Fyctia

Sans surprise, la matinée est interminable, je paie chèrement mes excès de la veille. Je me fais la promesse intérieure de me mettre moins minable la prochaine fois. Tout en sachant que je ne tiendrai jamais cette vaine promesse. J'ai déjà hâte d'être à ce soir pour chiller devant Netflix.

Aujourd’hui, je passe mon temps à tester les différents parcours utilisateurs en vérifiant qu’il ne manque aucune étape et qu’il n’y a plus de bugs majeurs. C’est long et fastidieux, mais indispensable. Plus la date de sortie approche, plus Omar, le chef de l’IT, est épuisé. On l’est tous d’ailleurs. Mais il a beaucoup plus de responsabilités que nous autres sur ce projet. Malgré toutes nos précautions, la première semaine de sortie sera encore plus intense, car il y aura des bugs, il y en a toujours. Je note en même temps les défauts esthétiques qui n’ont pas été respectés pendant le développement. Je les corrigerais moi-même, je veux que ce soit parfait et fidèle à mes maquettes. Parfois je me demande pourquoi je suis si perfectionniste, et puis je me rappelle : parce que personne ne le fera à ma place.

J’enchaîne sur une réunion où l’on parle déjà de la version 2.0, des modules supplémentaires seront ajoutés. D’ici quelques mois, on saura ce qu’on doit supprimer ou améliorer en suivant les retours utilisateurs de la première version.

Je commande mon déjeuner et prends enfin une pause vers quinze heures. Je n’ai pas vu le temps passer. J’emporte mon ordinateur pour répondre à mes autres clients quelque peu délaissés cette semaine. Quand j’arrive sur le toit-terrasse, il n’y a pas un chat, pas étonnant à cette heure tardive. Je m’installe à ma place fétiche, un coin aménagé et ombragé. Parfait pour admirer la vue du quartier, l'immeuble n’est pas plus haut que ses voisins, mais c’est suffisant pour contempler l’Opéra et apercevoir quelques parcs environnants. Je viens à bout de mon Poke Bowl et constate que je commence enfin à retrouver une certaine forme. Je jette mes détritus et me plonge dans mes e-mails, comptant bien profiter de l’air libre pour le restant de ma pause.

— Bonjour Max ! crie un homme.

Je sursaute et me tourne brusquement vers cette voix grave.

Oh.

Je ne m’attendais pas vraiment à croiser Eden. OK, j’avoue que j’en avais très envie. Juste pour voir sa tête après la réception de mon cadeau, bien sûr. La diva doit être furax. Un mélange de trac et d’excitation me serre la poitrine, comme une envie de rire que je retiens. Je m’efforce de rester stoïque tandis qu’il contourne le canapé pour se placer face à moi. J’observe ses yeux qui me détaillent un moment.

Est-ce qu’il… me mate ?

Il n’a pas l’air énervé en tout cas. Bizarre.

— Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur, dit-il avec un sourire.

J’arque un sourcil alors qu’il se penche pour m’offrir un café.

Vraiment bizarre.

Mon regard oscille entre le gobelet et son visage. Ce n’est pas normal. Il y a une couille dans le pâté. J’hésite de longues secondes avant de le prendre. Peut-être que c’est sa façon de me présenter ses excuses après tout.

— Merci.

Je hume le nectar sans le lâcher des yeux, tandis qu’il s’assoit sur un siège proche du mien.

— Je ne savais pas si tu préférais avec du sucre, mais j’ai fait sans, comme le mien, ajoute-t-il.

— Sans, c’est parfait. Merci.

Je répète, c’est quand même super mégabizarre.

Je pensais vraiment qu’après le coup d’hier, je serais son ennemi numéro un. Enfin, je m’attendais à tout sauf à… ça !

— Au fait ! je m’écrie alors qu’une illumination m’interpelle. Comment tu savais que j’étais là ?

Il est apparu avec deux tasses sauf qu’il n’y a pas de machine à cet étage. Il me surveille ?

— Je t’ai aperçu en venant il y a cinq minutes, et je n’avais qu’un café donc… il se gratte le crâne. Je suis allé t’en chercher un. Je voulais m’excuser pour… enfin, tu vois.

Donc ce sont bien des excuses. Merde alors. Je tombe des nues.

— Hum. OK. Je commençais à croire que c’est toi qui me filais le train, j’ironise avec des yeux ronds.

Il secoue la tête, un sourire en coin. Cette fossette est… injustement charmante.

Il souffle sur son nectar fumant pendant que je laisse mon regard s’égarer. Son torse musclé est moulé dans un t-shirt blanc, un contraste parfait sur sa peau hâlée. Son assurance dont je n’avais pas encore été témoin en impose. Chaque fois qu’il lève le bras pour boire une gorgée, ses biceps se contractent et mon attention est captivée par les veines proéminentes de ses avant-bras. Je suis à deux doigts de me mordre la lèvre inférieure.

Merde, ressaisis-toi !

Mais ce connard (pas si con) est vraiment mignon. Et sexy. Et putain… il le sait.

J’avale une grosse rasade de café pour faire taire ses pensées parasites. Son sourire s’élargit, et son regard s’illumine. Je jette un œil suspicieux au breuvage noir. Deux secondes plus tard, je saute de mon fauteuil comme si j’étais sur ressorts !

C’est le feu sur mes lèvres et dans ma bouche.

Du piment ! La vache !

Je cligne des paupières en tentant de respirer, des gouttes de sueur perlent déjà sur mes tempes et je me mets à tousser. De plus en plus. Mon visage chauffe telle une torche. Mes yeux lancent des éclairs à l’acteur, puis je cherche une bouteille ou n’importe quel liquide autour de moi pour éteindre l’incendie. En vain, j’ai terminé mon eau en déjeunant.

Fais chier !

Si l’on était dans un Cartoon, mes oreilles seraient en train de fumer. Je suis si désespérée que je fouille aussi le sol de la terrasse. À ce stade, même une putain de flaque fera l’affaire !

Je tente de l’insulter, mais je ne parviens qu’à expulser des bouts de syllabes étranglées en m’étouffant de plus belle.

Pour toute réponse, cet enfoiré éclate de rire.

Je rassemble toutes mes affaires à la hâte pour m’enfuir et trouver un extincteur. Eden se lève en même temps et me lance avec désinvolture :

— Ça n'a pas l’air d’aller, Princesse ?