Fyctia
19 - Skylar.
Dans une à plusieurs minutes, je vais recevoir les premières informations de mon Opposé. Mon Opposé à moi, Skylar Beauce, celle qui n’attire jamais le regard des autres sur elle, qui se fond dans la masse pour cacher son côté bizarre, celle dont personne ne se souvient jamais, qu’on ne veut pas apprendre à connaître non plus, la fille aux cheveux colorés, ni moche ni jolie, juste banale, plate comme une limande et au front peut-être un peu trop large, qui adore danser sous l’orage, parle aux insectes et aux ombres de la nuit, donne un prénom à son ordinateur et cajole ses consoles, boit beaucoup trop de café et de boisson énergisante, a un rire de phoque à l’agonie, qui ne se sépare jamais de sa robe de chambre Hello Kitty à l’odeur de poisson en décomposition, se cache les dents quand elle sourit, qui rigole à ses propres blagues parce que sinon personne ne le ferait, celle qui a le cœur brisé et qui ne sait pas si elle est capable d’aimer à nouveau un jour.
Dans une à plusieurs minutes, je vais recevoir les premières informations de celui qui ne fait ou n’aime aucune de ces différentes choses mais qui apprendra à m’apprécier sincèrement pour elles.
Théoriquement.
Alors je fixe la barre de chargement avec une appréhension et une excitation grandissantes, le rouge aux joues, les larmes aux yeux et des papillons dans le ventre.
Je me surprends à sourire.
Pire, à espérer.
Puis, quand le téléchargement arrive à son terme, le téléphone vibre entre mes mains - ou est-ce moi qui tremble ? - et une sorte de jingle familier retentit, une étrange mélodie. Elle se répercute sur les murs de ma chambre en écho avec les battements effrénés de mon cœur. Je connais cette douce mélopée, je l’ai déjà entendue une fois, dans la volière d’un parc zoologique à Arcachon : le chant dissonant d’un cygne noir pour interpeller sa partenaire. Je m’en souviens aussi bien car je me rappelle avoir été émue aux larmes par la sérénade de l’animal, connu pour sa fidélité et sa capacité à aimer inconditionnellement son âme sœur. Puis, Lénaïg s’était moqué de moi et de ma capacité légendaire à m’émouvoir pour toutes choses insignifiantes, avant de lancer un caillou sur le volatile (avertissement number two ?) qui avait protesté en battant l’air de ses grandes ailes sombres. C’est vrai que j’étais ébranlée pour tout et rien. Surtout rien.
Un jour, j’avais même pleuré devant une publicité pour un yaourt aux fruits.
[ **Lucie** : Analyse terminée.
Succès : 100%.
Correspondances : 3.
Calcul de la meilleure correspondance en cours…
…
...
Opposition idéale trouvée.
Skylar, je suis ravie de t’annoncer que j’ai trouvé ton Opposé !
Wahou ! Les résultats avec lui sont re-mar-qua-bles. Votre Opposition est absolument fantastique, estimée à 97%, avec une marge d’erreur de ma part de 0,013% seulement. C’est la première fois qu’un bilan de discordance est aussi élevé sur l’application.
Je suis très excitée à l’idée de vous coacher tous les deux.
Dès que ton Opposé sera informé de son Opposition avec toi, je débloquerai la première fonctionnalité : la chatbox. Tu recevras également son pseudo ainsi que les premières informations sur ton Opposé, celles que je jugerai suffisamment intéressantes pour que vous puissiez entamer la conversation pour prendre la bonne direction et entamer votre symétrie.
Ouh ouh, que j’ai hâte de vous distribuer les premières Plumes !
Si tu en ressens le besoin, tu seras en mesure de débloquer tes deux autres correspondances via le menu de ton Tableau de bord. Sache seulement que tes affinités possibles avec ces deux autres utilisateurs ne seront pas optimales.
Seule ton Opposition garantit un taux de succès à 99%.
Tiens bien tes notifications à l’oeil. ]
Bouche bée, incapable de bouger, je relis le message de Lucie une deuxième fois, le souffle coupé. Quand l’information remonte enfin au cerveau, je pousse un grand cri euphorique chargé de surprise et saute du lit comme une brute. J’entame une petite danse de la joie et me précipite dans le couloir, serrant mon smartphone dans le creux de ma main comme s’il s’agissait d’un œuf de dragon à un million d’euros.
Pour la deuxième fois en moins de 24h, j’entre dans la chambre de Vinnie sans y être invitée.
« Chat ! Tu ne devineras jamais ! » crié-je.
Mon colocataire, à priori en plein milieu d’un raid avec sa guilde sur World of Warcraft, fait un bond de trois mètres sur sa chaise. Sans pour autant lever ses mains luisantes de graisse de son clavier mécanique, il tourne la tête vers moi, au ralenti, la bouche grande ouverte, le teint cramoisi et les yeux striés de vaisseaux sanguins à deux doigts de sortir de leurs orbites. Il arrache son casque de ses oreilles d’un geste rageur et me rugit dessus.
« Putain, t’es pas foutue de toquer avant d’entrer ? »
Une flopée de postillons rageurs viennent maculer son bureau jonché de canettes vides de Monster Energy et de paquets de chips béants. Comment savoir le niveau de difficulté du raid en cours ? Il suffit simplement de jeter un coup d'œil au plan de travail de Vinnie. S’il est aussi propre que le service immunité d’un hôpital ? Facile. Si on dirait la moquette d’un cinéma à la fin de la diffusion ? Difficile. Là, on doit carrément être sur une quête de niveau héroïque. Pas vraiment le moment pour l’embêter, quoi. Je me tâte à montrer patte blanche et à faire demi-tour pour exploser seule dans ma chambre mais je suis bien trop excitée, j’ai besoin de partager les résultats de l’application de rencontre avec lui. Et puis, je n’en serais pas là s’il ne m’avait pas poussé à le faire.
« J’ai un Opposé, Vinnie ! Une discordance à 97% ! C’est la première fois que l’application a un résultat aussi élevé ! »
J’agite le téléphone au-dessus de mon épaule, me tortillant de plaisir comme une enfant devant une caisse entière de bonbons, un sourire jusqu’aux oreilles. Je prends conscience que, pour la première fois depuis cet été, il n’est pas feint comme tous les autres.
Je vois bien que j’ai piqué la curiosité de mon meilleur ami. Ce dernier alterne successivement son regard entre moi et l’écran de son ordinateur, les sourcils froncés. Il se mord la lèvre inférieure et triture le nœud qui retient ses longs cheveux noirs. Quand il ferme les yeux et lâche un soupir résigné, je sais que j’ai gagné la partie. Il marmonne un “AFK” amer dans son micro.
« Montre-moi ça. » dit-il en faisant rouler son fauteuil pour me faire face.
Je pousse un petit cri de souris surexcitée et sautille jusqu’à lui. J’attrape son visage en coupe et lui donne un bisou sur sa joue couturée de cicatrices d’acnée. Le visage empourpré, il me repousse en maugréant mais je vois bien qu’une petite étincelle ravie brille derrière la barrière de ses cils sombres. Je m’assois en amazone sur l’accoudoir de son fauteuil, déverrouille mon téléphone et le lui fourre entre les mains.
« Tiens, regarde ! »
10 commentaires
Scarlett Owens
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Il y a 4 ans
Hilena
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Eleonora_Stofferis
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans