Fyctia
Tome 2 — Chapitre 6
— Tu devrais faire une pause, Constance.
— J’ai bientôt terminé. On doit rendre cette fresque demain et je veux qu’elle soit parfaite ! dis je en retraçant minutieusement le contour d’une de nos ombres fantomatiques plutôt effrayantes.
Evan me tend une bouteille d’eau puis s’agenouille à côté de moi pour m’aider avec les finitions.
— Waldorf voulait de la folie ? Elle va être servie, dit il en riant.
Je recule pour admirer notre œuvre. Plusieurs hommes et femmes sont dessinés, tous souriants, mais leur esprit est à nu et nous y avons représenté les combats intérieurs de chacun. J’adore !
— Tu crois qu’on va gagner ? je demande à Evan. Avec un peu de chance, on pourrait être exposés dans une galerie !
— Ne rêve pas trop. Si Waldorf choisit notre fresque, elle sera accrochée sur le mur du hall de l’université, c’est déjà un début !
— Il faut toujours voir loin. J’espère qu’un jour mon travail sera reconnu dans le milieu. Je vais tout faire pour, en tout cas.
— Tu ne voulais pas devenir professeur ? s’enquiert mon camarade en posant son pinceau.
— L’un n’empêche pas l’autre. Je peux enseigner et être exposée. J’espère…
Il pose sa main sur la mienne et me sourit gentiment.
— Je te le souhaite de tout cœur. Et je suis sûr que tu y arriveras.
— Merci, Evan.
Ses yeux se posent sur nos mains et son sourire se fige.
— Oh.
— Oh ?
Il retire sa main et pointe du doigt ma bague.
— Je ne l’avais jamais vue.
— C’est normal. Comme ici on est toujours en train de toucher à différentes matières, j’ai peur de la salir ou de l’abîmer, alors la plupart du temps je l’enlève.
Il cligne des yeux puis fixe à nouveau ma main.
— Alors, tu es genre, quoi ? Mariée ?
— Fiancée.
— Ouah ! Fiancée ?
Il semble à la fois surpris et un peu paumé. Ou peut être est il vexé ? S’attendait il à ce que je lui annonce la bonne nouvelle ? Je n’avais aucune raison de le faire.
— Félicitations, alors.
Il me prend maladroitement dans ses bras et tapote le haut de mon dos.
— Merci, dis je en me dégageant de son étreinte, mal à l’aise.
Je reprends mon travail sur la fresque. Evan m’imite, mais au bout de quelques minutes il m’interroge :
— Je peux te poser une question ?
— Je t’écoute.
— Ça ne te fait pas bizarre d’être déjà fiancée à ton âge ?
Je sens que cette conversation ne va pas me plaire.
— Si j’ai dit oui, c’est que ça ne me semble pas bizarre.
— Ouais, sûrement. Vous êtes ensemble depuis longtemps, avec ton mec ?
Pas me plaire du tout.
— Bientôt un an.
Neuf mois, en fait, mais ça ne fait pas de mal d’arrondir. Et d’ailleurs, pourquoi j’arrondis ? Je sais très bien pourquoi Evan me demande ça. Il va probablement trouver que mon engagement est trop rapide, mais je me fiche de ce qu’il pense. Alors pourquoi je me sens obligée d’enjoliver la vérité ?
— Ah.
— J’aimerais vraiment qu’on finisse cette fresque. On s’y remet ?
Je m’empresse de joindre le geste à la parole pour mettre fin à ses questions énervantes.
— Ouais, bien sûr. Excuse moi, je t’ai mise mal à l’aise ?
— Non.
Oui !
Je pose mon crayon, me lève et file préparer le mélange de peinture dont j’ai besoin. Quand j’ai obtenu la teinte de gris que je voulais, je retourne m’agenouiller auprès d’Evan, qui estompe les ombres autour des personnages avec son doigt.
— Je trouve ça incroyable d’être sûr de la personne avec qui l’on est, au point de s’engager pour la vie.
Et le voilà qui recommence.
— Qu’est ce qui te dérange ? C’est ma vie, je fais ce que je veux, je réplique, agacée.
— Bien sûr. Désolé, je ne voulais pas te vexer. C’est juste que j’ai une vision bien à moi de l’amour et j’oublie parfois qu’on n’a pas tous la même.
Il n’en dit pas plus, sauf que maintenant je veux savoir quel est son point de vue. Et je vois qu’il meurt d’envie de me l’exposer. Je sens que je vais le regretter, mais je lui demande quand même :
— Explique.
— OK, dit il en se redressant. Nous sommes sept milliards sur Terre. On nous rabâche sans cesse cette histoire d’âme sœur, imagine un peu si elle existe vraiment.
— Elle existe. Je suis sûre qu’on en a tous une qui nous attend quelque part, et j’ai trouvé la mienne.
— Admettons. Mais dans mon cas, sur les sept milliards d’habitants sur Terre, la moitié sont des femmes. Disons que sur ces trois milliards et quelque la moitié sont trop jeunes ou trop vieilles pour me convenir… il reste donc un peu plus d’un milliard de femmes qui pourraient être mon âme sœur.
