Béthanie.Fala Noël sous X 6

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Debout dans cette allée encore givrée par le froid, je prends quelques instants pour moi. Pour me préparer à ce qui m’attend derrière cette façade aux décorations de Noël omniprésentes.


Rien d’autre qu’un camouflage, un faux-semblant.


Des murs en vieilles pierres, des lumières multicolores éclairant cette façade de toute part, un père Noël clignotant trônant au milieu de la pelouse, à côté d’un nain de jardin dubitatif. Derrière les fenêtres, une ambiance chaleureuse semble se tenir. Un large sapin, plus que fourni, se voit de l’extérieur.


Allez, Stella, ce n’est qu’un mauvais moment à passer.


À l’intérieur, je sais que je vais devoir faire face à mes démons. Une famille ultra-catholique, prompte à juger, à me rappeler les valeurs chères à leur cœur, à bien enfoncer le clou aussi, car, dans chaque aspect de ma vie, je suis l’opposée de la fille qu’ils attendaient. L’opposé de ma sœur. Et chaque moment passé à leurs côtés me le rappelle.


Et encore, ils ne savent pas tout. Heureusement d’ailleurs.


Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je prends une profonde inspiration et pousse la porte d’entrée, qui s’ouvre sous un carillon aux tonalités de vive le vent.


— Ah, enfin ! On t’attendait, Stella. Pose ta veste et va te laver les mains, on va passer à table.

Ma mère et sa bonne humeur feinte à la perfection, ce pseudo masque de perfection semble peser sur ses frêles épaules. Elle semble davantage se fondre dans son décor de mauvais goût.


— Bonjour aussi, Maman, contente de te voir.

— Oh, mais arrête, on aura tout le temps de discuter après, ta sœur doit repartir tôt.


Le ton est donné. Je sens les larmes monter au bord de mes yeux. Pourtant, les années auraient dû m’habituer à ne plus être touchée par ce manque de reconnaissance. Étrangement, c’est le contraire qui se produit : de plus en plus, j’ai le besoin viscéral d’aimer, et d’être aimée. Une manière de compenser.

Dans le salon, deux adolescents, scotchés à leurs téléphones, sont avachis dans le canapé. Plus loin, leurs parents aident à mettre la table.


Un vrai tableau de famille rêvée.


En me voyant dans l’encadrement de la porte du salon, le plus âgé des deux, Lenny, pose sur moi un regard appuyé. Quelque chose dans sa façon de me regarder me met brusquement mal à l’aise.

Je connais ce regard, celui que me jettent tant d’hommes.


Impossible, il ne peut pas m’avoir vue dans une des productions de Marc. Il a à peine quinze ans. Les idées cheminent dans ma tête, et virevoltent en un flot ininterrompu qui ne fait qu’augmenter mon malaise.

— Salut, Stella, lance une voix à l’autre bout de la pièce.

Ma sœur, Marie, toujours aussi avenante et souriante. Avant que je ne puisse répondre, la voix tonitruante de mon père résonne dans la maison.

— Allez, à table ! J’ai faim, moi.

Tout le monde s’exécute, même mon beau-frère qui sourit devant le comportement presque enfantin de son beau-père.


Il faut dire qu’il est très risqué de se mettre entre le patriarche Koffi est son assiette.


Chacun sa place attitrée, chacun ses couverts habituels, rien ne change, année après année. Une fois installée, je relève la tête et tombe, encore, sur Lenny. Face à moi, l’adolescent me décoche un sourire de Casanova.

Il est sérieux ? Il joue à quoi ce petit con, bordel !


Je tourne la tête et laisse les premiers services se passer. Jacqueline Boateng, en bonne hôtesse de maison, amène les plats un à un, présentée comme dans un restaurant gastronomique. L’alcool remplit les verres, les discussions politiques commencent, tout comme ce sentiment de ne pas être à ma place.


— Et toi, Stella ? Tu en es où ?


La question, posée par la voix aigue de ma sœur, me fait sursauter. En plus de celui du jeune Lenny, je sens tous les regards se tourner vers moi. Je peux presque ressentir leurs sourires mesquins, attendant impatiemment que je me vautre. Ils attendent tous mes excuses, mes justifications, pour ne pas avoir une vie aussi parfaite que celle de Marie.


