Fyctia
Curedevitamines, de Clémentine
Clémentine et Jim sont assises sur le canapé en attendant notre départ pour les obsèques, pour le funérarium d’abord, et ensuite l’église. Elles sont en train de parler du bébé. Jim caresse le ventre de Clem qui est enceinte de bientôt huit mois, d’un petit garçon. Debout à côté de ma mère qui n’ose plus rien dire vexée depuis que je l’ai rabrouée pour l’empêcher de pleurer devant Jim, je regarde tendrement ma cousine et ma fille qui ont toujours été très proches et qui, d’une certaine façon, se ressemblent beaucoup. Elles sont fortes toutes les deux, et pleines de pep’s, lumineuses. Mes deux lumières, qui m’aident à y voir plus clair, à ne pas m’entraver dans l’obscurité. Clem a d’ailleurs demandé à Jim si elle voulait bien devenir la marraine de son fils. Ce jour-là, le cri suraigu d’une adolescente euphorique m’avait alors percé le tympan, ce qui m’avait fait rire remarque, car Clem, quinze ans plus tôt, lorsque je lui avais posé la même question, lui avais demandé si elle voulait devenir la marraine de ma fille, avait crié avec exactement la même intensité, la même joie communicative. Elle est comme ça, Clem, expansive, heureuse pour les autres, heureuse pour moi. Comme le jour où, pendant les vacances de la Toussaint l’année de la mort de papa, je lui ai raconté que Luc m’avait enfin embrassée…
***
—Ahhh !
Je me bouche les oreilles le temps de laisser Clémentine, toute excitée, finir sa vocalise. C’est qu’elle a vachement du souffle mine de rien. Je me dis alors que ça doit être grâce à toutes ses années de natation. Mamie entre dans la cuisine pile à ce moment-là.
—Oh Clémentine, tu veux me rendre encore plus sourde que je ne le suis déjà ? rouspète-elle en fronçant les sourcils. Bon, les filles, il faut que j’aille faire quelques courses là. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir pour le déjeuner ?
—Des saucisses, répond Clémentine, hilare.
Elle me fait un clin d’œil pendant que mamie a le dos tourné.
Je pouffe.
—Des saucisses ? s’étonne notre grand-mère, sans se douter une seule seconde, bien sûr, de l’illusion plus que douteuse de son innocente petite fille aînée. Avec quoi ? Des lentilles ?
—Parfait des lentilles, merci beaucoup, décidé-je de couper court.
Cette conversation à double sens est beaucoup trop dérangeante pour moi. Clémentine, prise d’un fou rire, a les yeux larmoyants et se tient le ventre entre deux grognements. Mamie la fixe d’un air dubitatif. Moi, je fixe ses rides et ses cernes qui ont doublé de volume depuis la mort de papa, la mort de son fils. J’ai l’impression qu’en deux mois, elle a pris vingt ans. Pourtant, en dépit de l’inconsolable chagrin qui déforme ses traits, elle continue de faire bonne figure, mamie, pour nous, pour les autres.
—C’est la fac de sociologie qui est en train de te rendre maboule ?! J’en étais sûre. Voilà ce que ça donne d’étudier les humains ! finit-elle par conclure avec les deux mains sur les hanches. Bon, j’y vais, à toute à l’heure, mes petites chéries. Pas de bêtises, hein ?
Nous lui répondons en chœur d’une voix douce et fluette comme si on avait encore dix ans (et qu’on cachait un mauvais coup) :
—Promis. À tout à l’heure !
Clem, immobile, attend de la voir partir pour se retourner brusquement vers moi, son visage lumineux s’illuminant de curiosité.
—Et du coup, vous êtes ensemble ?
—Je… Je ne sais pas, on n’en a pas vraiment parlé.
Elle glousse.
—Ouais, c’est difficile de parler avec la langue de l’autre fourrée dans le gosier.
À cause d’elle, je glousse aussi, comme une dinde. Je déteste ça, de ne pas savoir me contrôler, de rigoler de cette façon, bêtement, sans parvenir à m’arrêter. Mais je sais au fond de moi, que ce n’est pas vraiment de ma faute. C’est l’effet Clémentine. Sa folie et sa bonne humeur fonctionnent comme une cure de vitamines. Quant au fou rire qu’on est en train de partager entre cousines le lendemain de la fête des morts, il n’y a pas à dire, ça réconforte, file un coup de fouet, ça fait du bien au corps et au moral.
Surtout qu’hier, je n’ai fait que pleurer.
1 commentaire
Vana Aim
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Il y a un mois