Gaïane MILLER NOEL INSOLITE Diner dans la jungle

Diner dans la jungle

Julien saisit mon brodequin et en extirpe une espèce de gros ver de terre brillant. Il sourit. Toujours ce sourire taquin qui le rend si beau. D’une oreille distraite, j’écoute ses explications.

— C’est une « braminus ». Une petite couleuvre inoffensive et elle est pratiquement aveugle. Tu vois ses orbites ?

— Ne m’approche pas, reste où tu es !

— Ils sont recouverts d’une petite peau… Ce que tu ne sais pas, c’est qu’elle ne connaîtra jamais de mâle de toute sa vie. Sa reproduction se fait par division de ses ovules. Heureusement pour nous, on n’a pas le même mode de repro…

— C’est bon ! dis-je en me retournant, gênée par son regard gourmand qui louche encore sur mes seins. Débarrasse-moi vite de cette bestiole !

— Je te laisse et je vais emmener cette gentille demoiselle loin de toi.


°°°

Julien


La petite couleuvre s’est nichée en boule dans le creux de ma paume. Elle apprécie la chaleur. Je la regarde mais c’est l’image de Lucie en sous-vêtements qui s’impose à mon esprit. Elle a un corps parfait et sa peau laiteuse doit être si douce à caresser et à embrasser. C’est la première fois que je ressens ces sensations à la fois délicieuses et désagréables. Ce sentiment de frustration et cette envie impérieuse d’avoir cette femme dans mes bras et de la garder pour toujours. Pour toujours ? Depuis quand je fais des projets à long terme ? Depuis que je connais Lucie, c’est-à-dire depuis aujourd’hui. Cette constatation me fait tressaillir.

— C’est un truc de fou !

— Qu’est ce qui est fou ? demande Mat.

— Hein ? Euh… rien. Rien du tout.


Aurais-je pensé à voix haute ? J’en ai bien l’impression quand je vois le doigt de Mat pointé vers mon nez.

— Toi, tu as flashé sur la jolie blonde.

— N’importe quoi !

— Alors explique-moi pourquoi tu as bondi tel un guépard pour la secourir quand elle a crié ?

— J’ai cru qu’elle était en danger. Tu aurais fait la même chose pour Melissa.

— Melissa est ma femme et je l’aime. Je combattrais un dragon cracheur de feu pour elle.


Je suis coincé et me gratter la tête ne sert à rien. Mon ami m’a bien cerné et il faut que je détourne la conversation.

— Qu’est-ce qu’on mange ?

— C’est ça, change de sujet. Je vois bien que tu en pinces pour elle mais tu refuses de le reconnaître. Tu viens de te rendre compte que le coup de foudre existe mais, si je peux me permettre un conseil d’ami, ce serait une erreur de commencer une histoire avec elle. Je l'aime bien, elle est sympa.

— Je sais qu’elle repart dans quelques jours. Rien n’est possible entre nous.

— C’est vraiment toi qui parles comme ça ? Toi qui, jusqu’à présent, te contentais d’une aventure sans lendemain, d’un coup d’un soir sans prise de tête ?

— C’est vrai que j'étais... mais…


Mon petit doigt me dit que Mathieu est en train de me tester, j’en mettrais ma main au feu.

— Jusqu’à hier tu fonctionnais comme ça alors dis-moi pourquoi tu aurais changé si vite ? Vas-y copain, fonce ! Après tout, Lucie n’est qu’une fille parmi tant d’autres.

— Tu veux me faire avouer quoi au juste ? Tu me déçois beaucoup.

— Allons manger.


°°°


Mat a raison. J’ai toujours fréquenté des femmes pendant un temps plus ou moins court et chaque séparation ne me faisait ni chaud ni froid. Avec Lucie c’est différent. Je n’ose pas faire le premier pas, j’ai peur de la décevoir, de lui faire du mal. Elle va repartir et m’oubliera dès qu’elle aura posé le pied sur le sol parisien. Assez cogité, profitons du moment présent.


