Fyctia
Chapitre 15 - Dorian (Part 3)
— Il va être temps de rentrer, murmure Joana alors que les discussions déclinent peu à peu.
La fatigue afflue de mon côté. Je regarde ma montre. Trois heures du matin. Pas étonnant. Je n’ai pas vu défiler les heures. Je n’ai pas envie pour autant de la quitter.
— Laisse Amrish ici pour cette nuit, propose Weston. Je ne bosse pas demain et c’est dimanche. Tu passes le récupérer quand tu veux.
Joana regarde son fils. Le visage apaisé d’Amrish semble l’aider à choisir. Je ne peux m’empêcher de penser que Weston et elle sont bien plus proches que je ne le soupçonnais. Ont-ils été ensemble et se sont-ils rendu compte que cela ne fonctionnait pas ?
Je masse mon cou contracté. Weston m’a assuré qu’il n’y avait rien entre eux. Je ne vais pas remettre ça en question.
— Je passe le récupérer pour le déjeuner ? Ça te va ?
— Tu veux manger avec nous demain, Dorian ? propose Weston.
Il ne perd pas le nord et me tend une perche, mais cette fois-ci il n’a pas le planning en tête. Lui est peut-être en vacances quelques jours, mais moi je travaille. Une demi-journée, certes mais je dois retrouver l’hôpital dans quelques heures.
— Je bosse moi, tout à l’heure. Je ne pense pas que mon chef appréciera mon absence.
— Comme si tu pouvais manquer un jour de boulot, s’amuse Weston en chuchotant.
Une couverture est glissée sur les épaules des enfants confortablement installés dans les coussins. La lumière principale est atteinte. Seule celle de l’entrée demeure allumée, nous incitant à nous y diriger.
— On peut se rejoindre après, si ça vous va ? je propose.
— Ça va aller ? Tu ne vas pas être trop fatigué ? questionne Joana dans ma direction.
Sa sollicitude est comme une douce caresse, les dernières barrières se brise peu à peu. Elle baisse le regard une fraction de seconde me laissant penser qu’elle hésite à se reprendre. Hors de question de laisser s’échapper cette opportunité.
— Ça va aller, ne t’inquiète pas. Un infime frémissement au bord de ses lèvres me fait comprendre qu’elle a perçu ma manigance. Petite journée demain, j’ajoute. Je finis à 14 h.
— Si tu pars à l’heure, renvoie Weston.
Cette fois-ci je ferai l’effort, faut pas s’inquiéter. Je réponds d’un haussement d’épaules et tends le manteau à Joana.
— Je pense que c’est bon, réfléchit-elle. Vu l’heure où les enfants se sont endormis, ils vont se lever tard. Avec un bon petit déjeuner, je pense qu’ils pourront tenir.
Elle me propose de déjeuner avec eux alors que je n’imaginais que les rejoindre. C’est mieux que ce que j’espérais.
— Alors vers quatorze heures devant l’hôpital ? conclut Weston.
L’heure et le point de chute validés, nous saluons Weston une dernière fois et sortons. Tous deux sur le perron, je me sens étourdi par la sensation que cette intimité fait naître en moi. Si nous étions un couple, je lui prendrais la main et lui proposerai bien des choses…
Elle coupe mes idées et se dirige vers sa voiture. Une petite citadine, dernier modèle. Je la reconduis tandis que les lumières s’éteignent chez Weston.
— Je ne pensais pas rentrer sans enfant, murmure-t-elle.
L’heure tardive, la rue déserte nous poussent à murmurer. Je n’y vois pas d’inconvénient, cela me donne une bonne excuse de rester près d’elle.
— Tu vas en profiter, du coup ?
Mon visage chauffe en réalisant que ma phrase à clairement un double sens criant. Je maudis de me laisser aller ainsi en sa présence.
— Je veux dire, j’imagine qu’avec Amrish ça pas dû être évident ces derniers temps.
Joana se contente de hocher la tête. Ma bouche s’assèche. La plaquer sur cette voiture s’insuffle en moi. Pour la discrétion, on repassera. Je tais mon désir et recule d’un pas pour maîtriser mes ardeurs.
— Tu es à pied ? réalise-t-elle.
— Je suis venu en tram. L’arrêt est à quelques minutes.
— Monte, je te dépose si tu veux.
Elle n’attend même pas ma réponse et s’engouffre sur le siège conducteur. Je la vois farfouiller rapidement dans la voiture, et je m’installe.
L’habitacle sent son parfum et la lumière s’éteint bien trop vite pour me permettre de distinguer les affaires jonchant le siège arrière.
— Amrish a tendance à tout laisser traîner, s’excuse-t-elle en jetant une liasse de papier derrière.
Quelque chose me dit qu’il n’y a pas qu’Amrish. Je contiens mon petit sourire. Le moteur vrombit et je la guide jusqu’à l’arrêt du tram. Tout est calme. Et je réalise ma bêtise. Vu l’heure, le dernier tram est passé il y a bien longtemps. Je soupire et passe une main dans mes cheveux.
— Qu’il y a-t-il ? s’inquiète-t-elle.
— Il y a plus de trams depuis longtemps. J’ai zappé.
— Tu n’as pas l’habitude de le prendre, peut être, tente-t-elle d’expliquer.
— Je le prends tous les jours.
Je perçois l’interrogation dans son attitude. Elle doit se demander si je ne lui ai pas, volontairement, fait le coup.
— Ramène-moi chez Weston, je fais en ne voulant pas lui faire croire que j’use de stratégie malhonnête pour la ramener chez moi.
— Les enfants dorment, tu risques de les réveiller. Tu habites loin ?
Mon cœur bat la chamade. Discussion improbable avec Joana Buns, à trois heures du matin dans sa voiture. Si on m’en avait parlé, il y a deux mois, je ne l’aurais jamais cru.
— Marina District, je réponds la bouche sèche.
En voiture c’est plutôt rapide. Et vue l’heure, ce ne sont pas les bouchons qui vont nous ralentir.
Elle enclenche la vitesse et appuie sur l’accélérateur sans même hésiter.
— Tu me guides ? sollicite-t-elle.
Et je m’y applique, tentant d’ignorer qu’on se dirige vers chez moi. Nous échangeons quelques paroles. Des bribes succinctes.
Elle se gare finalement sous mon immeuble. Je réfléchis à la dernière fois où j’ai changé mes draps avant de me reprendre. Joana ne montera pas avec moi. Je me détache et vois ses doigts s’agiter sur le cuir du volant. Elle tapote en un rythme bien trop accéléré pour me faire croire qu’elle est détendue. Je n’imaginais pas que ma présence l’angoisse à ce point.
— Merci de m’avoir raccompagné, dis-je en ouvrant la portière. Ça va aller pour le retour ?
Je ne voudrais pas qu’elle se perde dans une ruelle et qu’elle tourne deux heures pour trouver son chemin.
— Je vais mettre le GPS, t’inquiète.
Je sors, me penche vers la portière. Hésite une dernière fois. Ne pas paraître trop empressé ni indifférent. Le juste milieu. Comment on fait ça ?
— Trois heures à dormir, constate-t-elle en regardant la montre. Tu devrais aller te reposer, Dorian.
J’acquiesce, claque la porte et la laisse filer. La douce torture d’avoir prononcé mon prénom de cette façon, risque de m’empêcher de trouver le sommeil.
5 commentaires
Emeline Guezel
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Il y a 10 mois
Elyne C. Garner
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Il y a 10 mois