Fyctia

D’un geste, elle fit tourner ses poignets. Un tour complet en un instant, durant lequel ses doigts dansèrent le long d’un tracé imaginaire. Un afflux supplémentaire força enfin l’énergie à traverser l’épiderme et dessiner un glyphe d’un vert émeraude éclatant, presque aveuglant, au bout de ses doigts.

“Oër-seulve !”

En un mot le sort explosa. Le glyphe se fondit dans l’énergie environnante et la dirigea vers le sol. Aussitôt une poignée de terre meuble s’éleva, informe et instable, jusqu’à se placer devant la poitrine d’Edin. La jeune femme fit un pas en arrière et agita ses mains alors que l’énergie non-utilisée se dissipait dans son corps. La douleur se fit aussitôt moins intense.

Puis le sort arriva à son terme. Toute la puissance infusée au lancement finalement consommée, la terre retomba. On fit alors signe à Edin de rejoindre ses camarades sur le côté pendant que les derniers faisaient leurs preuves. Elle repéra un coin isolé, un peu à l’écart, et s’y dirigea en traînant les pieds. Le temps qu’elle arrive, cependant, quelqu’un l’avait devancé et se plaça devant elle comme un piquet, les bras croisés.

“J’ose espérer - scanda la rousse avec une voix qui dégoulinait la suffisance et le mépris - que tu n’appelles pas cette pathétique performance un sort !”

Un petit groupe d’étudiants, différent de celui qui accompagnait la noble quand elle était arrivée à l’université, se rassembla derrière elle. Ils sentaient venir un spectacle comme des requins attirés par le sang. Seule face à une foule qui grandissait lentement mais sûrement, Edin ne put s’empêcher de reculer. De courber le dos et se recroqueviller. La rousse, au contraire, gagnait en suffisance à chaque pas.

“J’imagine que les ogres dans ton genre ignorent tout de la réalité, terrés dans vos trous, mais la magie demande du talent, une chose dont tu es complètement dénuée ! Cet échec est la preuve que tu ne seras jamais mage, et que nous serons bientôt libérés de ta laideur.”

“Moi - répondit Tobial en émergeant de sa droite - j’ai trouvé son sort très réussi.”

“Même mieux - ajouta sa soeur en apparaissant sur sa droite - que le vôtre, mademoiselle !”

L’irruption des jumeaux arrêta net l’avancée de la noble et de sa cour. Le sang monta à ses joues pâles qui virèrent au rouge, et ses grands yeux s’agrandirent encore un peu.

“Pardon ?”

“Eh oui - reprit Soene en agitant un doigt narquois devant la foule - les instructions étaient de lancer le sort, ni plus ni moins. Eh bien c’est ce qu’elle a fait ! Précise, efficace, droit au but. Alors que vous, avec toutes les fioritures et les galipettes, les effets de style pour la frime, quel gâchis ! On ne peut pas dire que ce soit la meilleure façon de pratiquer la magie.”

Tobial profita de l’explosion de la rousse, dont l’attention était désormais tournée entièrement vers l’insolente nordique, pour saisir le poignet d’Edin et l’attirer à l’écart. La jeune femme, encore sous le choc, lutta pour rassembler ses pensées et former une phrase cohérente.

“Vous, d’où, quand…”

“Notre épreuve est finie depuis longtemps, mais ils nous ont autorisés à observer votre examen depuis l’étage pour t’attendre. Quand elle a vu cette pimbêche se diriger vers toi avec son sourire carnassier, Soene a tout de suite compris ce qu’elle avait en tête et s’est précipitée. Tiens - il chercha dans son sac et en tira un mouchoir blanc et bleu qui protégeait une pâtisserie luisante de miel - prends ça. C’est bon pour le cœur.”

Il força presque le gâteau entre ses mains. Avec un geste hésitant, elle mordit dans la pâte. Aussitôt, le goût épais de sucre et de graisse envahit sa bouche. Une larme perla dans le coin de son œil, un sourire se forma au bout de ses lèvres. C’était la meilleure chose qu’elle ait jamais mangé, du réconfort à l’état solide.

“Merci - parvint-elle difficilement à articuler entre deux bouchées - Merci…”

Concentrée sur la douceur qui noyait sa langue, elle put apporter le calme à son esprit agité. La violence et la haine lâchèrent leur emprise et ne restèrent que les mots de la rousse qui flottaient dans son esprit. Ce qu’elle avait dit était vrai, Edin ne serait jamais une grande mage, et elle le savait.