Leo Degal Par vent couvert 25.

25.

Les condoléances frappent Héloïse au visage comme des embruns glacés crachés par la mer. Elle enchaîne les sourires, les demi-phrases convenues, accepte autant d’étreintes affligées qui ne servent à rien. Certains lui serrent la main, lui pressent l’épaule, d’autres lui ressassent une litanie à trois accords : une triste perte, un mec bien, ô terrible destinée.


Ils sont tous tellement, tellement désolés.


Une vingtaine d’entre eux se mettent ensuite en branle vers le restaurant où Daniel a réservé une salle, la promesse d’une promenade à travers le campus, au milieu des étudiants indifférents, sous les nuages. Le groupe se glisse à la queue leu leu sous l’arche, débouche sur la route et remonte vers les zones plus habitées en un troupeau désuni.


Héloïse échange un regard avec Eliott, un embryon de sourire, plutôt une grimace. Il a les yeux luisants d’un homme qu’on entraîne à sa perte, encadré par des âmes bienveillantes qui le privent de toute liberté. Il capitule, à l’avant du cortège, tandis qu’Héloïse reste à l’arrière, mains dans les poches. Peu à peu, on comprend son besoin de solitude et on la laisse tranquille, elle se fait distancer.


Puis elle tourne la tête et l’aperçoit.


Un homme dans un épais manteau vert sapin, un bonnet vissé sur le crâne, près de la grande cloche en bronze du Centre Asiatique. Il observe leur petit groupe, sourcils froncés sous une ligne de laine grise, puis croise le regard d’Héloïse et baisse vivement les yeux.


Elle sait qu’elle ne ressemble pas à Gal, pas du tout. Il est grand et fort, blond, les iris clairs, le teint pâle. Elle est plus menue, les cheveux châtains, les prunelles couleur humus, le visage plus rond, le nez plus court, la peau hâlée. Mystère de la génétique. Ils ont d’autres points communs.


Sans attendre, portée par la stupéfaction, elle marche vers l’intrus.


— Vous êtes Félix Shearwater, l’apostrophe-t-elle, index levé.


Il sursaute, le fixe comme si elle avait proféré une insulte.


— Tu es la sœur de Gal, lâche-t-il.


Shearwater est plus grand qu’elle ne l’avait imaginé, mais aussi très mince, un roseau plus qu’un chêne, qu’elle espère faire plier. Elle musèle la rage qui l’étreint, une compétence indispensable dans sa branche. La bienveillance factice du psy, qui conserve sa réserve en toute occasion, même quand elle a envie de balancer un patient par la fenêtre ou de lui hurler ses quatre vérités.


— Qu’est-ce que vous faites ici ? demande-t-elle, mesurée.

— J’ai entendu parler de la cérémonie par une collègue de l’Institut de Foresterie.

— Et ?


Il jette un œil derrière son épaule, inquiet, scrute le sous-bois, la façade vitrée du bâtiment voisin, comme si quelqu’un les épiait.


— Est-ce que tu as ses carnets ? souffle-t-il.

— Pas avec moi.


Il relâche sa respiration.


— Tu les as lus ? demande-t-il.

— Non. Pourquoi l’aurais-je fait ? Gal est mort d’une overdose.

— Ha !


Félix secoue la tête, le visage contracté par un mélange d’émotions compliquées.


— Héloïse ?


Daniel redescend la rue dans sa direction, Héloïse s’écarte de son interlocuteur, puis se retourne, mais Shearwater s’éloigne déjà sur le sentier qui longe le Centre Asiatique et s’enfonce dans les bois. De là, il rejoindra la route qui ceint le campus, puis sa voiture ou la plage.


Dans sa poche, son téléphone vibre. Elle s’empêche de le consulter.


— Tout va bien ? demande Daniel, inquiet.

— Oui.


Que dire, que lui avouer ?


— Un prof qui voulait me présenter ses condoléances, ça a un peu duré.


Le doctorant lui offre son bras, elle le prend par réflexe.


Peut-elle encore rattraper Shearwater ?


Dans son poing, elle serre le téléphone, l’espoir qu’il ne va pas en rester là. Après tout, il veut ces foutus carnets, la raison de sa présence hors de son île.


Mais Daniel l’entraîne à la suite du groupe qui les attend sur l’avenue principale. Elle regarde en arrière, ne voit plus personne.


L'oiseau de mer s'est à nouveau envolé.

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42

42 commentaires

camillep

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Il y a 11 jours

Tu vois … mon sentiment à propos de Daniel s’intensifie avec ce chapitre

Leo Degal

-

Il y a 2 jours

Sacré Daniel si suspect...

Merle Hewitt

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Il y a 11 jours

Ces fameux carnets vont jouer un rôle important, on dirait. Reste à les retrouver en premier !

Leo Degal

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Il y a 2 jours

Peut-être qu'ils ont brûlé dans une poubelle avant même le début du roman 🤷🏼‍♀️

aurora.R

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Il y a 11 jours

🤔 elle est donc sûre qu’il s’agit de lui dans la messagerie privée. Le type lui parle direct dès carnets, on le suppose aussi. Intriguant qu’il lui demande si elle les a lu. Que contiennent ils donc 🤔 J’ai bien aimé comme était placée la comparaison physique entre Gal et Héloïse 😉

Leo Degal

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Il y a 2 jours

Disons qu'elle le reconnait, vu qu'elle l'a cherché sur Internet la veille, et la coïncidence semble un peu énorme, du coup...

Nicolasm59

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Il y a 12 jours

Il faut qu’elle trouve ces carnets ! Tu joues avec nos nerfs 😄

Leo Degal

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Il y a 2 jours

C'est la chasse au trésor 😂

Mary Lev

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Il y a 12 jours

Quand même je me demande comment elle va s’en tirer quand l’oiseau comprendra qu’elle ne les a pas les carnets justement. C’est un peu glauque d’être venu fouiner pendant la cérémonie, pas très classe !

Leo Degal

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Il y a 2 jours

Peut-être voulait-il simplement lui rendre hommage, lui aussi... et espérait-il la croiser au passage...
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