembler.
– Tu sais ce qui arrivent aux personnes trop perfectionnistes qui en demandent trop à leur corps et leur esprit ?, demanda-t-il en m’invitant à m’asseoir en face de lui.
Je ne répondis que par un misérable hochement de tête, trop timide pour dire s’il penchait vers oui ou non.
– Ils échouent. Ils tombent, inévitablement dans le piège du « trop ». Et à trop vouloir en faire, on finit par ne rien faire.
– Je ne suis pas perfectionniste.
Ce fût les premiers mois qui me vinrent à l’esprit. Une maigre défense derrière mes sourcils froncés et mes jambes croisées. Surtout, un aveu de vérité.
– Ah bon ? Alors comment qualifies-tu le fait que tu cherches constant à être parfaite sur la piste comme en dehors ? À être en adéquation avec tes paroles, tes gestes ?
J’ai peut-être réussi à berner un tas de gens dans ma vie, mais mon directeur d’écurie m’a percée à jour.
– Tu n’as pas besoin d’être parfaite dès ta première séance de qualification, ni même sur ton premier tour de course ou sur ta première course. Tu es une rookie, Nora, les erreurs sont normales et même bénéfiques. Tu ne peux qu’apprendre depuis une erreur.
Il esquissa son discours avec une généreuse bienveillance qui me caressa le coeur et m’endormit la peur. Myles prononça ses paroles avec douceur et lenteur, laissant à l’onguent le temps de prodiguer son bienfait.
– Personne n’est bon quand il se lance dans quelques choses de nouveau. Peu de rookies ont brillé dès le premier Grand-prix.
Trop facile à dire, ce n’est pas lui qui se retrouve dans l’oeil du cyclone à chaque erreur.
Mon visage apaisé se ferma soudainement. Il me renvoyât à ce que je ne suis pas : la rookie talentueuse. Je ne suis pas là où Lukas a su briller, ce qui signifie que je serais forcément comparée à lui, rabaissée face à ses exploits.
J’occultai la fin du discours de Myles qui m’appellait au calme et à la concentration. Mes traits se lissèrent dans la détermination, celle de la perfection.
Je dois montrer qui je suis, avant que ce ne soit trop tard et que les dégâts ne soient irréparables.
Le directeur m’offrit une tape sur l’épaule avant de s’éclipser en silence, me laissant ruminer ses paroles.
Le dernier feu s’éteint, ne laissant que des pixels noirs derrière lui. L’instinct prend le dessus quand mon pied enfonce la pédale d’accélérateur.
Mon coeur palpite jusque dans mon crâne, caisse de résonance du casque qui étouffe les bruits d’ambiance pour ne garder que mes battements.
Mon souffle est court. Sous mes pieds, la monoplace ronronne avec agressivité. Les moteurs voisins rugissent à leur tour, et les deux lignes du départ se regroupent en un conglomérat duquel il faut ressortir vivant au premier virage.
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Le Mas de Gaïa
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Il y a 6 mois
celiadovack
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Le Mas de Gaïa
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Il y a 6 mois
Madeleine Malort
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Il y a 8 mois
celiadovack
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Il y a 8 mois