Mauranne BP On both sides Chapitre 55

Chapitre 55

Ma mère passe la porte à vingt-deux heures vingt-trois. Je le sais parce que j’ai compté les minutes jusqu’à maintenant, depuis qu’Élie m’a lancé son ultimatum. C’est stupide et incomparable, et pourtant, j’angoisse autant que quand j’ai fait mon coming out, quatre ans plus tôt.


— Joce ! Un café ? braille Élie du canapé.


Ma mère me dévisage, troublée par ma présence sur la première marche de l’escalier.


— Euh… oui, merci, chérie.


— À votre service, meilleure mère de la Terre, crie-t-elle pour se faire entendre par-dessus le grondement de la cafetière.


— Qu’est-ce qu’elle a ? me demande ma mère à voix basse.


Je hausse les épaules, incapable de formuler le moindre mot. J’arrache la peau autour de mes ongles tandis qu’elle se défait de ses chaussures et de son manteau. Elle pénètre ensuite dans le salon et se laisse tomber sur le canapé.


— Mulan II ? Très bon choix.


— Oui, confirme Élie en lui tendant une tasse fumante. Encore plus de dramas, encore plus de romance, youpi !


Elle est nerveuse. Ce qui amplifie ma propre nervosité.


— M…maman ? bredouillé-je tandis que je regagne le salon à pas lents.


— Oui, mon cœur ?


— Je… je… je…


Il faut que je respire. Que j’arrête de réfléchir à tous les scénarios possibles et imaginables. Je dois juste lui dire. Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. J’écris des romans. Et alors ?


Elle se tourne pour me regarder, et je me figea sur place. Je ne vais jamais y arriver. Jamais. C’est trop dur. J’harponne le regard de ma meilleure amie, paniqué.


— Mes parents vont divorcer.


Ma mère se tourne brusquement vers Élie, qui vient de me sauver la mise.


— Quoi ? Mais pourquoi ? Comment ? Quand ? Oh, chérie, viens là…


Cette dernière se blottit dans les bras rassurants de sa deuxième maman.


— Tu sens l’hôpital, grimace-t-elle, tout en sanglotant.


— Je sais !


Elle passe ses doigts dans les cheveux arc-en-ciel d’Élie. Je me sens presque de trop. Même si ma meilleure amie a parlé de ses parents pour faire diversion, je prends conscience qu’elle avait aussi vraiment besoin d’en parler à ma mère. Elles se confient souvent l’une à l’autre, parfois même sans moi. Élie est un peu sa fille, d’une certaine façon. Ma mère serait probablement presque aussi anéantie que moi, si on venait à ne plus se parler un jour.


— Ça n’allait déjà pas très fort avant que vous déménagiez, renifle Élie alors que je m’installe à côté d’elle dans le canapé. C’est ma mère qui a parlé de divorce en premier. Mon père a accepté. Je sais au fond de moi que c’est la bonne décision. Mais je n’arrive pas à l’accepter. Et maintenant, je dois choisir avec qui je veux vivre… je ne veux pas choisir l’un ou l’autre, Joce. Je les aime tous les deux, moi…


— Oh, ma chérie… Ça va aller, ne t’inquiète pas. On est passés par là, tu le sais. C’est vraiment pénible mais ça s’arrange avec le temps. Tu verras.


Je pose ma main sur sa cuisse et lui souris.


— On sera toujours là pour toi. Peu importe l’heure, peu importe la situation.


— Est-ce que tu peux me mettre ça par écrit, s’il te plait ? couine-t-elle. Histoire que si un jour je décide de faire une fugue et d’emménager ici, tu ne puisses pas me le refuser ?


Ma mère lui tape gentiment l’arrière de la tête.


— Ne dis pas des choses comme ça ! Tu veux faire de la peine à tes parents, c’est ça ?


— Maman ! Ne la culpabilise pas, elle est triste !


— C’est mon rôle de mère de culpabiliser mes enfants, grommelle-t-elle avant de siroter son café tiède.


