Mauranne BP On both sides Chapitre 37 (1/2)

Chapitre 37 (1/2)

— Alix ? Tu m’écoutes ?


Ma mère secoue la main devant mon visage.


— Euh… désolé.


— Pas grave, mon chéri. Je disais…


Mon regard repart se perdre sur les tables au fond du restaurant sans que je ne contrôle rien. Mon père, assis à côté de moi, se dandine nerveusement. Ma mère ne l’a pas laissé en placer une depuis le début du repas, mais je le soupçonne d’en être soulagé. Comme ça, il n’a pas à essayer de se justifier auprès de moi de ses quatre ans d’absence.


Un groupe de trois jeunes est installé à la table du fond. L’un d’eux porte une veste rose pastel, des boucles d’oreilles dorées imposantes, et son teint noir est sublimé par un maquillage doré et brun. L’autre a un pins lgbt+ accroché à sa veste en jean. Ses cheveux frisés lui grignotent le front. Elle a le visage fin et de longs cils. La troisième n’est autre que Romane, la fille qui nous avait parlé après notre représentation, en cours de littérature. Son look n’a rien à voir avec celui qu’elle arbore au lycée. Ses cheveux roux sont retenus par un chignon sur le haut de son crâne. Elle ne porte aucun maquillage et ses vêtements sont plus « masculins » que d’habitude. Elle porte une chemise à carreaux bleue et noire. Je la soupçonne même de porter un binder en dessous. De mes souvenirs, sa poitrine est plus volumineuse que ça.


Un courant électrique parcourt mon échine. Je me sens appelé par ce groupe d’amis. J’ai envie d’aller les rejoindre, de m’asseoir à leur table et de leur dire : « Hey, on est pareil, vous et moi ». Mais au lieu de ça, je suis coincé au milieu de ma mère qui monologue et de mon père qui ne sait pas où se mettre. Je reporte tant bien que mal mon attention sur ce que dit ma mère.

— Alors, est-ce que tu as décidé ?


— Euh… décidé quoi ?


Elle plante sa fourchette dans sa frite. Le bruit du métal contre la céramique de son assiette m’arrache une grimace.


— Pour la plainte, mon chéri.


— Euh… si c’est ce que vous voulez, abdiqué-je en soupirant.


Mon père pose sa main sur mon épaule.


— Il faut que tu le veuilles aussi.


Je hausse les épaules. Je ne sais pas ce que je veux. Juste qu’on me laisse tranquille, je suppose. Je ne veux pas faire de vagues. Et si on prenait ma plainte au sérieux ? Mes anciens harceleurs savent où se trouve mon nouveau lycée, maintenant. Et s’ils venaient en bande, à la sortie des cours ? Et s’ils découvraient où j’habite ? Pire, et s’ils s’en prenaient à ma mère ou à Swann, pour se venger de moi ?


Mon cerveau tourne à plein régime. Je ne sais pas si je dois leur faire part de mes craintes. Est-ce qu’elles sont légitimes ? Est-ce qu’ils vont se moquer de moi, parce que je vais trop loin dans mes théories ? C’est trop. Je ne sais pas quel choix est le plus judicieux.


— Je ferai ce que vous pensez être le mieux, finis-je par souffler.


— Alors on va passer au commissariat, conclut ma mère, d’un ton déterminé.


Mon père hoche la tête, le regard vissé sur son assiette de viande rouge. Il n’a pratiquement rien avalé. Moi non plus, d’ailleurs. Je suis trop angoissé. Le groupe d’amis de la table du fond se lève. Je ne peux m’empêcher de les regarder lorsque celui à la veste rose pastel s’avance jusqu’au comptoir pour régler la note.


— Adama, attends ! s’exclame ma camarade de classe. Tu ne vas pas payer pour nous trois !


Elle se jète sur le comptoir et dégaine ses billets. L’autre fille s’avance d’un pas nonchalant et présente sa carte bleue, plus pour la forme que par réelle envie.


— On va diviser en trois s’il vous plait, dit-elle au jeune homme derrière la caisse.


Sa voix est grave, elle impose le respect. L’homme s’exécute malgré l’intervention d’Adama qui insiste pour tout régler. Romane accroche mon regard. Elle s’avance vers son amie et lui chuchote quelque chose à l’oreille, que je suis malheureusement incapable d’entendre. Puis la fille aux cheveux frisés se met sur la pointe des pieds pour répéter probablement la même chose à leur ami. Ce dernier ouvre grand les yeux avant de couvrir sa bouche de sa main.


J’ai la nausée tout à coup. Est-ce que ma camarade vient de leur dire quelque chose sur moi ? Est-ce qu’elle m’a insulté ? S’est moqué de moi ? Elle a l’air gentille pourtant. Mais si j’ai bien appris quelque chose avec les années, c’est que les gens cachent bien leur jeu. Adama passe ses bras sous ceux de ses amies avant de s’avancer vers la sortie. Je retiens mon souffle lorsqu’ils se rapprochent de notre table. J’ai envie de vomir. Je laisse tomber ma fourchette contre le rebord de mon assiette et grimace lorsque le métal tape contre la céramique. Le trio s’arrête net à notre niveau. J’ai le cœur au bord des lèvres. Est-ce qu’ils vont m’insulter ? Me cracher dessus ? Me pousser ? La fille aux cheveux frisés ouvre la bouche.


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