Fyctia

La semaine c'est terminé sans que je m'en aperçoive. Comme à notre habitude depuis qu'on sort ensemble, Devon et moi avons pris le temps de nous retrouver tous les deux après les cours. Ne pouvant pas nous voir du week-end, nous avons donc apprécié davantage notre moment. J'ai encore du mal à me faire à l'idée qu'il m'a choisi moi, parmi toutes les autres filles qu'il peut avoir. Ça me semble toujours bien trop beau pour être vrai, alors je savoure à fond chaque moment qu'il m'offre. C'est vrai quand on y pense, quelle chance il y avait pour que le beau-gosse du bahut remarque la fille terne et balafrée que je suis ?   

Je sens une boule d'angoisse se former et me force à la chasser. Je souhaite profiter au maximum du temps qu'il m'est donné avec Devon et je ne compte pas laisser l'angoisse et les doutes se frayer un chemin dans mes pensées. Je n'ai pas pour prétention de croire que ça durera toute la vie, mais j'ai envie d'être heureuse alors je vais m'efforcer de faire taire mes peurs et de savourer la vie autant que je le peux.  Comme me l'a souvent répété Shirley ces derniers temps, il est temps que je vive à nouveau.  

Quand j'arrive à la maison, Luc et ma mère sont déjà présents. La tension qui règne entre eux et tellement palpable, que je me fais le plus discrète possible et monte rapidement dans ma chambre, sans même annoncer mon retour à ma mère.  

*** 

C'est avec appréhension que je descends rejoindre mes parents au moment du repas. Luc est sous tension depuis plusieurs jours à cause de son travail et ses accès de colère sont de plus en plus nombreux. Tout est prétexte pour râler, comme par exemple, la sauce de ce soir qui n'est pas à son goût et le moindre truc peut le faire exploser. Et aujourd'hui, c'est sur moi que va se déchainer sa foudre... En débarrassant la table, je fais malencontreusement tomber un peu de sauce sur la nappe et sur le pantalon de Luc. 

— Bordel de merde ! s'écrit-il rageusement en se levant brusquement, me bousculant au passage et faisant tomber les assiettes que j'avais dans les mains. Mais qui m'a foutu une empotée pareille !  

La gifle s'abat sur ma joue avant même que je ne la vois arriver. Les larmes me montent aux yeux mais je m'efforce de les contenir. Ma mère étouffe un cri, mais ne bouge pas. Je me dépêche de ramasser les débris de vaisselle pendant que Luc continue à me hurler dessus. Dans la précipitation, je me coupe le doigt et lâche un juron. Il n'en faut pas plus à mon beau-père pour qu'il laisse éclater sa colère... 

*** 

C'est avec peine que je finis par réussir à retirer mon pull et mon débardeur. Je retiens un cri en apercevant dans le miroir l'ampleur des marques qui commencent à orner mes côtes. Heureusement que je n'ai pas prévu de voir Devon ou Shirley ce week-end, car je n'aurai pas été en état de bouger ! Difficilement, j'enfile mon pyjama et me glisse dans mon lit en serrant les dents. J'aimerais tant que tout ça cesse, que ma mère réagisse enfin pour me protéger, nous protéger ! Je me demande souvent combien de temps je vais réussir à supporter les coups et les insultes ? Combien de temps encore je vais devoir voir mon corps criblé de bleus ? Quand est-ce que je n'aurais plus à voir les marques sur ma mère ? Et surtout, quand serai-je enfin vraiment heureuse et épanouie ? Dans ces moments-là, le manque de mon père et de son amour inconditionnel explose dans ma poitrine et je n'ai qu'une envie, me laisser couler. 

Plusieurs fois j'ai voulu dire : "STOP".  Il me suffirait juste d'une bonne dose de cachets et "pouf", adieu la souffrance et la tristesse. Mais je ne peux pas laisser ma mère seule. Et au fond de moi, j'ai envie de vivre. 

J'attrape la bouteille d'eau et la boîte de doliprane qui traîne sur ma table de chevet, avale un cachet pour soulager mon corps meurtri, puis écouteurs sur les oreilles et les yeux rivés sur le plafond, j'autorise enfin les larmes à couler.