Fyctia
2. Cameron (2/3)
Le lendemain, à l’heure prévue, je frappe à la porte du bureau d’Erin et entre sans y avoir été invité. Une mauvaise habitude qui, je le sais, a le don de l’agacer. Pourtant, quand elle me voit, son visage s’illumine.
— Cam ! s’exclame-t-elle en venant me serrer contre elle.
Le fait d’être en pleine réunion ne semble pas la déranger.
— Bonjour Erin.
— Quoi ? fait-elle mine de s’offusquer. Pas de “bonjour ma petite soeur préférée que j’aime à la folie et qui m’a tant manqué” ?
— Tu es forcément ma préférée, tu es ma seule sœur…
Elle fronce le nez mais ne se départit pas de son sourire. Erin n’a pas changé depuis la dernière fois que je suis rentré à New York. A croire que quand on grandit avec quelqu’un, on est incapable de le voir tel qu’il est réellement, mais tel qu’il était avant. Pour moi, Erin sera toujours ma petite sœur casse-cou qui grimpait aux arbres en jupe et parlait beaucoup trop fort au restaurant. Et bien que j’aie beaucoup de respect pour le travail incroyable qu’elle accomplit, j’ai parfois du mal à réaliser qu’elle est également une directrice marketing accomplie.
— Ça tombe bien que tu sois là, commence-t-elle en se tournant vers l’assistance qui semble aussi mal à l’aise qu’un bonhomme de neige au soleil.
Je peux comprendre que cette démonstration d’affection les gêne. Ils devraient être habitués depuis le temps, Erin ne garde jamais rien pour elle.
— Vous connaissez tous mon frère, Cameron Reyes ? Il est la personne en charge du booktour sur lequel nous travaillons et le futur directeur général de Reyes & Co.
Toujours à mettre les rennes avant le traineau… Elle appelle ça de la manifestation. J’appelle ça avoir une trop grande bouche.
Je salue l’assemblée et m’asseois à côté d’Erin, sur une chaise qu’une femme s’est empressée de me laisser. J’ai un moment de gêne en la voyant rester debout mais mon attention est détournée par ce qui se passe sur l’écran géant accroché au mur du fond. Une jolie brune, au teint hâlé, est installée dans le mythique canapé vert de Julia Quinn, la journaliste avec qui nous travaillons. Elle porte un affreux pull avec de fausses guirlandes et ne cesse de s’agiter et de tirer sur le bas de sa jupe. Je plisse les yeux, comme si ce simple geste pouvait m’aider à y voir plus clair. Ces ondulations soyeuses, ce regard chocolat, cette bouche pulpeuse... Le physionomiste que je suis n’a aucun mal à la reconnaître.
— Hey, mais c’est la femme qui a glissé sur une plaque de verglas hier !
— Pardon ?
Je fais un geste de la main pour lui faire comprendre de ne pas chercher plus loin.
— C’est qui ? Qu’est-ce qu’elle fait à la télé ?
— Summer Flores, ou Holly Winters, notre star de Noël. C’est notre cliente pour ce booktour de fin d’année. Hallmark est intéressé pour produire son dernier roman, alors on a décidé de voir les choses en grand. New-York, Boston, Stowe… Ça va être fabuleux ! pépie-t-elle, surexcitée.
Je hoche la tête mécaniquement. Erin a beau être celle qui piquait toujours la dernière mousse au chocolat quand nous étions gosses, je sais aussi que c’est un vrai génie du marketing. Rien ne lui résiste. Son cerveau fourmille de mille idées à la minute et ses contrats font toujours la fierté de mon père. Son sang-froid n’a d’égal que son imagination.
— C’est son premier roman ?
— Non, le cinquième.
Je tique et observe la jeune femme à la caméra. Elle ne semble pas à l’aise du tout. Impossible qu’elle se soit déjà assise sur ce canapé auparavant. Elle n’a pas l’air… à sa place.
— C’est son premier roman qui décolle ? je précise.
— Non. Les quatre premiers ont fait un carton, elle est numéro un des ventes chaque hiver. Cette femme a un talent de dingue et une plume ensorcelante.
Je fronce les sourcils. Quelque chose cloche, je le sens.
— Il y a un passif entre elle et Julia ?
— Pas que je sache.
Erin penche la tête en arrière et se laisse basculer dans sa chaise pour terminer son café. Elle vise la poubelle et sourit de toutes ses dents lorsque le bout de carton fait filet.
— Alors pourquoi est-ce qu’elle a l’air aussi mal à l’aise ? On dirait que c’est sa première interview.
— Parce que c’est le cas, m’explique-t-elle. Les dédicaces, les interviews, les bains de foule… Elle a toujours refusé ce genre de choses. Mais cette année, pas le choix si elle veut signer avec Hallmark.
Je suis sur le point de répondre lorsqu’Erin abat sa main parfaitement manucurée sur mon bras. Ses ongles sont à son image : exubérants mais amusants. De fines rayures rouges et blanches s’enroulent en spirale sur certains ongles, imitant parfaitement les cannes en sucre d’orge qu'on offre aux enfants sages à Noël.
— Et tiens-toi bien, jubile-t-elle. Elle ne partira pas seule en booktour, mais avec son bookboyfriend. On est en train de caster des acteurs pour incarner James Turner, son protagoniste masculin. Imagine voir ton fantasme en chair et en os. Les lectrices vont être folles.
— Un vrai petit génie, je souris.
Erin fait glisser vers moi le livre de cette Summer. Les illustrateurs se sont surpassés sur ce projet. J’ouvre le livre, feuillette quelques pages et le referme.
— Lis-le, m’intime-t-elle. C’est ta cliente aussi désormais.
J’acquiesce et reporte mon attention sur la télévision. Cette interview est un véritable supplice à regarder.
— Tu ne l’as pas briefée ? Pourquoi est-ce qu’elle a l’air d’une biche prise dans les phares d’une voiture ? Son manque de naturel risque de nuire à son image.
Ma soeur hausse les épaules et cherche un document.
— Erin ? j'insiste.
Elle congédie ses employés et lâche un long soupir lorsque nous nous retrouvons enfin seuls.
— Summer ne voulait pas faire cette interview. Ni ce booktour d’ailleurs.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle déteste Noël, voilà tout !
J’écarquille les yeux et attends la chute de l’histoire. Mais elle ne vient jamais.
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SandrineBellier
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