Fyctia
Chapitre 50 (1/2)
Ma mère craque à peine la porte d’entrée refermée. Elle se laisse tomber sur la première marche de nos escaliers et se met à pleurer.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? s’écrie Élie en se précipitant sur elle.
— C’est la pression qui retombe, chérie, c’est rien.
— Vous avez été formidable, Jocelyne, intervient Swann, planté dans le hall d’entrée. Je… je ne sais même pas comment vous remercier… je… merci. Beaucoup.
— Je t’en prie, Swann. J’espère que je n’ai pas trop abusé quand même, dit-elle en essuyant ses larmes d’un revers de manche.
— Si, ricane-t-il, nerveux. Mais je pense qu’il en avait besoin. Personne ne lui a jamais parlé comme ça, vous savez.
— Oh, pour l’amour du ciel, Swann, tutoie-moi. Je ne suis pas si vieille.
Ma meilleure amie étouffe un rire. Mon charmant voisin grimace avant d’acquiescer. Je glisse mes doigts dans les siens.
— Je suis content que tu sois là, soufflé-je. Comment tu te sens ?
— Ça va… je me sens affreusement nerveux. Je… j’aimerais être dans sa tête, pour savoir ce qu’il pense de tout ça…
— Moi aussi.
— Et moi donc, surenchérit ma mère, qui reprend peu à peu contenance. Bon. Et si on se faisait livrer ? Je meurs de faim, je n’ai pas du tout envie de me mettre aux fourneaux, et j’ai envie de manger bien gras. Alors ?
Les yeux de ma meilleure amie s’illuminent.
— Tu sais que je t’aime, Joce ?
— Ah, le pouvoir de la malbouffe, rit ma mère. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
Son téléphone sonne au même moment. Elle fouille son sac à mains.
— Oh, un potentiel livreur, ricane-t-elle en décrochant. Olivier ?
Mon cœur manque un battement. Ma meilleure amie me dévisage en grimaçant.
— Bien sûr, si tu veux. On allait justement voir pour commander à manger… Et si tu allais nous chercher des burgers ? J’ai trois adolescents affamés à nourrir. Et je meurs de faim. Burgers, ça vous va ? nous demande-t-elle en éloignant le téléphone de son oreille pour je ne sais quelle raison.
Swann et Élie approuvent, conquis par l’idée.
****
Mon père débarque à la porte d’entrée presque une heure après son coup de téléphone. Ma mère me demande d’aller ouvrir. Une petite tête blonde enroule ses bras autour de mes jambes. Purée, maman. Cette traitresse ne m’a pas prévenu, évidemment. Je décide de passer l’éponge parce qu’elle m’a vraiment soutenu ce matin, mais je suis dans un état second.
— Alix ! s’écrie la tête blonde. C’est toi, mon grand frère ?
Je suis incapable de masquer ma grimace. Sa voix est absolument adorable. Sa bouille aussi. Mais je n’ai pas la moindre envie de connaître cette gamine. Elle m’a pris ma place.
— Je te présente Victoire, souffle mon père, mal à l’aise. Et Tamara, ajoute-t-il en passant son bras libre autour de la taille de sa fiancée.
— Je suis ravie de faire ta connaissance, me sourit cette dernière. Ton père m’a tellement parlé de toi !
Je prends sur moi lorsque Tamara s’avance pour m’embrasser. Le contact physique avec les gens que je ne connais pas me met extrêmement mal à l’aise.
Elle est grande, mince, blonde, parfaite. Presque aussi belle que ma mère. Elle semble un peu plus jeune que mon père, mais pas dans l’abus non plus. Victoire se faufile entre mon corps et l’encadrement de la porte et s’engouffre dans la maison. Je me pousse pour les laisser entrer, même si je n’en ai pas envie. Tamara entre la première.
Mon père pose une main gênée sur mon épaule. Ce contact n’est pas désagréable. Mais, j’ignore pourquoi, il me pince le cœur. Mon esprit est tiraillé entre lui dire de dégager et ne plus jamais mettre les pieds ici ou le prendre dans mes bras et lui dire qu’il m’a manqué.
— Je suis content d’être là, me dit-il avant de s’avancer vers le salon.
Je referme la porte d’entrée, désorienté. Élie me rejoint, inquiète.
— Est-ce que ça va ?
— Ça va…
— Il a voulu me faire la bise mais je l’ai snobé, annonce-t-elle fièrement. C’est pas parce qu’il a ramené la bouffe que ça pardonne toutes ses conneries.
J’étouffe un rire coupable.
— Je t’aime, El, dis-je avant de la prendre dans mes bras. Merci d’être là, merci d’être toi.
Elle m’étreint en retour, enfouit sa crinière arc-en-ciel dans le creux de mon cou, le dos voûté pour se mettre à mon niveau. Puis elle se détache de moi et me claque les fesses.
— Moi aussi, merdeux. Allez, je meurs de faim.
Swann est debout au milieu du salon, les mains glissées dans les poches arrières de son jogging. Victoire se plante devant lui.
— T’es qui, toi ? lui demande-t-elle avec toute l’innocence d’une petite fille de quatre ans.
— Je m’appelle Swann, lui répond-il en s’accroupissant. Je suis… le petit-ami de ton frère.
Mon cœur explose.
— Oh putain, il l’a dit ! beugle Élie.
— Mes oreilles, grimacé-je, le cœur battant la chamade. C’est moi qui devrait être excité, pas toi !
— Tu n’es pas excité ?
— Bien sûr que si, couiné-je. Écoute.
Je prends sa main dans la mienne pour la plaquer contre ma poitrine.
— Hiii, glousse-t-elle.
— Et après tu oses dire que tu n’es pas fleur bleue, la raillé-je.
— Chut. J’ai une réputation à tenir.
Je lève les yeux au ciel, un sourire béat sur les lèvres.
— Le petit-ami de mon frère ? répète Victoire, une main sur son menton. Ça veut dire que tu es son amoureux, c’est ça ?
Mon petit-ami valide en riant. Mon petit-ami… J’adore.
— Oui, c’est ça. Et toi, tu t’appelles comment ?
— Victoire. C’est beau, hein ?
— Magnifique.
— Pourquoi tes cheveux sont bleus ?
La curiosité des enfants m’a toujours un peu agacé. Ils parlent trop à mon goût, moi qui aime le calme et le silence. Déjà que j’étais servi niveau sonore avec ma meilleure amie, pas la peine d’en rajouter une couche avec cette petite.
— Et si on passait à table avant que ce soit froid ? propose ma mère. Personnellement, je serais capable d’engloutir ces deux gros sacs à moi toute seule, alors…
Tout le monde se précipite étrangement autour de la table, moi y compris. Élie me donne un coup de cul pour prendre ma place à côté de mon petit-ami, et je me retrouve entre mon père et Victoire pour mon plus grand malheur. Ma mère me soutient du regard lorsqu’elle pose mon burger devant moi. Sans avoir besoin de parler, je lis dans ses yeux : « Tout va bien se passer ». Je lui réponds d’un sourire timide.
Je n’arrive pas à savoir ce que je ressens, là tout de suite. Je suis submergé de sentiments contraires. Ma meilleure amie, que je n’ai pas vue depuis presque deux mois, est là. Mon petit-ami, que j’aime comme un fou, est là lui aussi. Ma mère, cette femme extraordinaire en tous points, me soutient quoi que je fasse et quoi que je dise. J’ai le cœur gonflé d’amour.
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