Jay H. #mytho Chapitre 2

Chapitre 2

Paris – 31 décembre 2023



Léa



C’est bientôt la fin des vacances et je ne vais pas m’y résoudre aussi facilement.


Plus que quelques heures.


Je compte bien sur cette soirée pour immortaliser le temps. Marie et Océane m’ont convaincue d’aller au pub irlandais, notre quartier général. On a toutes reçu des tas d’invitations : boîtes de nuits aux quatre coins de la capitale, fête dans une villa à la Projet X, boat party avec champagne à flot, soirée déguisée dans un immense duplex parisien, on a même eu du club échangiste, dans le lot. Mais je dois leur donner raison sur ce coup, on ne passera jamais un meilleur réveillon que là où on se sent chez nous. Notre pub. Celui où on se retrouve régulièrement pour discuter (surtout pour commérer). Là où nous sommes maintenant accueillies comme si nous étions les reines du bal. Des verres gratuits, parfois même des repas. Nous avons la priorité quand on arrive au comptoir. Si on demande à changer la musique, c’est d’accord. Si un gros lourdaud à l’haleine fétide nous colle un peu trop, on demande une mesure d’éloignement sans passer par la case tribunal, voire même le faire éjecter de l’établissement.


Il n’y a pas à dire, on échangerait cet endroit pour rien au monde.


Posée à la terrasse d’un café, je scrolle sur mon compte Tinder et je m’aperçois qu’au final, je ne suis pas heureuse. Je m’en étais déjà rendue compte, et depuis bien longtemps, mais en voyant tous ces profils de mecs clichés au possible, je réalise que je ne comblerai jamais, jamais, ce vide sentimental qui s’est creusé de manière abyssale au fil des années. Je suis entrée dans une sorte de cercle vicieux à l’intérieur duquel il n’y a aucune issue, si ce n’est la dépression chronique. Bien sûr, je n’ai que vingt-quatre ans et les plus anciens me diraient que j’ai toute la vie devant moi. Seulement, eh bien, peut-être que je n’ai pas envie de m’en sortir. Peut-être que je préfère me morfondre et poursuivre sur le même schéma pendant le reste de mon existence sur terre.


— Il est mignon celui-là ! lance une voix dans mon dos, avant de prendre l’initiative de swiper à droite.

— Oh non, t’abuses meuf ! Y’a match maintenant ! Je fais quoi moi ?

— Ben tu fais comme d’habitude. Tu le rencontres, vous discutez pour la forme et vous finissez chez lui vu que tu vis encore chez ta mère.


La voilà qui s’installe sur la chaise en face de la mienne, un sourire placardé sur sa face de rat tant elle est fière de sa connerie. Sacrée Marie, je ne la changerai jamais.


— Tu viens d’où comme ça ? demandé-je, alors que je connais déjà la réponse.

— Chez moi, répond-elle sans hésitation, menton relevé.


Mes yeux fixent les siens, paupières légèrement froncées, ce qui signifie « tu sais que je sais ». Elle me renvoie un regard rieur, qui veut très exactement dire « je sais que tu sais, mais c’est plus marrant comme ça ». C’est ce qu’il y a de bien avec les amitiés de longue date, les vraies amitiés. Pas besoin de mot pour se comprendre.


Du bout du doigt, j’effleure le dessous de ma lèvre inférieure avant de lâcher :


— T’as un peu de rouge-à-lèvre là.


Après avoir vérifié dans le reflet de son miroir de poche, elle acquiesce tout en continuant de nier en bloc :


— Ah ouais c’est vrai, je l’ai mis à l’arrache en partant ! Merde, t’as bien fait de me le dire.


On recommence notre jeu de regards et cette fois, on éclate de rire. Puis, quelques secondes plus tard, je lui demande :


— Elle vient Océ finalement ?

— Non, elle m’a appelé pour me dire qu’on se verrait ce soir. Là, elle doit aider ses parents à faire je ne sais plus quoi, bla-bla-bla…

— Ouais comme d’hab quoi !

— C’est clair ! Tu dis que c’est moi la cachotière du groupe, mais elle, elle m’a battue haut la main.

— Un mec tu crois ?

— J’en sais rien, mais je pense qu’elle cache bien son jeu Madame « je me réserve pour le bon ».


Océane est effectivement censée être la plus chaste de notre trio. Elle prône sans cesse les vertus du couple alors qu’elle a eu deux mois de relation sérieuse depuis qu’elle est née. Puis, il y a eu ces rares fois où on a découvert une facette d’elle plus dévergondée. Surtout quand elle boit en fait. Elle ne tient pas du tout l’alcool, mais au contraire de la plupart des gens, elle ne se réfugie pas aux toilettes pour vomir, elle n’a pas non plus d’excès de confiance. Non, elle, elle se métamorphose, elle devient une autre personne. Du genre à se réveiller dans une chambre d’hôtel avec un tigre dans la salle de bains. C’est limite flippant. Et pour son bien, on préfère qu’elle s’en tienne à son rôle habituel de fille réservée. C’est souvent chiant pour nous, mais tellement plus safe pour elle.


Histoire de changer de sujet, je balance :


— Tu reprends quand le taf déjà ?

— Dans trois jours, souffle Marie d’un air dépité.

— Les bâtards ! Ils te laissent même pas te remettre du jour de l’an.

— Ouais. Et tout ça parce qu’une employée part en congé maternité anticipé et une autre fait un baby blues. Ça craint, ça me donnerait presque envie d’avoir des gosses juste pour profiter du système.

— T’es horrible de dire ça.

— Parce que tu connais pas ces deux meufs…


Je fais un signe de la main pour la stopper dans sa lancée. Un temps de réaction, puis elle percute, elle réalise à quel point c’est un sujet sensible pour moi.


— Pardon, je suis conne, se morfond-elle.


Je lui assure alors qu’elle n’est pas conne, plutôt maladroite.


Après, c’est aussi pour ça qu’elle reste mon amie. Je veux dire pour sa franchise et sa spontanéité. Elle dit ce qu’elle pense, sans aucun filtre. D’ailleurs, on se ressemble assez là-dessus. Sauf que de par mon vécu, j’ai une espèce de régulateur qui s’est mis en place tout seul. Je n’y peux rien, c’est ainsi. Mon esprit scanne automatiquement la situation et je sais ce qu’il convient de dire et surtout de ne pas dire. Bien sûr, ça ne fonctionne pas tout le temps, mais assez souvent pour que je ne me retrouve pas dans des impasses sinueuses.


Quoique…


J’aimerais bien de nouveau caresser le danger pour me sentir vivante.

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