Fyctia
38.1 Retour de flamme / Eden
Je m’étire les muscles courbaturés du dos. On enchaîne les prises extérieures depuis ce matin. Entre scènes de bagarres, de cascades et d'assauts armés, j'ai beau avoir une bonne condition physique, j’ai déjà mal partout. L’insomnie de cette nuit n’aide pas non plus.
Après le départ de Roxy, je suis resté cloué dans mon lit à fixer le plafond pendant des heures. Amorphe. J’écoutais en boucle Heart & Soul de Roseaux, en retournant tous nos faits et gestes dans ma tête. Chaque fois, ma conclusion demeurait la même. Ses actes ne reflètent pas les paroles qu’elle m’a jeté au visage avant de s’enfuir.
— Eden !
Je ne peux pas croire que je ne suis qu’un plan baise. Tous ces regards, ces gestes tendres, cette alchimie… Entre porteurs de masque, on se reconnait. Je sais ce qu’on est capable de cacher au monde. La blesser avec des mots est précisément ce que j’aurais fait si j’espérais la faire fuir. J’ai été maladroit. Je n’aurais pas dû l’acculer de cette manière alors qu’elle paraissait paniquée. Exiger des explications de but en blanc. J’aurais dû prendre le temps de lui parler dès que « ultime » est sorti de sa bouche. Pas me convaincre que j’avais mal entendu, mais plutôt chercher à comprendre ce qui l’effraie autant.
Je l’appellerai ce soir. Ou un texto ?
Non, avec un appel, je saurais tout de suite si elle a bloqué mon numéro. Je croise les doigts pour que ce ne soit pas le cas.
— Eden, crie Blake. En place, s’il te plaît !
Je sors de mes pensées et rejoins Cécile devant la caméra. Elle m’ignore depuis ce matin. Ma seule et piètre victoire de ce week-end. Les cascadeurs se positionnent pour une scène de bagarre en corps à corps. Vu l’état de mes nerfs, je crains de ne pas contrôler mes coups. J’ai envie de tout casser depuis mon réveil. Je vais encore passer pour un connard.
Tant pis, je ne suis plus à ça près.
— Action !
La séquence débute, alors que Cécile est retenue en otage, un adversaire m’étrangle par-derrière, tandis qu’un autre arrive devant, armé d’un couteau. Je ne lui laisse pas le temps de me planter. En prenant appui sur le torse dans mon dos, je le frappe de mes deux pieds en pleine face. Ensuite, comme la chorégraphie l’exige, je balance mon coude dans le flanc de l’autre assaillant puis d’une impulsion, je l’envoie voltiger par-dessus moi.
— Coupé !
On s’arrête et tout le monde se relève en attendant les ordres.
— C’était pas mal. On la refait. Eden, fais gaffe à tes coups. C’est pour de faux même si ça doit sembler vrai, me réprimande notre réalisateur.
Qu’est-ce que je disais ?
J’acquiesce et m’excuse auprès des collègues, avant de poursuivre les prises.
Une dizaine d’essais plus tard, Blake annonce la pause. Je file directement dans ma loge. Je préfère rester seul et éviter toutes conversations aujourd’hui.
Je m’affale tout juste sur le sofa quand on frappe à ma porte.
Fait chier.
Je me penche discrètement vers la fenêtre pour découvrir qui vient m’emmerder.
Ah. Tobias.
Je pense que c’est bien le seul que je pourrais supporter dans mon état. Peut-être qu’il parviendra même à me distraire et me remonter un peu le moral.
— Entre ! je m’écrie.
La porte de la caravane s’ouvre, il glisse sa tête à l’intérieur.
— Ça va, mec ? demande-t-il d’un ton grave.
Merde. On a dû lui dire que j’étais de mauvais poil.
— Ouais, pourquoi ? je mens. Entre.
Je lui fais signe de venir s’installer avec moi.
— Tu es sûr ? insiste-t-il en me rejoignant.
Je fronce les sourcils. Non, ça ne va pas, mais il ne peut pas être au courant de ma fin de week-end désastreuse, si ?
— Il y a quelque chose que je devrais savoir ? je me renseigne.
Tobias écarquille ses yeux translucides. Il m’inquiète.
— Tu n'as pas vu ? Regarde ton téléphone, mon pote.
Mon cœur s'emballe. Je déglutis avec difficulté. J’ai déjà vécu cette scène. La dernière fois, c'était pour découvrir des photos de Kylie avec son amant. Je crains le pire. Je prends mon appareil et désactive le mode avion que je mets toujours pendant un tournage.
Des bips sonnent dans tous les sens. Je constate pas moins de quinze appels manqués de Bradley et autant de messages vocaux ou de SMS. Merde ! Il ne doit pas être plus de cinq heures du matin à Los Angeles.
Bradley :
La douzaine d'autres textos sont tous du même acabit. Ma gorge se serre. Bordel. Ça ne sent pas bon. Tobias se frotte la barbe avec un air désolé, mais je ne comprends toujours pas ce qui se passe. Je n'ai pas la force d’entendre Bradley me gueuler dessus aujourd'hui.
— Qu'est-ce que je dois voir, Tobias ?
Il me tend son écran ouvert sur Instagram avec le hashtag #edenturner. Un poids d’une tonne s’abat sur ma poitrine. Une multitude de photos volées de Max et moi à la soirée de samedi est exposée sous mes yeux. Celle qui revient le plus nous montre très proches au bar quand je l’encercle de mes bras et qu’elle colle sa joue sur la mienne. Je serre le téléphone à m’en blanchir les phalanges, on ne peut nier qu’on a l’air plus qu’intime. Je continue de faire défiler les posts et mon sang se glace.
— Putain !
Ils nous ont suivis jusqu’à l’hôtel, on nous voit clairement y entrer, main dans la main. Je lâche l’appareil sans regarder les commentaires, et m'accoude à la table basse pour enfouir mon crâne entre mes paumes.
Je lui avais garanti qu’il n’y aurait pas de photos alors que je n'en avais pas le pouvoir. Égoïste. Si j’avais un infime espoir de recoller les morceaux, il vient de partir en fumée.
— Je suis désolé, Eden. Je sais que c'est insupportable d'être épié comme ça. Tu as eu des nouvelles de Max ? Ça va sûrement être pire pour elle.
Je relève le menton, interloqué. Tobias répond à ma question muette :
— Des gens l'ont reconnue et l'ont taguée sur les photos.
— Quoi ? Déjà ?
Je me lève d’un bond et commence à faire les cent pas, mais cet espace minuscule me file des vertiges.
— Comment c'est possible ?
— Aucune idée, mon ami, répond-il d’un haussement d’épaules.
— Putain, putain, putain. C'est un cauchemar.
Je reprends mon téléphone pour vérifier l’avalanche de notifications, mais aucune ne vient de Roxy.
Peut-être qu’elle ne le sait pas encore ?
J'essaye de l'appeler dans la seconde et déchante tout aussi vite.
Bordel. Si. Elle sait.
Son numéro n’est plus attribué. Je fourrage à nouveau dans mes cheveux.
Elle sait et elle doit me maudire. Bien plus qu’hier.
8 commentaires
Juliette Delh
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Il y a 2 mois
Justine_De_Beaussier
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Il y a 2 mois