Fyctia
4.1. Attraction
Le cœur de Suni battait à une cadence effrénée, irriguant chaque veine de son corps avec la puissance d'un torrent. La main cramponnée à son col, à l'orée de son cou, Chayan pouvait sentir les infimes détails de son trouble ; son souffle court, le rythme de son pouls, son arôme suave.
Il le relâcha en douceur.
— Désolé, je ne voulais pas davantage t'effrayer.
— Réussi... ironisa Suni.
Chayan se retint de répliquer, exaspéré par la témérité du jeune humain. Était-il si peu impressionnant pour que celui-ci se permette de le provoquer ainsi ? Il détailla l'apparence du garçon, qui avait manifestement changé de style. Il avait troqué blue-jean et pull pour une tenue plus provocante. Il était beau et son odeur enchantait ses sens. Ce parfum entêtant de jasmin n'était donc pas une illusion de son esprit. Il se détesta d'éprouver cette sensation dérangeante à son contact. Il se détesta de ne pouvoir lutter contre le désir impérieux de le sauver.
— Que fais-tu ici, le piège tendu par mon frère ne t'a pas suffi ? Tu crois que ça m'amuse de sauver des petits humains imprudents ?
— Je ne vous ai jamais demandé de m'aider, rétorqua cet inconscient.
— Tu aurais préféré que je te laisse en tête à tête avec lui ?
Chayan désigna son agresseur du menton. Ce dernier s'extrayait des débris du lavabo brisé, puis se dirigea vers eux, remonté.
— Putain ! C'est pas des manières, chacun son tour ! grogna-t-il en époussetant son tee-shirt.
— Casse-toi, ordonna calmement Chayan, sans cesser de braquer son regard perçant sur Suni.
— J'allais me régaler, c'est quoi ton problème ? s'énerva l'indésirable en s'approchant, poing levé.
Chayan ne sourcilla même pas, peu intimidé par cette vaine démonstration de force.
— Je t'ai dit d'aller voir ailleurs. Plein d'humains n'attendent que ça. Celui-ci, tu ne le touches pas.
Le prédateur ne retint pas son hilarité.
— Tu veux te le garder pour toi, c'est ça ? Écoute, pour une fois, je déclare forfait, se radoucit-il. C'est si rare que tu te nourrisses ! Mais c'est juste pour cette fois, hein.
Chayan le fusilla du regard, sans prendre la peine de répondre. Le vampire quitta les toilettes en grommelant, comme si on lui avait dérobé son goûter.
— Bon... Maintenant, suis-moi. Et ne t'éloigne pas. Tu es visiblement un putain d'aimant à vampires !
— Je... je n'ai rien fait pour ça... se défendit Suni, agacé par ses manières autoritaires.
Chayan le scruta, perplexe. Le gamin avait une odeur singulièrement attirante. Il supposait que ses semblables pouvaient la sentir, eux aussi. Raison pour laquelle ils se jetaient sur lui, incapables de contrôler leurs pulsions. Chayan n'avait pas la patience de lui expliquer ce phénomène incompréhensible, alors il se contenta de lui saisir rudement le bras et de le ramener à l'étage. Suni le suivit de mauvaise grâce, entraîné par sa prise inflexible.
— Su ! s'exclama Lamaï en le voyant débarquer au bras d'un buveur de sang. Vous êtes qui, vous ? Lâchez-le !
— Hé, calme-toi, gamine. Ce n'est pas moi le méchant dans l'histoire.
Elle le dévisageait d'un air menaçant, les poings serrés sur les hanches. Sa nature protectrice envers Suni s'était éveillée comme un réflexe pavlovien.
— Tout va bien ? sonda-t-elle en se tournant vers son ami pour obtenir confirmation.
— Ouai, ça va. Où tu étais ? Je te cherchais ! s'emporta son acolyte.
— Dehors, je fumais, répondit-elle en haussant les épaules.
