Fyctia
12- L'ombre de l'esprit
" Hé, John, t’as vu ça ?
— Vu ça, quoi ?
— Regarde l’ombre devant nous."
Deman, dans sa cellule, parlait à son rochet de droite, prénommé John. La voix de l'ami imaginaire, plus grave que la sienne, se rapprochait du souvenir que le prisonnier gardait de son père. Une voix grave et rauque, qui masquait la moindre faiblesse. Là, devant ses yeux, apparut une fine masse fantomatique très sombre, à l'aspect atypique. Elle avait une forme ronde, où gravitaient autour ce qui semblait être des doigts humains. Le ventre de Deman gargouillait de faim, si bien qu’il pensa: « C’est le fantôme de la faim, ah ah ah ! ». Néanmoins, il se sentit d’un coup très énergique à la vue de cette ombre.
" Et toi Marie, t’en penses quoi ?
— De quoi tu parles, Deman ?
— Je suis le seul à voir cette ombre ? "
Marie avait une voix douce et réconfortante, tout le contraire de John. Curieusement, ses rochers ne percevaient pas la petite masse informe qui se dressait devant lui. En se concentrant sur cette chose, celle-ci ressemblait à s’y méprendre à un poing. « Je crois que je commence à devenir fou... » se disait-il. Il détacha alors son regard d'elle. Son dos et sa musculature le faisait horriblement souffrir. Un simple mouvement brusque le tordait de douleur. Son poing fermé heurta sa pensée: « J’ai tellement faim que je pourrais me manger moi même...mais avec ces chaines, c’est difficile ».
Inévitablement, il aperçut que de son poing gauche, une masse noire et fine émanait.
« C’est quoi ce bordel ? J’ai chopé une maladie ? ». Il serra son poing. Celui-ci disparu aussitôt.
« Que...Quoi ? Je rêve ou bien ? Je dois sûrement rêver... ». Son poing, après multiples vérifications, avait complétement disparu. Il le chercha tout autour de lui et il s'avéra que l’ombre qui gigotait devant lui avait volé son poing. En effet, celui-ci lévitait gaiement dans cette masse noire.
« Rends moi ce qui m’appartient, foutue chose !
— Tu n’as qu’à venir me chercher. Lui répondit d'un ton enfantin, le poing. »
Deman ne se rendit même pas compte qu’il entendait la voix imaginaire de son propre poing, ou même que depuis des mois, celui-ci se mettait à parler à des rochers. Son poing avait physiquement disparu. Deman ne le sentait même plus. Pire encore, il le sentait dans un autre monde. En imaginant bouger sa main qui venait de disparaître, il s’aperçut que l’ombre calquait ses mouvements. Mieux encore, le poing semblait libre de ses chaînes.
« C’est impossible ! Aurais-je...téléporté mon poing ? Non, c’est impossible...je suis fou...»
La voix de son propre poing lui précisa :
"La folie est la magie. Tout le potentiel de l’humain se développe aux travers des rouages infestées de sa pensée. L’humain lambda ne connaît pas la magie, car celui-ci n’y a pas été élu. La magie a choisi ton esprit, lui qui déforme toujours la réalité.
— Tu veux dire que…je suis devenu fou ?
— Fou, aux yeux de ceux qui ne sont pas aussi spéciaux que toi. La magie, tout comme la folie, est une chose que les hommes ne comprennent pas. Si tu es capable de téléporter ton poing par la force même de ton esprit, alors, tu es capable de te libérer de ces chaines. La réalité des uns n’est pas ta réalité.
— Qu’est ce que ça veut dire ?
— Je suis l'ombre de ton esprit. Ton désir de liberté et de vengeance. Si tu veux que je revienne à ma place, il te suffit d’utiliser ton esprit. "
Deman buvait les paroles de sa propre voix qui émanait de son poing. Avec la force de son esprit, celui-ci parvint à inverser le processus. Le poing se rattacha à son propre corps, tandis que la même ombre restait à ses côtés. A présent, elle ne semblait plus disparaître.
« Seigneur...j’aperçois les ténèbres...je ne sais pas ce que je suis, je ne sais pas si c’est un rêve, ou une quelconque réalité. Je t’en prie...guide moi vers la lumière...j’ai si peur ! ».
Il se mit à pleurer, prenant conscience de la corruption qui le touchait. Depuis toutes ces années à être enfermé comme un animal, la folie s’était peu à peu installée. Il n’était plus sûr de son histoire, de son identité. Etait-il toujours Deman ? Etait-il toujours le fils illégitime du Roi ? Ou alors, avait-il toujours été enfermé ici depuis la nuit des temps ? Shaegor, le bourreau, connaissait toutes ces réponses. Il n’y avait aucune raison rationnelle à ce que le fils bâtard du roi soit enfermé aussi longtemps, ou alors...était-il déjà mort ? Était-ce l'enfer et serait-ce son éternel châtiment ?
Deman éprouva une sombre tristesse, complétement perdu et déboussolé, sans repères, sans attaches. Tout ce qui le ramenait à une réalité ne faisait, depuis bien longtemps, plus parti de son monde. Seul Shaegor détenait les clés de sa liberté. L’ombre qui se dressait en face de lui, reflet de sa folie, ne disparaissait pas. Il suffisait que son esprit se concentre sur celle-ci, pour que son poing se téléporte. Le fou n’était capable que de cela, impossible pour lui de téléporter quelque soit d’autres. Celui-ci était convaincu de sa folie. Il n’y avait rien de logique pour expliquer un tel phénomène. « Mais, après tout, il n’y a rien de logique dans ce monde. » Pensait-il, en venant à la conclusion: «Je suis enfermé ici pour une raison que j'ignore, pour un élément qui me dépasse, pour la folie du plus grand nombre. Si je suis fou, alors qu’en est-il des autres ? Seigneur...réponds moi. »
Il n’eut aucune réponse. Tiraillé par la faim et la soif, seuls éléments rationnels à ses yeux qui le rattachèrent quelquepart, dans un rêve ou dans une réalité. Et dans cette réalité, sa faim était bien réelle. Des bruits de pas et une chaîne métallique se fit entendre, il hurla "J'ai faim, merde !"
3 commentaires
Bulle d'Auré
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Il y a 5 ans
Clioze
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Il y a 5 ans