Fyctia

— Mirek ? Quelle chance, je t'ai enfin retrouvé.

Ces derniers temps la poisse et moi, c’est un bail qui roule.

Alors, quand on évoque la « chance », j’ai souvent envie de dire : oui, mais à quel prix ?

Dans ce cas précis, l’homme dans mon dos qui emploie ce terme manie une figure de style nommée "ironie". Car cette voix, glaciale, qui raidit ma nuque, dilate mon anatomie rien qu’en énonçant mon blase, est un mauvais présage. Vous ne voyez pas de qui je parle ?

OK, on va jouer à un jeu :

Indice : je respire la même joie de vivre que Saroumane, mon âme d’enfant est morte et enterrée dans les ruines d’une garderie -je l'ai tuée moi-même, mon cœur est noir, à l’image de l'intégralité de ma garde-robe, je porte un chapeau, je suis un psychopathe, les deux ne sont aucunement liés, je suis, je suis… ?

Oui. C’est lui.

Bien sûr que c’est lui.

Volco. Au beau milieu d’une fourmilière où circulent dix pélos au mètre carré. Et pourtant, il se tient derrière moi, comme s’il avait toujours été là.

Don’t panic mon gars ! Ne perds pas tes moyens. Oui, il fait flipper et l’imaginer en crop top n’y changera rien -j'le sais, j’ai essayé-, mais il va quand même pas me descendre en pleine manif.

Derrière ses lunettes teintées, je sens qu’il me dévisage, pire, qu’il me défigure. Obligé, il voit son reflet dans mes gouttes de sueur et se trouve badass.

Finalement, il pourrait totalement me buter peu importe le public. C’est un lundi pour lui.

Je fixe l’endroit de la ceinture où il range son arme. Je sais qu’elle est là, dissimulé sous le bas de sa veste, elle et son métal brillant. Elle attend.

Il doit lire dans mes pensées -c'est même une certitude-, car il finit par annoncer :

— Ne crains rien Mirek.

Je fais volte-face en m'écriant :

— D’où vous connaissez mon prénom, espèce de taré !

"Espèce de taré" je l’ai rajouté en off. Stupide, mais pas fou le Mimi -sauf s'il lit vraiment dans ma tête.

— Je l’ai simplement entendu lors de l’annonce de ton passage à la soirée stand-up. Mirek, ce n’est pas un nom d’artiste, n’est-ce pas ?

Je l’savais ! J’aurais dû choisir un pseudo !

— J’ai assisté à ton petit numéro -il contemple une de ses nombreuses bagues. C’était pas mauvais. Tu as du talent jeune homme, j’ai même failli sourire.

Là, c’est sûr, il ment.

— Qu’est-ce que vous me voulez ? Si c’est pour Ava, déso, vous pouvez rentrer chez vous. J’ai aucune idée d’où elle se trouve !

Mais lui, comment s’est-il démerdé pour nous retrouver… encore ? Le bar, le pont, maintenant, la manif ! Il bosse avec des cyborgs ou quoi ?

— Calme-toi Mirek. Je n’ai vraiment pas envie de m’énerver. Au contraire. Je viens en paix.

— En paix?

— En paix.

— Alors pourquoi vous m'le dîtes sur ce ton alors ?

— Quel ton ?

— Justement. Quel ton ? Elles sont passées où les émotions dans votre voix ? Elles profitent de leurs miles pour faire le tour du monde ?

— Je répète, et je déteste me répéter : calme-toi. Garde tes traits d’humour pour tes petites soirées. Si j’accepte de m’entretenir avec toi, c'est pour te transmettre une proposition.

Une proposition ?

— Je m’en tape de vos histoires, je n’ai rien à voir avec vous !

— C’est une proposition de Chris Montini, et ce dernier te considérant comme son rival, dès lors, tu es impliqué. Mais dans ton cas, les choses peuvent encore bien se terminer, donc écoute-moi bien. Chris n’a jamais été très à l’aise avec les mises à mort ainsi, il m’a quémandé cet entretien afin de régler la situation le plus intelligemment possible. Bénissez-le pour ça. Chez les Montini, ce genre de pratique est une exception. Naturellement, si tu me pousses à l’impatience, je me verrais dans l’obligation de sévir. Les cartes sont entre tes mains.

Traduction, sans Chris, je jouerais déjà mon dernier sketch pour les poissons de la Seine. J'essaie d'ignorer la boule qui entrave ma trachée, les muscles de ma mâchoire qui se contractent.

Crop top, Mirek, pense, crop top.

— Vous pouvez me menacer autant que vous voulez, vos coups de pression ne servent à rien. Ni vous ni moi n'avons la moindre idée d'où se cache Ava. Même si…

Il lève la main comme pour saisir ma phrase au vol et l’enfermer entre ses doigts. Devenu muet, je l’observe trifouiller la poche intérieure de sa veste. Il en sort un téléphone vrombissant.

Autour de nous, les gens s’écartent et nous contournent comme si nous dégagions une aura maléfique, comme si une fine barrière invisible les empêchait de trop s’approcher. Cette barrière maléfique s’appelle Volco. Certains manifestants osent des coups d’œil intrigués, mais devant la dégaine de l’homme de main, ils remballent vite leur curiosité.

Il appuie sur le combiné vert qui gigote sur l’écran du portable, apparement contrarié par cette interruption, et le colle à son oreille sans me quitter du regard.

— Volco…, oui,…..............., bien,….............., parfait. Rendez-vous devant le tracteur dans deux minutes.

Visiblement, il a obtenu ce qu’il désirait car il raccroche sèchement, sans même demander comment va la famille.

Je crois percevoir à la commissure de ses lèvres, un minuscule, un indicible rictus, mais c’est quasi de l’art abstrait à ce niveau-là.

— J’ai une bonne nouvelle Mirek -tiens, quelque chose me dit que c'est le retour de l'ironie. Mes hommes ont retrouvé Ava. Elle est désormais entre nos mains. Reprenons notre conversation sur des bases saines.

— C’est impossible, vous bluffez, comment vous auriez pu… ?

— Un magicien ne dévoile jamais ses tours, Mirek. Pourtant je vous avais prévenu sur le pont. Vous ne m’écoutiez pas ? Où que vous alliez, au fond d'une grotte sur un autre hémisphère, je saurais vous retrouver. Ça me désole, j’ai l’impression désagréable de ne pas m’être montré assez convaincant avec toi dès le début. Pour t’éviter de commettre une action que tu finirais par regretter et attirer, je l’espère, définitivement ton attention, laisse moi te demander une chose : Lauren Chapel, ce prénom te dit-il quelque chose ?

Le salaud. Le très, très, gros salaud.