Etre assis en tailleur près du feu en compagnie de Lucie et la regarder manger avec ses doigts est un moment qui restera gravé longtemps dans ma mémoire. La feuille de bananier qui lui sert d’assiette menace de glisser de sa cuisse. Je tends la main pour la redresser et frôle son genou. Elle tressaute et me regarde sans comprendre. Je dois me justifier.

— J’ai juste voulu éviter que tu renverses ton repas. Tu as l’air d’apprécier.

— Ce poulet grillé est vraiment délicieux ! dit-elle en suçant ses doigts.


Mélissa, flattée par le compliment, arbore un grand sourire.

— Un bon feu et une grille de fortune suffisent. Comme accompagnement, j’avais prévu de faire des achards avec les légumes achetés au marché ce matin mais, faute de récipient et d’huile pour les faire revenir, j’ai improvisé cette salade crue que j’ai baptisée « salade jungle » !

— Avec l’accent anglais c’est encore plus appétissant ! Tu as mis des haricots verts, des carottes et du chou ?

— Exact et j’ai pressé un des citrons verts que j’ai récupérés dans le verger de mes parents.

— Tes parents habitent à Saint Denis ?

— Dans la banlieue de Saint Denis. Je profite souvent de l’avion pour leur rendre visite et je ramène des fruits et quelques légumes. En voiture, c’est très compliqué. Il faut partir très tôt et rentrer tard sinon on est coincé pendant des heures dans les embouteillages et je dois rester dormir chez eux et rentrer le lendemain.


Lucie est détendue et a oublié ses frayeurs. Elle semble s’acclimater à la situation ou alors c’est la nourriture qui lui fait oublier où nous nous trouvons. Discuter tous les quatre autour du feu est très agréable mais il faut revenir à la réalité et se préparer pour la nuit. C’est à moi de donner le signal.

— Il est temps de dormir si on veut se mettre en route au lever du jour. Je prépare mon hamac pour Lucie.

— Nous deux, on va dormir à la belle étoile et bien serrés l’un contre l’autre pour se tenir chaud ! s’exclame Melissa en déballant le sac de couchage double place.


Matthieu remet deux gros morceaux de bois sur les flammes tandis que Lucie approche pour m’aider.

— Tu prends toujours ton hamac avec toi ? demande-t-elle en saisissant la corde d’une extrémité qu’elle passe autour du tronc que je lui indique.

— Quand je prends l’avion ou que je pars en mission, j'ai toujours mon sac de survie. On ne sait jamais ce qu’il peut arriver et cette fois j’ai été bien inspiré.

— Pourquoi tu veux partir demain ? On est bien ici et les secours trouverons plus facilement la carcasse de l’avion.

— Mais ils ne pourront pas atterrir pour nous récupérer. Il y a bien la solution de l’hélitreuillage mais avec les parois rocheuses de chaque côté, c’est trop dangereux.

— Donc on se déplace et on trouve un endroit plus adapté.

— Prête à grimper ? Tu t’assois au milieu sur le bord de la toile puis tu te couches en allongeant les jambes. Si tu ne veux pas avoir froid, referme bien la toile sur toi.


Le désir de l’embrasser est grand. Je scrute ses lèvres si attirantes mais je résiste à la tentation et me contente de lui souhaiter une bonne nuit avant de m’éloigner. Je m’enroule dans mon sac, éteins ma lampe frontale et m’endors rapidement.


Au milieu de la nuit, je suis réveillé par quelque chose qui me frôle. Je ne bouge pas et attends. Le parfum vanillé de Lucie arrive à mes narines puis je sens qu’elle s’allonge contre mon dos. Je me retourne pour la couvrir de la couverture de survie et touche ses mains qui sont gelées. Elle est frigorifiée.




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6 commentaires

Alexenrose

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Il y a 4 ans

Ah le coup de foudre ^^

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Mathieu semble assez ami avec Julien pour qu'il ne puisse pas lui mentir. Le coup de foudre a été détecté à la vitesse de l'éclair.

Rose Lb

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Il y a 4 ans

Rien de tel que le froid pour se réchauffer lol

IsaLawyers

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Il y a 4 ans

Quel cœur d’artichaut celui-là ☺️
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