Et si ce petit pervers de Lenny continue à me mater, je vais lui balancer son assiette de rôti à la gueule.


— Toujours pareil. Je fais quelques tournages, par-ci, par-là.

En soi, je n’ai jamais menti à ma famille. Je suis actrice. De porno, certes, mais ce n’est qu’un détail qu’ils n’ont pas à connaître. Soudain, Lenny lève la tête et, d’une voix la plus naturelle possible, enchaîne.

— Tu as fait quoi comme film ce mois-ci ?

— Un téléfilm de Noël.


J’ai répliqué du tac au tac, sans me poser de questions. Heureusement pour moi, mon père enchaine.


— Quand vas-tu te rendre compte qu’actrice n’est pas un métier ? Regarde-toi, tu as toujours l’allure d’une ado ! Il faudrait que tu décides enfin à te bouger les fesses.

— Ça, elle sait faire pourtant, murmure Lenny d’une voix que moi seule peux entendre.

Mon bras de détend d’un coup sec et renverse le contenu du verre d’eau sur le pantalon de l’adolescent.

— Putain, fais chier ! lâche-t-il, énervé.

Ma sœur ne tarde pas à répliquer.

— Lenny, surveille ton langage !

— Non, mais c’est elle qui…

— Tais-toi ! Et présente tes excuses, tout de suite !

Vexé, le garçon baisse la tête et bredouille un « Pardon » à peine audible. Ses lèvres bougent alors et articulent lentement une insulte que je ne peine pas à déchiffrer. Je pète un câble.

— Marie, dis à ton fils de se calmer et d’arrêter de m’insulter.

— Il n’a rien dit, tu débloques ma pauvre. Encore ta parano et cette fichue manie d’attirer l’attention.

— Tu es ridicule ! je te demande juste de…

— Tu n’as rien à me demander, ni à moi ni à Lenny. Et si tu continues, on s’en va tout de suite.

Devant cette menace, je sens l’air outré de mes parents qui, sans surprise, prennent la défense de Marie.

— Stella, je ne sais pas ce qui te prend, mais tu devrais te calmer.

— Ouais, calme-toi, renchérit Lenny.


Au diable l’esprit de Noël. De toute façon, il n’a jamais été présent dans cette famille. Les fêtes de fin d’année n’ont toujours été qu’un prétexte pour mon père d’asseoir sa morale et ses valeurs, pour ma mère de boire plusieurs verres sans aucun reproche, et pour ma sœur de se faire encenser, tout en me rabaissant.


J’emmerde Noël.


Ma main s’écrase sur la joue de Lenny dans un claquement retentissant.

— Putain, mais t’es tarée ! hurle Marie en se précipitant sur son fils. Qu’est-ce qui te prend ?

— Il me prend que ton fils n’arrête pas de faire des allusions depuis tout à l’heure sur mon… métier. Il l’a mérité.

— Ton métier ?

J’expulse enfin ce que je garde depuis tant de temps.

— Je suis actrice porno, voilà ! T’es contente ? Et, au moins, maintenant tu sais que ton adorable Lenny se branle en matant sa tante le soir sous ses draps.


— Fiche le camp !


Mon père dans toute sa splendeur, taciturne, franc. Je balance mes couverts et m’enfuis de cet endroit, de leur rejet et de leur ignorance. J’enfile ma veste et me précipite dehors, enfin libre.

Derrière la fenêtre, je crois voir ma sœur hurler sur son fils, jusqu’à le gifler à son tour.


J’enfile mon plus beau sourire.


Joyeux Noël Stella.


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3 commentaires

Lily Riding

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Il y a 4 ans

oh l'horreur :o

Lyaminh

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Il y a 4 ans

Chouette repas ! Mais il fallait que ça sorte ! J'espère que les choses iront mieux pour elle après 🤔😀

Béthanie.Fala

-

Il y a 4 ans

vive l'ambiance ^^ ( merci de tout cœur de me suivre <3 )
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