Fyctia
C23 Do It
J’aurais pu -du ?- me défiler cent fois au cours de cette soirée. Mais je suis resté aimanté à Ava, comme un naufragé à une bouée de sauvetage. Histoire de gratter un peu de temps supplémentaire dans sa bulle, loin de la mienne.
Je ne voulais pas que le film s’arrête. Je ne voulais pas rentrer chez moi, ressassé le passé, le futur, alors, qu’enfin, quelque chose m’arrimait au présent.
Wow. J’essaierais pas de m’autoconvaincre là ? C’est le discours de Lauren qui me remue à ce point ? Où ma bonne conscience qui, pour me faire culpabiliser, projette des paillettes sur mon image d’Ava ?
Ava qui reluque sa manucure, qui m’embrigade dans son rencard et m’emporte dans ses bagages quand elle décide lever le camp, Ava qui m’oblige à monter sur scène et qui m’attend à la sortie, les lèvres brillantes, le nez légèrement repoudré, Ava et ses collants à motifs, Ava fonceuse, Ava cash, Ava qui agit et qui réfléchit après, Ava qui engueule son monde quand elle stress, Ava et ses références pointues, qui ne servent jamais à blesser, Ava taquine, qui me challenge, me remet en question sans me donner l’impression de passer à la barre, me donne envie de paraître meilleur sans avoir à me déguiser, Ava qui manie la bouteille tel un fleuret, Ava qui boit un peu trop, Ava et ses grands yeux verdorés qui m'invitent à apprendre la plongée sous-marine, Ava qui détourne la tête pour pouffer à mes âneries, Ava qui n’a besoin de personne, Ava qui semble toujours dans la mouise quand même. Ava, cette fille que je connais à peine, mais que je ne veux jamais décevoir.
Et Mimi. Qui l’a suit. Comme un benêt. Et qui s’apprête à faire de la merde -comme parler de lui à la première personne. Mais cette fois, pour la bonne cause.
Car, non. Ce n’était pas que des paillettes.
— T’as une idée en tête ? m’interroge Angèle en ôtant son masque.
— Une idée ? -Sa question a failli me faire sursauter- Comme t’y vas. C’est juste que y’a mon cerveau qu’arrête pas de me spamer de notifs débiles, j’ai l’impression…
De réfléchir à voix haute, déjà.
— J’ai l’impression qu’il veut me faire passer un message.
Des pensées, des visions, des souvenirs, des questions fusent dans mon esprit, comme si tout le bouillonnement de la manifestation chauffait à présent sous ma boite crânienne.
Angèle et Solal échangent un coup d’œil sceptique, tandis que j’enfile le masque de plongée dont la monture en silicone m’arrache tour à tour une grimace et des cheveux.
— Solal, je vais avoir besoin de tes épaules.
Oui, j’ai une « idée » en tête… mais si j’en parle à voix haute, primo : ils vont me prendre pour un fou, deuxio, je vais me prendre pour un fou.
Je dois lâcher les manettes de la salle de contrôle. Même si je dois m’encastrer sur les épaules d’un bodybuildeur - c’est incroyable le nombre de muscles qui peuvent s’enchâsser dans un seul corps, ces reliefs sinueux, fermes et doux à la fois. C’est si rassurant de pouvoir se reposer dessus. Et un peu humiliant aussi. Combien de niveaux de sexyness nous séparent Solal et moi ? Ça se compte en multivers, là. Sommes-nous même de la même espèce ?
Ainsi perché, je scrute la marée humaine avec la déter d’un oiseau de proie.
— Qu’est-ce que tu cherches ? demande Angèle perplexe.
Je marmonne, plus pour moi-même qu’autre chose.
— Il a parlé du tracteur.
— Qui a parlé d’un tracteur ?… T’es sûr que ça va ? s’inquiète Angèle.
— Nickel.
Surtout, ne pas réfléchir.
Il y a cette chose irradiante dans ma cage thoracique, une alarme qui s’est déclenchée, une urgence. Si je ne l’écoute pas, j’ai peur de briser mon élan. Que tout s'arrête. Plouf.
C’est le moment d’emmener sa raison à la cave, de la ligoter à un pilier, lui promettre que je reviens, vite, promis, j’en ai pas pour longtemps. Juste, là, j’ai pas besoin de toi dans mes pattes. Parce que sinon tu vas vouloir me faire réfléchir, mettre les choses en perspective, comment tu dis déjà, prendre du recul. Tu vas chercher les boutons sur lesquels appuyer pour me faire abandonner. Et je ne peux pas abandonner. Si je veux pouvoir me regarder dans la glace demain matin, si je ne veux plus être l’homme que m’a décrit Lauren, je dois… pour Ava. C’est insensé, mais c’est vital. C’est maintenant.
J’aperçois le tracteur en queue de cortège, illuminé par un fumigène rougeoyant. Il ferme quasiment la marche. C’est là, près de cet engin, que Volco devait retrouver ses hommes. Les hommes qui détenaient Ava.
Je tapote le crâne de Solal. Mes pieds retrouvent le sol, s’apprêtent déjà à prendre la poudre d’escampette.
Je bafouille sans prendre le temps d’articuler.
— Jdoiyalé, jeucroisavoiroùéAva.
— On t’accompagne ! déclare Angèle en frappant sa paume.
Je lève aussitôt les bras pour les tenir à distance.
— Non, ça va aller, dis-je en secouant la tête. Je dois être seul.
Pas question de les impliquer dans mon délire, de leur faire courir le moindre risque.
— Votre rôle, c’est de rester là ! Continuer de manifester, continuer de vous embrasser, vous êtes parfait !
Solal se penche vers sa compagne, un sourcil exagérément froncé :
—Tu comprends ce qu’il raconte ?
— Je crois qu’il s’est mangé un pavé dans la caboche pendant notre absence, réplique Angèle en croisant les bras. Bon, j’espère que tu vas retrouver ta dulcinée Mirek. Et que ce premier date se terminera en beauté.
Je pointe du doigt le masque de plongée qui orne mon crâne.
— Cimer pour le…
Angèle me répond, mais je suis déjà loin.
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Agathe Pearl
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