Fyctia

New York, colocation des garçons, décembre trois ans plus tôt.

- Attention Hewitt, je vais te faire un câlin !

Comme toujours quand je prononce cette phrase, Adelie se raidit un instant. Nous avons mis cette technique au point en réalisant que mes élans de tendresse physique la mettaient mal à l’aise la plupart du temps. J’annonce donc la couleur pour lui donner la possibilité d’esquiver si elle le souhaite.

Mais ce soir, elle me laisse faire. À dire vrai, depuis quelques semaines, elle ne refuse presque plus jamais. Notre relation, qui était au début purement professionnelle et scolaire, est en train d’évoluer, lentement mais sûrement, vers quelque chose de plus intime et de plus complice.

Évidement, Adelie refuse catégoriquement de dire que nous sommes amis. Mais je soupçonne cette petite peste de le faire juste pour m’emmerder. Car oui, grand progrès, Adelie Hewitt se sent suffisamment à l’aise avec moi pour me taquiner. Et suffisamment à l’aise pour me laisser l’enlacer. Ce dont je ne me prive évidemment pas. Je passe les bras autour d’elle, attirant par la même occasion son dos contre mon torse, puis je dépose mon menton sur son épaule.

- Tout va bien, ma beauté ? Tu passes une bonne soirée ?

- Je ne suis pas ta beauté !

- Bien sûr que si !

Et je pousse ma chance jusqu’à lui claquer un gros baiser sur la joue.

Je suis d’humeur particulièrement câline ce soir, parce que nous nous apprêtons à nous séparer pour les vacances de Noël. Dix jours sans les voir ! Cette bande d’andouilles me manque déjà. Mais avant ça, Elena, secondée par Isabelle, a proposé que nous célébrions Noël tous les sept à la coloc.

- Quand vous aurez fini votre câlin, il est temps d’ouvrir les cadeaux apparemment.

- Ne sois pas jaloux, Nathan. C’est normal qu’Adelie me préfère. Elle sait faire la différence entre un petit garçon et un homme, un vrai.

Nathan m’adresse un doigt d’honneur.

- Un homme ? Où ça, un homme ?

Vous pouvez compter sur Adelie Hewitt pour faire dégonfler votre ego plus vite qu’un pneu dans un champ de clous.

- Tu me brises le cœur, Hewitt !

- Attention, Addie, si tu es trop méchante avec ce pauvre Benny, le père Noël ne t’apportera pas de cadeau.

Adelie adresse une grimace à son frère qui vient de se mêler à la conversation. Samuel me l’arrache littéralement des bras pour la serrer contre lui.

- Hé ! Ce n'est pas juste, vous allez avoir dix jours pour vous faire des câlins !

Je fais mine de vouloir les séparer, mais au lieu de reprendre Adelie dans mes bras, comme ils s’y attendent tous, j’enlace Samuel.

- Oh Samy, tu vas tellement me manquer ! Comment vais-je survivre si longtemps sans ta présence virile et rassurante ?

Je plaisante sur la partie virile et rassurante, en revanche Samuel va réellement me manquer. Et si, comme sa sœur, au début il n’était pas très à l’aise avec mes câlins, il a fini par s’y habituer. Il me rend donc mon étreinte et me tapote deux fois la tête, affectueusement.

- Éloigne-toi de mon copain avant que je te tire les cheveux, Benn.

- Oh voyons, Lena, il va vraiment falloir travailler sur ta confiance en toi. Se sentir menacée par son petit frère à ton âge, ce n’est pas bon signe. Et puis, tu sais que Samy n’est pas mon genre.

- Va poser ton cul sur le canapé avant que je n’y enfonce mon talon, crétin.

J’adresse un salut militaire à ma sœur puis attrape Adelie par la main.

- Vu le cirque que tu nous as fait pour avoir qui tu voulais au secret santa, j’aurais pensé que tu serais déjà devant le sapin depuis dix minutes, en rajoute Nathan, à qui je fais les gros yeux.

- Comment ça ? demande Elena, suspicieuse.

Le secret santa, c’était l’idée d’Isabelle. Mais ma juriste de sœur n’aime rien plus que de faire respecter les règles. Si elle sait que j’ai magouillé pour obtenir un prénom en particulier, elle pourrait bien réellement me tirer les cheveux. Je m’éloigne donc rapidement.

- Tu as triché au secret santa ? me chuchote Adelie.

En réponse, je lui adresse un clin d’œil. C’est son prénom que je voulais, évidemment que c’était le sien. Mais j’ai tiré celui d’Isabelle. Il a donc fallu négocier avec Nathan pour qu’il accepte d’échanger avec moi. Et je ne regrette absolument rien. J’ai tellement hâte de voir sa tête quand elle va découvrir son cadeau.

- Qui commence ? demande ma sœur quand tout le monde est assis et a quelque chose à boire.

- Moi ! Moi ! Moi !

- Évidemment ! Pourquoi je ne suis pas surprise ? Vas-y petit con !

Je me penche pour attraper le petit sac en velours dans lequel j’ai emballé mon cadeau et le tends à Adelie.

- Joyeux Noël, ma beauté !

- Tu as triché au secret santa pour m’avoir !?

- Triché, quel vilain mot. Disons que j’ai manipulé les faits pour parvenir à mes fins.

Adelie fixe le paquet comme s’il allait brusquement lui exploser au visage.

- Ne fais pas ta chochotte, Hewitt. Cap ou pas cap de l’ouvrir ?

Une lueur de défi s’allume dans le regard d’Adelie et, juste après, elle défait le nœud qui maintient le sac fermé. Au cours des dernières semaines, le cap ou pas cap est devenu notre mode de fonctionnement par défaut. Elle plonge la main dans le sac et en ressort…

- Des patchs pour empêcher les joues de rougir !?

Je voulais piocher Adelie avant même de tomber sur cette petite merveille. Et je le voulais encore plus après.

- Tu les mets au froid, ensuite, tu les poses sur tes joues et hop, fini les rougeurs. Tu vas enfin pouvoir cacher ton émoi chaque fois que tu me vois, ce n'est pas génial ?

Adelie, les joues plus rouges que jamais, me colle un coup de poing dans le bras qui fait s’esclaffer tous nos amis.

- Ma vengeance sera terrible, Lowell. Terrible ! annonce-t-elle en me laissant malgré tout lui faire un nouveau câlin.

Un frisson me parcourt. C’est bizarre, mais j’ai presque hâte de voir ça !