Fyctia
Chapitre 48 (1/2)
Élie surgit de sous la couette comme un diable de sa boite. Elle plante ses griffes manucurées dans mon bras.
— Tu entends ?
Je me redresse et me frotte les yeux, désorienté. Ma meilleure amie attrape son téléphone posé sur le parquet. Il est presque quatre heures du matin. Qui peut bien tambouriner la porte d’entrée à cette heure-ci ? Ma mère a peut-être oublié ses clés ? Non, elle ne serait jamais rentrée à quatre heures du matin.
Elle n’a personne avec qui aller faire la fête, et encore moins après avoir enchaîné douze heures de boulot. Je décide d’enjamber Swann qui n’a pas bougé d’un millimètre. Élie sort du lit et s’accroche à moi comme une moule à son rocher. Elle est pourtant bien au courant qu’en cas de danger, je ne suis pas la personne la plus à même de la protéger, mais la peur nous fait faire des choix discutables parfois.
Je descends les escaliers lentement, déjà pour ne pas tomber, et aussi pour faire le moins de bruit possible malgré le bois qui grince. Une ombre est déjà postée près de la porte, un parapluie dans les mains.
— Maman, qu’est-ce que tu fais ?
Elle étouffe un cri de surprise et lâche son parapluie, qui rebondit sur le carrelage dans un fracas atroce. Je m’arrête net, assommé. Élie me percute de plein fouet et je me rattrape de justesse à la rampe d’escalier.
— Je sais que mon fils est là ! beugle une voix grave derrière la porte d’entrée.
Ma mère jette un coup d’œil à la paire de New Rock posée contre la plinthe, au milieu de nos chaussures.
— Eh merde…
Elle se recoiffe rapidement, noue sa robe de chambre avant d’ouvrir la porte, son parapluie collé contre la poitrine.
— Monsieur Castel, il est quatre heures du matin, grogne-t-elle.
— Mon fils est bien chez vous ?
— Je pense que vous connaissez déjà la réponse, soupire-t-elle.
Le père de Swann entre sans y être invité.
— Monsieur Castel, sortez de chez moi s’il vous plait…
— Pas avant d’avoir récupérer mon gamin.
Élie me broie le bras. Une angoisse sourde se loge au creux de mon estomac.
— Swann !
Au bout d’un instant, la porte de ma chambre grince. Je retiens mon souffle.
— Papa ? Mais…
— Viens ici tout de suite ! braille ce dernier.
L’air frais de la nuit s’engouffre par la porte d’entrée restée grande ouverte. Swann descend les marches, Patrick collé contre son torse. Élie se décale pour le laisser passer.
— Swann, gémis-je.
Je secoue la tête pour lui signifier qu’il ne devrait pas y aller, mais il me gratifie d’un sourire triste et continue à descendre.
— Qu’est-ce que tu fais encore ici ? lui demande son père lorsqu’il arrive à sa hauteur.
— Désolé papa…
— Mets tes chaussures, on y va.
Swann tend Patrick à ma mère avant d’enfiler ses New Rock. Son père se racle la gorge et sort sur le perron. Les yeux bleus de Swann accrochent le vert des miens, puis il lui emboite le pas. Ma mère referme la porte derrière eux en soupirant.
— J’ai besoin d’une tisane. Vous voulez quelque chose à boire ou vous retournez vous coucher ?
El relâche mon bras. La pression dans ma poitrine est moins étouffante. Ça ne s’est pas trop mal passé. Mieux que je l’aurais imaginé du moins.
— Tu veux un chocolat chaud ?
Elle accepte avec un petit sourire. On descend le reste des marches main dans la main puis je me détache d’elle pour nous préparer deux grandes tasses.
— Merci, souffle Élie lorsque je pose la boisson chocolatée devant elle.
Ma mère s’installe face à nous. Elle passe une main sur ses traits fatigués.
— Je crois que je ne m’habituerais jamais à sa façon d’être. Il aurait pu le laisser passer le reste de la nuit ici, quand même. Mais je ne suis pas sa mère, je n’ai pas mon mot à dire…
Ma meilleure amie me jette un regard en coin.
— Tu crois que ça va aller ? souffle-t-elle.
— Euh… oui, je pense… Il était plutôt… calme, non ? balbutié-je.
Elle hausse les épaules avant de boire une gorgée. Est-ce que je dois en parler à ma mère ? J’ai vraiment envie de le faire mais j’ai peur que Swann m’en veuille. Est-ce qu’on doit prendre cette décision pour lui ? Pour son bien ? Je suis tiraillé. Et en même temps, j’ai déjà suffisamment tardé…
— De quoi est-ce que vous parlez ? demande ma mère, qui souffle sur sa tisane brûlante.
El croise à nouveau mon regard. Le gris de ses yeux ondule. Que faire ? Je me mords l’intérieur de la joue.
— Les enfants…
Ma meilleure amie prend une grande inspiration. Ses lèvres s’entrouvrent. Swann va probablement me détester à nouveau. Alors que je viens juste de le retrouver. Mais il s’agit de prendre la bonne décision cette fois. Je dois arrêter de faire l’autruche. Je dois le faire, pour lui.
— Le père de Swann… commence-t-elle.
— Peut être violent, la coupé-je, les lèvres tremblantes.
El attrape ma main qui broie ma tasse et la serre dans la sienne. Mon dieu. Ma mère repose sa tasse sur la table. Le verre cogne contre le bois.
— Q… quoi ? Vous… vous en êtes sûrs ? C’est Swann qui vous en a parlé ?
— Oui, confirmé-je d’une voix étranglée. J’ai voulu t’en parler plusieurs fois, mais j’avais… peur, maman.
— Oh mon chéri… Est-ce que… ça fait longtemps ? Ça arrive souvent ?
— Je ne sais pas trop…
Ma mère se lève et regagne la porte d’entrée. On lui emboite le pas, le souffle court. L’air frais fouette nos visages. Mes béquilles claquent sur le bitume humide jusqu’à l’angle de la maison.
— Ça a l’air calme, chuchote ma mère avant de passer un bras sur mes épaules tremblantes.
Toutes les lumières sont éteintes et il n’y a aucun éclat de voix. Mais comment être sûr ?
— Maman, est-ce que je peux avoir mon portable juste cinq minutes ?
Elle acquiesce avant de regagner la maison, puis sa chambre.
— Qu’est-ce qu’on fait, Joce ? demande El.
Ma mère me tend mon portable avant de se rasseoir. Elle plaque ses mains autour de sa tasse encore fumante dont le sachet a trop infusé.
0 commentaire