Vanille Lemoro People are strange 8 - La naissance de la passion

8 - La naissance de la passion


Luc et moi continuons de partager son exemplaire de La Divine Comédie.

Du coin de l’œil, je regarde ses mains tourner les pages, souligner quelques passages ici et là, les annoter aussi parfois, pendant que la prof fait son monologue sur le chapitre quatre, la naissance de la passion. L’heure qui suit est étrange, distordue. Elle passe vite et lentement à la fois, je ne sais pas pourquoi. Enfin si, je crois savoir. J’ai envie, non, j’ai besoin d’aller pleurer un peu, parce que je n’ai pas pleuré depuis ce matin avant le petit-déjeuner et je sens bien que je déborde maintenant de larmes, qu’il y en a trop en moi. Ça ressemble au flux instinctif libre. Je n’ai encore jamais essayé mais j’ai vu quelques vidéos à ce sujet sur Youtube. La mise en place de la technique du free flow. C’est quand on se rend aux toilettes et qu’on prend le temps d'observer l'écoulement des menstruations. Cela permet de comprendre à quel moment le flux s'évacue et avec le temps et l’expérience, de le maîtriser, comme on maîtrise ses sphincters finalement. Je renifle en tapant frénétiquement et de plus en plus fort le bout de ma semelle contre le pied de ma table. Si ça pouvait être pareil pour les larmes. Les miennes, sournoises, sont déjà au bord de mes yeux humides et si mon père continue à me sourire comme ça dans ma tête, je ne vais pas tarder à exploser en sanglots en plein milieu de la classe.


Non !


Tous se moqueront comme ils aiment tant le faire. S’acharner sur les faibles. Leurs rires mélangés, en meute, aigus, graves, stridents, tournoieront, me prendront en chasse jusqu’à ce que je finisse par m’enfuir dans les toilettes au fond du couloir dont je connais chaque détail des murs carrelés, taggués des pires conneries au feutre indélébile. Soudain, Luc pousse son livre vers moi, ce qui heureusement m’aide à reprendre mon souffle, à me calmer. A-t’il senti ma détresse ? Je remarque qu’il a écrit un petit truc dessus au crayon à papier, dans le coin en bas de la page.


Les visages semblent laids quand on est seul*, a-t’il noté.


D’un coup, mon cœur s’emballe. Je n’arrive pas à en croire mes yeux, ou plutôt mes oreilles. Papa se met à chanter dans ma tête. Il chantonne les paroles des Doors, son groupe préféré, à qui je dois ce prénom ridicule s’il est porté en France (et si on n’a pas de seins). Je me demande alors… et sa voix, à papa, est-ce que je finirai par l’oublier un jour, comme ma douleur ? Et puis, les larmes, encore. Ces foutues larmes incontrôlables qui vont finir par me submerger si je ne change pas de sujet. Je fronce les sourcils, triste, perdue et un peu curieuse aussi, mine de rien. Je frôle les doigts de Luc en lui piquant son crayon avant d’écrire à mon tour, juste à côté de sa phrase, la suite de la chanson :


Les femmes semblent perverses quand elles ne veulent pas de vous.*


Je le vois sourire avant de me répondre, en anglais.


People are strange when you’s a stranger.*


Frissons. Je ne sais même pas comment on a pu en venir à cette discussion partie de nulle part et qui n’a pas vraiment de sens - sauf peut-être pour nous - mais j’ai adoré. Et quand je réalise que j’ai adoré, mon cœur s’emballe pour la seconde fois. Sauf que cette fois-ci, je ne pense pas à mon père, je pense à un autre truc. Un truc déroutant. Quelque chose que, comme mes larmes ou mes règles, je ne sais visiblement pas contrôler non plus. Gênée, je fouille dans ma trousse pour récupérer ma gomme, puis je me dépêche d’effacer toute notre conversation sous le regard amusé de Luc. Mon cœur bat toujours aussi vite. Pour la première fois depuis des jours – des jours interminables – je ne me repasse pas en boucle les mots trop scientifiques du médecin, les questions trop personnelles de l’employé du funérarium, et la résonnance dans la voix du curé trop catholique à l’église. Pour la première fois, je pense que je l’aime déjà beaucoup ce garçon, alors que je ne le connais même pas.



* « Faces look ugly when you alone

Women seem wicked when you’re unwanted… »

Paroles originales en anglais de la chanson People are strange—The Doors.


*Les gens sont étranges quand on est un étranger.

Traduction de paroles de la chanson People are strange—The Doors.


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24

24 commentaires

IvyC

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Il y a 2 mois

Je continue ma lecture et mon soutien. N'hésite pas à passer sur la mienne 😍

Vanille Lemoro

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Il y a 2 mois

Soutien rendu ;-)

Clara Mazurier

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Il y a 2 mois

J'adore, ils vont avoir une si belle relation, ça se sent ❤ Luc a parfaitement réagi, il a l'air observateur 🥰

Vanille Lemoro

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Il y a 2 mois

:-) Oui, une green relation. :-) hahaha Merci encore Clara pour tes gentils retours qui me touchent énormément.

Stormy__a

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Il y a 2 mois

Pluie de likes pour les fêtes 🎄 n'hésites pas à passer ❤️🫂

Vanille Lemoro

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Il y a 2 mois

Haha, merci. Likes rendus !

Oswine

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Il y a 2 mois

Coucou ! Petit passage de soutien :D Bonne chance à toi, et n'hésite pas à passer chez moi si tu veux 🥰

Renée Vignal

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Il y a 2 mois

Je like pour un soutien :)

Vanille Lemoro

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Il y a 2 mois

Merci. Soutien donné en retour :-)

Aline Puricelli

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Il y a 2 mois

Petit coup de pouce ici, je reviendrai lire ! Je likerai la suite pour t'aider, hésite pas à passer chez moi si tu peux !<3
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