Fyctia
5. MASON
*Mason*
Après quinze minutes de route, nous arrivons à Cambridge. Le Heaven's Corner est à l'angle de Palmer et de Church Street. Breslin pointe du doigt un stationnement ouvert à droite.
— Il y a un parking juste là.
Je tourne immédiatement le volant pour accéder au local. On ne voit pas encore le bar, mais le GPS nous dit que nous sommes au bon endroit. Je coupe le moteur et nous sortons de la voiture. D'emblée, je me frotte les mains pour les réchauffer. Il ne neige pas, mais j'ai quand même l'impression que la température a chuté depuis cette aprèm.
— Je sens que je vais m'éclater avec les Crimsons ce soir, déclare Weston en refermant sa portière.
— C'est pour ça que tu n'as pas mis ce blouson ridicule avec lequel tu te trimbales partout? Pour mieux t'infiltrer chez l’ennemi?
Wes ne relève pas la pique de Bre. Au lieu de ça, il passe les bras sur ses épaules pour déposer un baiser sur sa joue. La rouquine rosit légèrement, mais ne baisse pas sa garde pour autant.
— Tu as raison, dit-il sans la lâcher. Je n'ai pas besoin de voir ailleurs. J'ai tout ce dont j'ai besoin juste ici.
Elle le repousse aussitôt, lui arrachant un rictus railleur. Weston est le fils d'un ami à mon père. C'était la seule connaissance que j'avais à Boston quand j'y ai débarqué, alors on s'est naturellement rapprochés. On n'a pas du tout le même objectif pour la fac. Il veut être recruté par la NFL alors que tout ce que je veux c'est maintenir mon GPA élevé. Nous sortons souvent tous les trois, mais parfois Wes amène aussi ses potes de l'équipe de foot. Ce soir, c'est Nate et Devan. Ce qui n'est pas plus mal au cas où Addison se pointerait avec ses copines. De toute façon, je sais à l'avance qu'ils ne resteront avec nous que les vingt premières minutes. Ils ont tendance à disparaître rapidement de nos radars dans ce genre d'endroit.
On marche jusqu'au bâtiment à briques rouges à l'angle de la rue. Il y a une boutique de vêtements, mais c'est fermé. À côté, une balustrade en fer forgé borde le trottoir. Je lève les yeux et aperçois un discret panneau noir. Heaven's Corner est écrit dessus avec des lettres blanches. Le coin du paradis. Des escaliers mal éclairés se cachent derrière le garde-corps, nous menant directement à un sous-sol.
Un videur nous attend en bas devant une porte métallique. Bre et moi nous figeons instantanément. On n'a pas encore vingt et un ans et on ne s'attendait pas à ce qu'il y ait un videur ici. Elle tire discrètement l'ourlet de mon manteau. J'évite de la regarder pour ne pas attiser la curiosité de l'employé du club. On n'a nos fausses cartes d'identité, mais c'est toujours un risque que ça ne passe pas.
Wes tend sa main, paume vers le haut pour qu'on y dépose nos cartes. Lui et ses amis n'ont aucun souci à se faire. Il s'imagine sûrement qu'entre vraies et fausses, le videur ne verra pas la différence. L'homme baraqué les prend et regarde une à une, en s'attardant sur celle de Bre. Ses yeux se déplacent du document vers la rouquine, qui maintient les lèvres serrées en ligne droite. Au même moment, la porte s'ouvre d'un coup sec.
Tout de suite, le bruit assourdissant de la musique retentit dans nos oreilles et une lumière chaude jaillit du bar. C'est le batteur du groupe. Owen, il me semble. Il garde la main sur le battant et nous observe. Quand il me reconnait, il sourit. Un sourire qui s'élargit en voyant mon amie à ma gauche.
— Oh, c'est le gars du tabouret! s'exclame-t-il.
— Salut mec!
— Waouh! Je savais que j'avais bien fait de te faire de la pub. Tu as emmené plein de gens avec toi. On a besoin d'augmenter notre fanbase. Laisse-les entrer Ted, ils viennent pour nous.
Ted obtempère d'un signe de tête et nous rend nos documents.
— Je vais fumer une cigarette et je reviens tout de suite, dit-il en se faufilant entre nous pour monter les escaliers.
Weston franchit la porte en premier et s'arrête devant une espèce de guichet où une fille blonde nous accueille.
— Je m'en charge, dit-il. Vous me payez quelques bières après.
Tandis qu'il règle les billets, je me mets à observer le local. L'entrée est en réalité un large couloir. Les murs sont couverts d'affiches de groupes de rock mélangés à des articles de journaux. "Bob Dylan joue au Heaven's Corner". L'année, c'est 1961.
— Regarde! m'interpelle Bre. Suzanne Vega a joué ici.
— Bob Dylan aussi, je complète en pointant du doigt l'article de journal.
Quand notre ami finit de payer, on avance. En quittant le couloir, on arrive dans un énorme espace. De l'extérieur, on n'imagine pas que ce soit aussi grand. Il y a beaucoup de monde aussi. Les tables sont déjà presque toutes remplies. Wes touche mon épaule et part avec ses potes dans la direction du bar tandis que Breslin fait un pas vers une grande table vide, près de la scène. En m'installant, je balaie le plateau du regard, mais à part les instruments de musique, il n'y a personne.
— Alors, elle est où? demande Bre.
— Je ne la vois pas encore. Le mec qu'on a vu à l'entrée c'est le batteur du groupe, donc elle doit être déjà là.
Mon amie se redresse, regardant autour.
— Je vois beaucoup de têtes de Harvard ici. Wes va être servi.
— En espérant qu'on ne sera pas mis dehors avant la fin du concert.
Tout à coup, Weston arrive en posant trois chopes gelées sur la table. Il s'assoit immédiatement en face.
— Il est plutôt sympa cet endroit! s'exclame-t-il en agrippant l'anse de son verre avant d'en prendre une gorgée. Et je viens de parler à une fille trop canon. Apparemment c'est la chanteuse.
Sitôt ses mots prononcés, je me tourne afin d'avoir ne serait-ce qu'un aperçu d'elle.
— Quoi? demande Breslin. Elle, pas touche.
— Du calme! Tu restes ma préférée. Pas besoin d'être jalouse... Oh, je viens de comprendre. C'est pour ça qu'on est là. J'avoue que j'étais étonné quand notre futur médecin nous a invités à voir un concert, au lieu de passer son vendredi soir à étudier la bio.
Lorsque je me retourne vers lui, il me fixe longuement comme s'il venait de découvrir un moyen de marquer le prochain touchdown.
— Pourquoi tu n'es pas venu hier à la soirée des basketteurs? s'enquiert-il.
— J'avais un truc à faire et puis je suis allé boire un coup.
— Avec elle?
Il arque un sourcil et lève son verre, un sourire narquois aux lèvres. C'est alors que je note que ce n'est pas moi qu'il mate. Mais elle. Derrière moi. Je pivote à nouveau et cette fois, je la vois. Elle avance vers la scène. Et elle est encore plus belle qu'hier. Quand son regard croise le mien, elle m'adresse un léger sourire en me saluant de la main. Je fais pareil.
— Bon concert, souffle-t-elle en passant à côté de notre table pour monter sur le plateau.
— Ça va être une sacrée soirée, ironise Wes.
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Crimsons: surnom des équipes sportives de Harvard.
Touchdown: essai qui rapporte 6 points au football américain.
Les six personnages les plus importants sont maintenant au complet: Astra, Mason, Leon, Owen, Breslin et Weston.
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45 commentaires
sunandsoon
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