Fyctia
4 partie 2 Antoine
L’allée sombre, menant au motel, est saturée d’un mélange de vin chaud, de pisse et d’odeur de pneu brûlé.
On ne s’y habitue jamais.
Je pose lourdement mon bras sur les épaules frêles d’Ethan, qui manque de glisser sur les dalles givrées de la gare. Au loin, un groupe nous dévisage, leurs visages cachés sous des capuches. Je garde mon regard posé fixement sur eux, et presse le pas, pour mettre Ethan à l’abri d’une autre rixe inutile.
Il en bave suffisamment comme ça.
Dans l’obscurité, les néons jaunes de l’hôtel bas de gamme éclairent les parkings déjà déserts. Nous sommes plusieurs familles à vivre ici, au premier étage, à l’arrière du bâtiment. Nous entrons exclusivement par le local poubelle, pour ne pas incommoder les clients.
Pour nous rappeler notre condition.
Le froid de l’extérieur fait place à une moiteur repoussante qui s’immisce sous nos vêtements et nous colle à la peau. J’ôte mon bonnet et tire sur l’écharpe d’Ethan pendant que ce dernier fixe son écran de portable. Deux grosses lettres me sautent aux yeux, alors que je lui arrache son instrument de torture.
— Quelle bande de petits cons ! Jusque sur les réseaux, ils vont insister ?
— C’est bon, Antoine.
— Non, ce n’est pas bon ! Tu ne mérites pas ça, tu comprends ?
Il s’extirpe de mon bras, la mine sombre. Nous quittons tous les deux le local et longeons le corridor, qui m’éblouit de ses murs jaunes, délavés. Sa moquette à losange, au style dépassé, me rappelle les longs corridors de l’hôtel Overlook, cher à Stephen King. Comme toujours, j’esquisse un léger coup d’œil en passant devant la chambre deux cent trente-sept. Je me rappelle, il y a un peu plus d’un an, alors qu’Ethan venait de découvrir Shining. Ses mains tremblantes, son corps collé comme de la glue au mien, refusant de regarder la porte de cette chambre.
Les choses ont tellement changé depuis ce temps où nous arrivions sur Paris, des projets plein la tête. Une nouvelle vie nous attendait. C’était sans compter Cassidy, ma mère, notre mère. J’ai beau approcher les trente ans, et elle les cinquante, elle continue de m’empêcher de faire ma vie, et de ne penser qu’à la sienne. Arrivés devant notre chambre, je colle mon oreille à la porte par réflexe.
C’est pas vrai, putain. Encore.
Les cris de ma mère, en plein ébats, me donnent instantanément mal au ventre. Ethan me regarde et rebrousse chemin. Il sait déjà, malgré son jeune âge, ce qui se passe derrière cette mince cloison, et ce que nous allons faire en attendant. Notre rituel, à tous les deux. Deux à deux, nous montons les marches des étages, jusqu’à arriver, essoufflés, au dernier. Sur la gauche, une porte grise, constamment ouverte, nous attend. Nous la franchissons et parvenons dans notre endroit. Le toit de cet hôtel miteux recèle une vue incroyable sur la ville.
— À toi de commencer, annonce Ethan en s’asseyant les pieds dans le vide.
— Je dirais… Michel.
— Déjà fait. C’était la semaine dernière. Enzo ?
— Trop jeune. Elle l’a rencontré sur Gleeden, celui-là, il a au moins la quarantaine.
— Je sais, je l’ai ! cria Ethan, fier de sa victoire, et ravi de jouer à ce jeu. David.
— Pas mal. C’est ton dernier mot ?
— Ouais. Et toi alors ?
— Je parierai sur Pablo, je sens bien un latino. Le gagnant choisit ce qu’on mate à la télé ce soir ?
D’un claquement de paumes, nous scellons le pari. Tenter de deviner le prénom des plans cul de notre mère est notre seule échappatoire en ce moment. Je regarde l’heure et, d’un signe de tête, indique à Ethan qu’il est temps de redescendre. Cette fois, notre démarche est lente, nonchalante, pour faire durer ce moment, avant de replonger dans ce quotidien lourd. Alors que nous parvenons à l’angle du couloir où nous vivons, la voix de Cassidy nous parvient.
— À bientôt, David, je t’appelle.
Menteuse.
Ethan me jette un regard d’entière satisfaction qui me fait sourire. Je ne croyais pas une seconde à mon Pablo, mais pour rien au monde je n’aurai voulu gagner contre mon petit frère. Je m’apprête à avancer, lorsqu’une main se pose sur mon épaule. À peine le temps de me retourner que la voix de Sam me parvient, avant son visage empli d’un sentiment que je ne connais trop.
— Eh, Antoine. Je ne savais pas que tu vivais… enfin, c’est Marc qui m’a donné ton adresse et je…
— T’inquiètes pas, mais garde ça pour toi. Je ne veux ni sarcasme, ni pitié.
Sam ravale ses mots.
— Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Tu avais quelque chose à me demander ?
— Non, je… enfin… tu sais, j’ai sonné chez toi, je suis tombé sur une certaine Cassidy, pas très habillée d’ailleurs.
Tu m’étonnes. La dernière fois que j’ai vue ma mère habillée normalement, c’était quand elle a débarquée bourrée, avec une amie, en plein milieu de mon visio avec Stella. Timing parfait.
— Notre mère, réponds-je en prenant Ethan par les épaules. Ça, c’est mon frère, Ethan.
Dans les pupilles de Sam, je peux voir qu’il comprend, que les rouages se mettent en place dans son esprit.
— Désolé, Antoine, mais je ne peux pas.
— Tu ne peux pas quoi ?
— Je peux pas te laisser comme ça. Pas ici, pas dans ces conditions de vie.
Je baisse la tête, un geste que je m’étais jusque là forcé de ne plus faire.
— On n’a pas le choix, tu sais. C’est notre vie, à moi et à Ethan.
Sam inspire un grand coup et, en quelques mots, bouleverse nos vies.
— Vous allez venir vivre chez moi, tous les deux. Et ce n’est pas négociable.
6 commentaires
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Béthanie.Fala
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Lily Riding
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Il y a 4 ans