Fyctia

Ce n’est pas possible, c’est un véritable cauchemar ! pensa Ornella.

Les mages avaient osé mettre la police sur ses traces ! Malgré le risque que représentait le fait que les autorités locales découvrent sa véritable nature, ils n’avaient pas hésité à avoir recours à cette méthode.

Elle se souvint alors de ce que lui avait raconté Ailean la veille, que les mages avaient, par le passé, fait appel aux humains pour se débarrasser du problème que représentait une Nefasta.

— Quelles sont nos marges de manœuvre ? demanda Ailean.

Malgré la vague de jurons lâchée quelques instants plus tôt, elle lui envia son calme olympien. Comment faisait-il ? En même temps, c’était son sort à elle qui était en jeu, pas le sien. Cela devait aider à relativiser.

— Je suis venu te voir aussitôt que j'ai su, pour savoir comment tu voulais que l’on procède. Nous pouvons endiguer le problème, mais il faut s’en occuper sans tarder.

Qu’entendait-il par-là ? Suggérait-il d'assassiner tous les policiers impliqués dans l’enquête ou étant au courant des suspicions à son encontre ?

Son air horrifié dut parler pour elle, car Livio déclara :

— Rassurez-vous, nous n’allons pas les tuer, simplement retravailler un peu leur mémoire afin qu’ils oublient votre existence et qu’ils orientent leur enquête sur une autre piste. Au passage, chapeau-bas. J’ai eu accès au casier judiciaire de vos agresseurs, c’étaient loin d’être des anges, vous avez rendu un fier service à tout le monde en les faisant disparaître.

C’était le compliment le plus étrange qu’on lui ait jamais fait. Livio la félicitait d’avoir tué ces hommes !

— Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? grogna Ailean, l’empêchant de s’attarder sur ce détail perturbant.

— Je voulais ton aval avant. L’appel que j’ai intercepté venait du téléphone de Gatien.

À la mention de ce nom, la bête en elle gronda. Livio parlait-il du même Gatien de son souvenir ? Le roi des mages ? Elle obtint la réponse à sa question, lorsqu’il continua son explication.

— Cela me semble un peu gros que je parvienne à récupérer ainsi les écoutes téléphoniques du roi mage. D’autant que c’est le seul que j’ai pu obtenir, avec son appel au Ritz pour confirmer sa réservation.

— Donc, tu penses que c’est un piège, conclut Ailean.

— À mon avis, il a sciemment fait en sorte qu'on l'intercepte. Je déteste Gatien, mais il est loin d'être stupide. Cela me semble trop gros. Je pense qu'il a fait ça pour voir si les vampires étaient bien sur les traces de la Nefasta. Si l’on court-circuite la Police, il en déduira que nous cherchons à la protéger et donc qu’elle est en notre possession.

Se rendant aussitôt compte que ses propos étaient insultants envers elle, il ajouta :

— Désolée, Ornella, je ne voulais pas …

— Ne vous inquiétez pas, le coupa-t-elle. Je comprends le sens de vos propos et je ne vous en veux pas.

— Et la deuxième nouvelle ? demanda Ailean, mettant fin à leur échange de politesses. Pour quelle autre raison êtes-vous venus ici ? D'ailleurs, pourquoi es-tu là, A. ? Je ne t'avais pas assigné à la surveillance des mages ?

— Ils ne bougent pratiquement pas. Je m'ennuyais. Léandre et Rosario suffisaient amplement. On s'éclate bien plus ici ! De toute façon, je suis persuadé qu'ils ont compris notre manœuvre.

— Qu'importe, un ordre est un ordre. En plus, cela nous permet de garder un œil sur eux.

Malgré elle, Ornella fut impressionnée par la façon dont Ailean prenait les choses en main. Il agissait véritablement en leader. Il y avait quelque chose de fascinant à les regarder tous les trois discuter stratégie. Elle aurait même pu y prendre un certain plaisir, si sa vie n'était pas l'enjeu de toute cette mini-guerre.

— Bon et cet autre sujet ?

— Marec se doute qu’Ornella est avec toi, lui répondit Livio.

Ornella ignorait qui était le Marec en question, mais à la façon dont Ailean réagit, elle douta que ce soit une personne qu’il affectionne particulièrement.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Il vient d’envoyer une requête aux Veteres pour qu’ils convoquent un consilium. Il t’accuse de cacher un détail primordial pour l’espèce. Je ne vois pas quel autre sujet pourrait être concerné que le fait que tu as une Nefasta.

— Le rat ! s’insurgea Ailean.

Ornella n’avait aucune idée de qui étaient les Veteres ou ce qu’était un consilium, mais ce n’était, a priori, pas une bonne nouvelle.

— Qu'ont-ils répondu ?

— Ils ont accédé à sa requête. Le consilium est prévu pour ce soir. Ils m'ont envoyé te prévenir.

— Fais chier !

— Je sais, mais je pense que ce serait une erreur stratégique de leur demander de décaler, cela ne ferait qu’abonder dans le sens de Marec. De toute façon, tu ne comptais vous cacher ici pendant 107 ans.

— Non, mais ce n'est pas pour autant que j'apprécie de me faire siffler ainsi, comme un chien, par ces vieux rabougris. Cependant, tu as raison, même si j'en ai le pouvoir, ce serait une erreur de les envoyer balader. Tu n'as qu'à confirmer ma présence.

— Très bien. Et pour Marec ?

— Lui, je vais m'arranger pour avoir une discussion entre quatre yeux. J'ai été trop indulgent avec lui jusqu'à présent.

— Alléluia, s'exclama Almadeo. Depuis le temps qu'on te dit que tu dois remettre ce petit prétentieux à sa place !

— Et j'aurais peut-être dû vous écouter plus tôt, admis Ailean. Enfin, on ne peut pas revenir en arrière. Je vous laisse prévenir les autres de mon retour.

— Tu veux séjourner à la cour ou chez toi ?

— Ma préférence va bien sûr pour la deuxième, mais je crois que je devrais choisir la première. Cela permettra de tuer dans l’œuf toutes les suppositions qui vont voir le jour, quand la cour va apprendre l'existence d'Ornella. La cacher n'est pas la meilleure chose à faire.

— Je suppose que tu veux faire renforcer la sécurité.

— Oui. L'un d'entre nous devra toujours l'accompagner. C'est non négociable.

— Et la filature des mages ? demanda Almadeo.

— Elle prendra fin à mon retour. De toute façon, il y a fort à parier qu'ils vont se rendre compte qu'elle est avec nous.

— Tu ne crains pas une attaque ? questionna Livio.

— Je ne pense pas qu'ils feront une tentative aussi directe. Ce n'est pas leur style. Ils vont plutôt prévoir un plan fourbe.

— Et si nous mettions un peu de bazar dans leurs rangs ? suggéra Almadeo.

— Hum, c'est une idée intéressante, murmura Ailean. Livio, vois ce que tu peux faire à ce sujet.

— Très bien. Et concernant la chambre d'Ornella, je fais préparer laquelle ?

— Je pense que celle à côté de ...

— Hé, vous savez que je suis toujours là ? s'indigna soudain Ornella.

Ils étaient en train de tout décider, sans même la consulter. Elle n'appréciait pas du tout ça et ne se priva pas pour le faire savoir :

— Il ne vous est pas venu à l'esprit que j'étais un être doué d'une capacité de réflexion et que j'étais tout à fait apte à faire mes propres choix. En l'occurrence, qui vous dit que j'ai la moindre envie de venir avec vous ?

Après un moment de flottement, Ailean ordonna :

— Laissez-nous quelques minutes.