Le regard d’Élie s’illumine à « mes enfants ». Puis, elle se tourne vers moi, l’air de dire :  « C’est ton tour ». L’angoisse revient à la charge.


— Maman… euh… j’aimerais te parler de quelque chose…


— Mmh ?


J’inspire profondément. Je peux le faire. Il faut juste que je me lance.


— Je sais que tu veux que j’ai une belle vie. Je sais aussi que tu as fait beaucoup de sacrifices pour moi, quand papa est parti. Devenir infirmière a fait partie de ces sacrifices, j’en ai bien conscience… Tu m’as toujours poussé pour que je réussisse à l’école… Tu m’as toujours soutenu, motivé, tu m’as toujours tout donné, et… je suis vraiment désolé, maman, mais…


— Mais tu veux devenir écrivain.


Je lève des yeux ronds vers elle. Élie broie ma main dans la sienne.


— Q…quoi ? balbutié-je.


— J’ai une confidence à te faire, moi aussi. Si je ne t’ai toujours pas rendu ton téléphone, c’est parce que je n’arrive plus à m’arrêter de lire.


Mon cerveau a cessé de fonctionner. Il se passe quoi ? Ma mère, qui n’a jamais considéré la lecture ou l’écriture autrement que comme des passe-temps, n’arrive plus à s’arrêter de lire ? Mes romans, à moi ?


Elle attend que je réagisse, je la connais assez pour le savoir. Mais je suis trop choqué. Aucun de mes scénarios catastrophe ne s’est produit. Même pas le moins pire de tous. Du coup, je ne sais pas quoi dire. Il y a forcément anguille sous roche. Ça ne peut pas juste se passer comme ça. Pas aussi bien, pas aussi simplement.


— Bon, vous comptez vous regarder dans le blanc des yeux le reste de la nuit ou tu vas lui dire à quel point tu es fière de lui, Joce ?


Ma mère tourne son visage dans la direction d’Élie, mettant fin à notre échange visuel gênant.


— Allez, lâche-toi !


Et ma mère se lâche. Elle éclate en sanglots.


— Je pensais plus à des cris de joie qu’à des larmes mais pourquoi pas, marmonne ma meilleure amie, mal à l’aise. Enfin si elles sont de joie aussi, évidemment…


— Je peux te l’assurer, ce sont des larmes de joie, chérie ! Je suis tellement soulagée que tu aies trouvé un moyen d’extérioriser toute cette douleur, Alix. Tu n’imagines pas à quel p…


Mon corps heurte le sien, et je noue mes bras autour de sa nuque. Le poids dans ma poitrine s’envole.


— Cette journée est vraiment, vraiment beaucoup trop forte en émotions !


— À qui le dis-tu ! couiné-je. Je suis vidé. Comblé, mais vidé.


— Oh, moi aussi, soupire ma mère. Rencontrer Tamara pour la première fois m’a beaucoup travaillé. J’avais peur que ton père soit tombé sur une cruche. Mais non, elle est adorable, désintéressée, gentille. Et finalement, je crois que c’est encore pire ! Parce que je vais devoir l’aimer, alors que je n’en ai vraiment pas envie.


Je me mets à rire.


— Arrête, maman, je me suis fait le même constat ! C’est horrible !


— Merde alors, rit-elle, et je lui envoie une petite tape derrière la tête.


— Langage !


— Tais-toi, gamin ingrat. Ou je t’envoie chez ta belle-mère.


J’ouvre grand la bouche mais ne trouve rien à rétorquer.


— Bon, trêve de plaisanterie. Je suis vraiment très fière de toi, mon cœur. Pour tout ce que tu as accompli jusqu’à maintenant et tout ce que tu vas encore accomplir dans le futur. Et si c’est vraiment ce que tu veux, alors mets tout en œuvre pour que ton rêve se réalise. Je serai toujours derrière toi, quoi qu’il arrive.

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2 commentaires

Laurie Lecler

-

Il y a 2 ans

Joce ❤️❤️❤️❤️❤️

Mauranne BP

-

Il y a 2 ans

😍
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