Mauranne BP On both sides Chapitre 44 (1/2)

Chapitre 44 (1/2)

La sensation désagréable du caoutchouc sur le bitume me fait grimacer. Je déteste ces foutues béquilles. Je me déteste, moi, d’être tombé dans les escaliers. Deux maudites fois d’affilée. Ma mère avait rajouté une couche à mon malheur en me disant que j’allais avoir besoin de rééducation.


Les jours se réchauffent doucement, le verglas a pratiquement disparu, à mon plus grand soulagement. Élie marche quelques pas devant moi, incapable de se caler sur mon allure d’escargot. Elle passe son temps à se retourner pour me crier tout ce qu’elle voit.


Il n’y a pourtant rien d’extraordinaire sur lequel s’extasier. Peut-être parce que c’est le trajet que je fais tous les jours pour aller au lycée. Quand on fait toujours la même route, on oublie la beauté de ce qu’on a sous les yeux. Elle, s’émerveille sur la taille des maisons de ma rue. Sur les grands jardins parfaitement entretenus. Elle s’étonne que les rues soient aussi propres, sans crottes de chiens à éviter sur les trottoirs. Ça m’a fait le même effet, les premiers jours. Et puis, je m’y suis habitué. C’est devenu normal.


Tout ce à quoi je pense, dans l’immédiat, c’est à Swann. Je le vois partout. À l’angle de la rue, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon trop large. En train de traverser le passage piéton près du lycée, son casque vissé sur les oreilles. Adossé au portail, les cheveux au vent.


— Wouah, il est bien plus classe que mon bahut ! s’exclame Élie en accrochant ses doigts fins aux barreaux du portail vert foncé.


Le métal s’ébranle à son contact, dans un bruit désagréable. Les cheveux arc-en-ciel de ma meilleure amie volent lorsque le vent s’engouffre dedans. J’ai toujours été jaloux d’elle, sur beaucoup de points. Elle est libre, désinvolte, elle-même. Elle a toujours fait ce qu’elle a voulu, sans se prendre la tête sur ce qu’en pensent les gens, même ses propres parents.


C’est ce qui m’a attiré chez elle. Ce caractère fort, qui ébranle tout sur son passage. À aucun moment, je ne me serais imaginé pouvoir être ami avec une fille comme elle. On est si différents, tous les deux. Mais elle a trouvé en moi une âme sœur.


— Bon, et maintenant ? demande-t-elle, me tirant de mes souvenirs.


— Aucune idée.


— J’ai envie de voir si l’intérieur est aussi cool que l’extérieur.


— Oh non. N’y pense même pas.


— Allez ! s’écrie-t-elle en se balançant, une main toujours agrippée au portail vert foncé.


— C’est une propriété privée, El.


— S’il te plait, me supplie-t-elle en papillonnant des yeux.


— C’est un délit, El.


— T’es pas drôle !


— Il faut bien que l’un de nous soit censé, ris-je.


— Gnagnagna, grogne-t-elle avant de me tirer la langue.


Je lui rends la monnaie de sa pièce.


— Allez, j’ai vraiment envie d’y aller, couine-t-elle. Tu… tu veux bien m’attendre ici ? Je fais vite, c’est promis.


Je lève les yeux au ciel.


— Bon d’accord, abdiqué-je. Mais ne te fais pas choper, ok ? Et grouille.


Elle sautille sur place, le sourire aux lèvres.


— Yes !


Elle secoue le portail mais il est verrouillé. Je la regarde faire le tour du bâtiment en soupirant. Quand elle a une idée en tête, elle ne l’a pas ailleurs. Élie s’agrippe au muret en pierre et commence son ascension. Il fait plusieurs mètres de haut et je réprime un haut le cœur à l’idée de la voir dégringoler de l’autre côté.


— Élie ! grondé-je à voix basse en me rapprochant d’elle. Ne tombes pas, s’il te plait !


Je jette des coups d’œil nerveux autour de moi. Si des voisins nous voient, ils vont probablement appeler la police. Et ma mère ne va pas aimer pas ça. Pas du tout. Ma meilleure amie se retrouve rapidement au sommet du muret, une jambe de chaque côté. Elle étouffe un cri de victoire et me tire la langue.


— Tu vois ? J’ai l’agilité d’un félin.


— Ne parle pas trop vite !


Elle me fait signe de me taire et disparait de l’autre côté du muret. Je retiens mon souffle, dans l’attente d’un bruit qui me signalerait qu’elle s’est cassé la figure.


— Aïe !


Vu les bruissements et les craquements de branches, elle est très probablement coincée dans les buissons qui longent le muret.


— Ça va ? chuchoté-je, collé au muret côté rue.


— Parfaitement bien. À part que j’ai un peu déchiré mon crop top…


J’étouffe un rire.


— Tu es en train de te foutre de moi, là ? s’écrie-t-elle.


— Tais-toi ! grimacé-je. Allez, grouille !


— Oh, ça va monsieur rabat-joie !


Le bruit métallique de ses bottines résonne sur le bitume de la cour. Le bâtiment est probablement fermé à clé, de toute façon. Elle va vite revenir. Tout ce que j’espère, c’est qu’il n’y a pas de gardien. L’angoisse se niche au creux de mon estomac tandis que je m’éloigne à reculons.


Tu as aimé ce chapitre ?

0

0 commentaire

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.