— C'est toi qui le protèges en temps normal, si je comprends bien ? Alors garde-le en laisse, il a bien trop tendance à se faire coincer par des vampires, intervint Chayan.
Suni lui décocha un regard outré. Lamaï fronça les sourcils :
— De quoi il parle ?
À cet instant, Kao apparut, un sourire au coin des lèvres.
— Tiens, tiens, tiens...
Le brouhaha du bar se dissipa. Tous les regards s'étaient tournés vers le noyau que formaient Chayan, Suni, Lamaï et Kao. Le danseur frémit de terreur en apercevant son ancien agresseur. Chayan lui serra l'épaule inconsciemment.
— Je te rencontre à nouveau, joli danseur...
Lamaï écarquilla les yeux d'incompréhension.
— Alors tu voulais te le garder pour toi, grand frère, c'est pour ça ? Je comprends mieux, maintenant... énonça Kao, narquois.
Des chuchotements s'élevèrent autour d'eux. Suni se sentit comme du bétail pris au piège d'une meute affamée.
— Tu fais erreur, le détrompa Chayan.
— Tu me ferais croire que tu le protèges par grandeur d'âme ?
Kao haussa un sourcil. Il semblait particulièrement amusé par la situation. Un attroupement les encerclait à présent : le Hot Blood s'était transformé en une arène de gladiateurs aux dents aiguisées, assoiffés de sang. Quand Kao était dans les parages, toutes les règles de bonne conduite édictées par le gérant – pourtant nécessaires à la survie de l'établissement, en principe – s'évaporaient.
— C'est un humain irréfléchi. Il ne mérite pas de terminer en dessert pour vampire.
— Allons, allons... Chayan. J'accepterais si tu me disais que tu voulais le goûter. On aurait pu s'arranger. Tu sais bien que je suis partageur avec mes jouets. Par contre, vouloir le protéger de nous et ne même pas en profiter toi-même ? Je ne peux y consentir. Regarde-le, ce serait du gâchis... argumenta Kao d'un ton faussement boudeur.
Suni se tendit. Sans prévenir, Kao attrapa Lamaï par derrière, la faisant crier de surprise.
— Mais je pourrais toujours me contenter de celle-ci.
— Laissez-la ! cria instinctivement Suni, la voix tremblante.
Kao présentait fièrement ses crocs et les faisait glisser contre la gorge de Lamaï avec une lenteur calculée, presque joueur. Le bar s'était paralysé. Les humains avaient fui avant que cela ne dégénère, peu désireux de se trouver mêlés à une rixe entre vampires, tandis que les autres se réjouissaient : enfin un peu de spontanéité et de danger...
— Kao. Lâche-la. Ça suffit, maintenant.
— Chayan qui protège des humains, on aura tout vu ! lança le barman qui observait la scène en silence jusqu'ici, témoin d'un divertissement ordinaire.
— Je ne t'ai pas demandé de l'ouvrir. C'est entre mon frère et moi, asséna Chayan d'un ton sans appel.
Le barman leva les bras en geste de défense. Il se tut à nouveau pour suivre, en sage spectateur, le reste de la scène.
— C'est bon de retrouver ton sens de la rivalité, grand frère, ça m'avait manqué... Alors on fait quoi ? Je m'occupe de la jeune fille et toi du gamin au fumet affriolant ?
Lamaï respirait avec difficulté. Sa poitrine se gonflait frénétiquement sous la nervosité. Chayan retenait Suni qui tentait de se dégager pour accourir vers son amie.
— Si tu ne la laisses pas... menaça-t-il une dernière fois avant de passer à l'étape supérieure.
Chayan n'avait que faire de la fille, mais il savait qu'il ne pouvait l'abandonner aux mains de son incontrôlable cadet. Une force obscure et confuse le poussait à la défendre. Un sursaut de sa conscience, ravivée depuis sa rencontre avec le jeune humain, en réalité. Il ne comprenait pas, mais agissait par instinct.
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Cécile Marsan
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Siha
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Eva Boh
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