Fyctia
3. Cameron (1/2)
Novembre 2026
Le Rolf’s est l’un de mes endroits favoris à New-York pendant les fêtes. C’est un restaurant allemand réputé pour ses décorations opulentes et lumineuses que j’ai découvert par hasard quand j’étudiais à Columbia. Depuis, je viens chaque année. Dans quelques jours, des centaines de boules de Noël donneront l’impression de tomber du plafond comme des nuées de flocons de neige scintillants. Mais en attendant, les serveurs font des allers et venues pour satisfaire Gunter, le propriétaire, et rendre ce Noël aussi magique que les précédents.
Je me suis installé à une table située dans le fond du restaurant. Un espace éloigné du bar et relativement calme pour pouvoir discuter sans être dérangé. Mon dossier “SUMMER FLORES - BOOKTOUR DÉCEMBRE 2026” est posé devant moi, entre son roman et mon téléphone. Une nouvelle fois, j’admire les tons pastels qui ont été utilisés et tranchent avec les couleurs criardes habituelles des couvertures des romans de Noël. Je consulte nerveusement ma montre, elle ne devrait pas tarder à arriver. J’attrape la petite cuillère et remue machinalement mon café avant de réaliser que je n’ai pas de sucre.
Dans un soupir, je me lève et m’approche de la serveuse derrière le bar. Rachel, si je me fie au badge en forme de bonhomme en pain d’épice accroché à sa veste d’uniforme.
— Excusez-moi. Serait-il possible d’avoir du sucre, s’il vous plaît ?
Elle hoche la tête et se confond en excuses en me tendant la sucrière. Je la rassure et fais demi-tour quand, sortie de nulle part, une jeune femme me rentre dedans, éclaboussant au passage de la crème chantilly et du café sur ma veste en velours.
— Oh mon dieu, je suis désolée ! bredouille-t-elle.
Je reconnais immédiatement cette voix douce et ces grands yeux bruns qui détaillent avec horreur les dégâts. Belle entrée en matière pour la collaboration qui nous attend… Summer secoue des serviettes en papier pour les déplier et me les tend. Ses gestes sont rapides et brouillons, comme si l’embarras la rendait encore plus gauche. Contrairement au mien, son long manteau sombre à survécu à l’impact. Lorsque j’ai assez de serviette pour nettoyer la totalité des tables de l’établissement, elle lève les yeux vers moi et fronce les sourcils.
— Encore vous ? s’étonne-t-elle.
Apparemment, je ne suis pas le seul à me souvenir de son vol plané d’il y a quelques jours.
— Encore moi, je confirme. Votre maladresse de l’autre fois n’était donc pas un cas isolé…
Je pince les lèvres pour tenter de dissimuler mon sourire moqueur. Elle claque sa langue contre son palais tandis que j’éponge les pans de ma veste. Quand je reporte mon attention sur elle, elle est en train de détailler un à un les clients déjà présents.
— Je pense être celui que vous cherchez. Cameron Reyes, je me présente en lui tendant la main.
Elle plisse les yeux, hésite une seconde, puis ses doigts fins rencontrent les miens dans une poignée de main qui me surprend par sa fermeté. Son regard, désormais planté dans le mien, raconte une histoire différente de celle de la jeune femme que j'ai observée à l'écran la veille. Cette métamorphose me fascine autant qu'elle me déstabilise – comment peut-on passer du malaise à l'assurance en si peu de temps ?
Ma confusion doit se lire sur mon visage car, l'espace d'un instant, je crois déceler une étincelle de satisfaction traverser ses iris. Pourquoi est-ce que j'ai l'étrange sensation qu'elle vient de remporter une victoire dont j'ignore encore les règles du jeu ?
— Summer Flores, se présente-t-elle à son tour.
— Je sais qui vous êtes.
Elle détourne le regard et fronce le nez en avisant les quelques guirlandes déjà épinglées au plafond. Les premières d’une longue série. C’est exactement pour cela que j’affectionne autant cet endroit. Et c’est probablement aussi pour cela qu’elle le déteste.
Des relents de cannelle et d’épices me parviennent. Le tissu de mon manteau est désormais imprégné. Dans quelques heures, j’aurais l’air d’un bonhomme en pain d’épice géant.
Je l’invite à me suivre en indiquant ma table d’un geste de la main. Elle semble dubitative, presque hostile à l’idée de passer un moment avec moi. Je me demande même si elle ne va pas prendre ses jambes à son cou, mais si elle veut signer son contrat avec Hallmark, elle ne va pas avoir le choix.
— Finissons-en le plus vite possible, souffle-t-elle lorsque nous nous installons.
Son attitude est en totale contradiction avec ce qu’elle dégage. Ses mèches chocolat et les éclats dorés qui dansent dans ses yeux lui donnent un air chaleureux. Son regard brille d’intelligence et le sourire qu’elle adresse au serveur qui vient de lui apporter son Gingerhead Latte illumine son visage. Je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de jalousie. Pourquoi n’ai-je pas le droit aux mêmes sourires ?
J’attends qu’il s’éloigne avant d’ouvrir mon dossier et d’en sortir une feuille de route que je glisse vers elle.
— Comme vous voulez. J’ai préparé un itinéraire qui optimise vos déplacements tout en vous laissant suffisamment de temps pour…
— Respirer ? m’interrompt-elle.
— Pour profiter de la population locale et des festivités.
J’ai conscience que le faux sourire qui s’installe sur mes lèvres est une provocation. Les festivités ne l'intéressent pas. Et la petite grimace qu’elle tente de dissimuler me le confirme. Au lieu de rentrer dans mon jeu, elle désigne son livre d’un mouvement de tête nonchalant.
— Vous l’avez lu ?
Est-ce qu’elle me prend pour un amateur ? Que je me lancerais là-dedans sans savoir de quoi je parle ? Elle s’imaginait peut-être me faire la lecture dans l’avion… Je retiens difficilement mon soupir et parviens à plaquer un sourire professionnel sur mon visage.
— Oui, je l’ai lu. Comment aurais-je pu organiser des activités basées sur l’intrigue de votre roman sinon ?
Summer tique. Elle ne s’attendait probablement pas à ce que ce booktour soit une réplique grandeur nature de son dernier roman.
— Patinoire, concours de maison en pain d’épice, atelier créatif, course de luge…, je continue d’un air satisfait. Tout ce que vous adorez. Ce sera comme si vous y étiez !
Mon sourire devient joueur, presque narquois. Elle s’entête pourtant à ignorer mes remarques et penche légèrement la tête sur le côté en triturant l’anse de sa tasse de café.
— Et qu’est-ce que vous en avez pensé ?
Je ne suis pas très fan des romances habituellement. Mais j’ai dévoré ce livre, espérant de toutes mes forces que, Bonnie, la protagoniste, parvienne à aider James à retrouver l’esprit de Noël.
— C’est une romance de Noël qui respecte les codes. Les protagonistes sont attachants, le baiser sous la neige offre une très belle conclusion. Concernant les activités proposées, j’imagine que vous m’en direz des nouvelles.
Ma pique sonne le retour de ses œillades meurtrières. Je devrais probablement m’excuser et faire marche arrière, mais la manière dont elle me fusille du regard me plaît.
16 commentaires
Marie Andree
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Il y a un mois
Zebuline
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Il y a un mois
Elyne C. Garner
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Il y a un mois
Livia Thomson
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Il y a 12 jours