Fyctia

Au fur et à mesure de la soirée, l’enfant en moi a laissé sa place. Les attractions se sont effacées, au profit d’un diner-spectacle puis, maintenant, d’un bar de la capitale, réputé. Mais, au fond de moi, ce n’est pas la femme qui a pris le dessus, mais l’adolescente. Depuis notre pari, je ne peux m’empêcher de chercher Antoine du regard. Son sourire discret, sa main qui frôle la mienne, son regard, tout en lui déclenche des frissons en moi.

Stella, tu retombes dans le panneau.

Je m’en veux d’être aussi guimauve, de me laisser happer par mes sentiments, par une attirance, par ce besoin maladif d’aimer, et d’être aimée. Et pourtant, que j’aime ça. Je ne me lasse pas de cette intensité, peut-être trop rapide, mais si grisante.

— T’es avec nous, là, Stella ?

Bash me regarde, sourcils froncés, dans une moue digne d’un enquêteur de série B. Je sais qu’il me scrute, avant de suivre l’objet de ma rêverie.

— Il se passe quoi avec Antoine ?

— Rien. Pourquoi ?

— Tu me prends pour qui ? J’ai l’air d’être un lapin de six semaines ?

Je pouffe, emportée par une envie de rire sans retenue.

— OK, là c’est trop. Dis moi toute suite ce qu'il ce passe ou ce que t' as pris, sinon je me tire !

Derrière Bash, je peux voir Antoine en pleine discussion avec Sam. Quelque chose semble les tracasser, je peux deviner, dans la faible lueur des lampes de ce bar à ambiance, leur expression inquiète.

Il se passe quelque chose, j’en suis certaine. Peut-être cherche-t-il comment s’éloigner de moi ? Peut-être a-t-il changé d’avis ?

— Stella ? insiste Bash, visiblement vexé.

Je m’approche de son oreille en soupirant, résignée. Dans un murmure à peine audible, je lui révèle les détails du pacte passé avec Antoine.

— Oh…mon…Dieu ! Mais tu es totalement folle, ma pauvre fille ! hurle presque Bash.

Je me prépare à calmer ses ardeurs lorsqu’une autre voix me coupe la parole.

— Stella, folle ? Ce serait une excellente nouvelle ! ironise Gwen, piquée par une curiosité maladive. Tu as fait quoi pour choquer ce pauvre Bash ?

— Bash est choqué ? De quoi ? demande brusquement Akiko, se mêlant elle aussi à la conversation.

Je jette un regard noir à Bastien, qui lève les mains en l’air en signe d’innocence.

— Tu fais chier. Je ne voulais pas en parler…

— Parler de quoi ? demandent en chœur Akiko et Gwen, pour une fois sur la même longueur d’onde.

Je baisse les armes et avoue tout, dans le moindre détail, aux deux commères qui n’en perdent pas une miette. Akiko est la première à réagir.

— C’est complètement con.

— Merci pour ton soutien, Akiko, comme toujours.

Elle ne prends même pas la peine de me regarder, trempe à nouveau ses lèvres dans son quatrième verre d'alcool qui ne l'affecte aucunement.

Je lui envie cette neutralité de chaque instant.

— Je dis ce que je pense, c’est une idée à la con. Depuis quand le sexe est-il nuisible à un couple ?

Touché. Un point pour elle.

— Vous ne tiendrez pas deux jours, lâche brusquement Gwen. Antoine et son romantisme à deux balles ne sont pas faits pour toi, ma belle. Toi, tu as besoin d’intense, de folie, de sexe passionné.

— Ça, c’est ce dont toi, tu as besoin.

Bash coupe court à notre échange.

— Et Marc, tu vas lui dire quoi ? Il te reste encore deux scènes à tourner, je te signale.

— Je sais. Je l’appellerai demain pour lui dire que j’arrête tout.

— Tu te rends compte de ce que tu me dis ? Tu vas sacrifier ta carrière, ton plaisir, ta vie, pour quoi ? Un mec que tu connais à peine !

— Ce n’est pas…

Je sens une main douce remonter lentement le long de mes cuisses.

— Gwen, arrête ! Arrêtez, tous ! Vous ne comprenez rien !

Las, je m’éloigne d’eux. Au milieu de la foule, je me dirige vers l’endroit où Sam et Antoine discutaient, il y a quelques instants encore. Seuls deux verres vides trônent sur une table haute, laissés seuls.

Je savais qu’il se passait quelque chose, j’aurais dû rester avec lui. À moins qu’il ne m’ait abandonnée. Après tout, je n'ai rien à lui offrir qu'il n'ait pas déjà vu. Une enveloppe de chair souillée que personne ne désir au delà d'une nuit.

Perdue, errante, mon corps bousculé ne veut plus que fuir cet endroit. Une main se pose alors sur mon épaule. Bash. Mon ami me prend par la main et me guide jusqu’à l’extérieur.

Il n’y a qu’a ses côtés que je me sens à ma place finalement.

— Ils sont partis il y a quelques minutes. Ne t’inquiète pas, ce n’est sans doute rien.

— Sauf si Gwen, Akiko et…

— Oublie-les, et oublie ma réaction. C’était stupide… Et puis, sache que je pourrais te couvrir si tu as l’envie de te faire un petit cinq à sept, Antoine n’en saura rien.

— Bash ! Pour qui tu me prends ?

— Arrête de jouer à la naïve, Stella. Tu crois vraiment qu’Antoine ne cédera pas aux tentations ? C’est un homme, il ne pourra pas tenir.

— J’ai envie d’y croire.

— Et moi je préférerais que tu vives.

— Les deux ne sont pas incompatibles.

Dans la nuit parisienne, je laisse Bastien me guider. Un Uber nous attend quelques mètres plus loin. Alors que je m’installe sur la banquette arrière, mon ami reprend son discours moralisateur.

— Tu te souviens de notre rencontre ?

— Oui, au Studio.

— C’était juste après que Gwen se soit foutue de nous deux, une ex commune, ça rapproche bordel. Dire qu’elle nous a trompés ensemble… c’est fou…

— T’étais dans un sale état.

— Tu étais pire. Une épave. Je ne veux plus te revoir comme ça, Stella. Au moins, avec Gwen, on s’est éclatés, on a vécu intensément, même si on a fini par se brûler les ailes. À quoi ça sert d’aseptiser ta vie ?

— À ne pas souffrir.

— C’est triste.

La berline s’arrête devant la porte principale du Grand Hôtel de Disneyland Paris. Retour dans un monde féérique, où les soucis d’adulte n’ont plus cours. Bash paie le chauffeur et je le suis jusqu’à notre chambre commune. Mes jambes sont lourdes, mes paupières également et, à peine déshabillée, je me laisse tomber de fatigue sur le lit moelleux.

La nuit porte conseil, il paraît.