Dans quel délire est il parti ?
— Tu fais des maths pour trouver l’amour ?
— Ce que je dis, c’est que les possibilités sont innombrables. Comment peut on être sûr d’être avec la bonne personne alors qu’il y a tant d’autres poissons dans la mer ?
Après les maths, les poissons… Les vapeurs de peinture ont dû lui monter à la tête.
— Ça s’appelle le destin. Un jour ou l’autre, la personne qui te convient est placée sur ta route, c’est comme ça.
— Comment peux tu être sûre que ton mec est le bon ? Qui te dit que ce n’était pas par exemple un de tes ex que tu aurais laissé filer ?
Eh bien, étant donné que je n’ai pas d’ex, c’est simple de le savoir, mais je me garde bien de dire ça tout haut.
— Ou, puisque tu y crois, qui te dit que tu ne vas pas voir cette fameuse âme sœur débarquer un jour dans ta vie ? Qu’est ce que tu feras, dans ce cas ? Tu seras mariée à un autre et peut être que…
— Stop.
Evan commence sérieusement à me foutre la trouille, et pire encore, son raisonnement ne me semble pas si absurde.
— Peut être que tu ne crois pas à tout ça, et peut être que tu vas me trouver naïve, mais je sais que Noah est celui qu’il me faut. Il est arrivé dans ma vie de la façon la plus dingue possible et crois moi, au départ, on n’avait rien en commun. Mais c’est là que l’amour joue son rôle. Noah est parfait. Il est doux, patient et à l’écoute, il me fait rire et…
Arrête de te justifier !
— Tu sais quoi ? Peu importe. Je suis sûre de moi et je suis sûre de lui.
Evan acquiesce et finit par sourire. Il prend à nouveau ma main et la serre doucement dans la sienne.
— Alors je suis heureux pour toi.
Un raclement de gorge attire soudain notre attention. Noah se tient dans l’encadrement de la porte, les bras croisés sur sa poitrine, injustement beau dans son pantalon noir, son t shirt gris et sa veste en cuir. Je me redresse et me dirige vers lui.
— Qu’est ce que tu fais là ?
Il hausse un sourcil. Son regard est sombre. Est il énervé ?
Oh !
— Tu ne te souviens pas qu’on doit aller chercher mes parents à l’aéroport ?
Quoi ? C’est déjà l’heure ? Impossible. Je jette un coup d’œil à ma tenue débraillée et tachée de peinture.
— Oh, Noah, j’étais totalement absorbée par cette fresque. Donne moi cinq minutes pour me changer et j’arrive.
— Pas la peine, je vois que je dérange. Termine ce que tu as à faire, je vais aller à l’aéroport tout seul.
— Tu ne nous déranges pas du tout !
Je m’approche pour lui donner un baiser, qu’il ne me rend pas.
— Vas y, Constance, intervient Evan derrière moi. Il ne reste que quelques petites finitions. Je vais m’en occuper.
Noah tourne les talons sans rien dire. Je l’interpelle :
— Attends moi !
— Je t’ai dit que tu n’étais pas obligée de venir.
— Bien sûr que si.
— Tu avais pourtant l’air de passer du bon temps, me reproche t il en accélérant le pas. Amuse toi bien avec Evan. Et quand tu auras du temps à accorder à ma famille tu n’auras qu’à venir dîner avec nous.
— Ne dis pas ça, je…
Mais Noah a déjà disparu derrière les grandes portes vitrées de la SVA. Il va aller chercher ses parents tout seul alors que Carole est déjà sur les nerfs à cause du mariage. J’ai merdé !
Mon cœur se serre. Je ne supporte pas que Noah soit malheureux, et encore moins que ce soit par ma faute. Je retourne dans l’atelier, où Evan s’est remis à travailler sur notre fresque. Si je n’avais pas été distraite par ses histoires de maths et de poissons, j’aurais vu l’heure tourner.
Je rassemble mes affaires en silence et pars en saluant à peine mon camarade. L’idée de prendre un taxi et de me rendre quand même à l’aéroport me traverse l’esprit, mais je la repousse.
Je vais rentrer à l’appartement, m’assurer qu’il est nickel et préparer le dîner. Je vais faire en sorte que tout soit parfait et Noah me pardonnera.
Quand j’arrive chez moi, ma meilleure amie est en train de s’affairer en cuisine.
— Merci, Sophia. T’es un amour.
Je fonce dans la douche pour me décrasser et passer une tenue propre. Je redescends vêtue d’un jean et d’une chemise à carreaux bleue. Je peigne mes longs cheveux mouillés tout en inspectant l’appartement à la recherche de poussière. Je sens bien que depuis l’annonce du mariage Carole n’est plus aussi enjouée. J’ai l’impression de devoir à nouveau faire mes preuves.
— Du calme, Constance. Ce n’est pas la première fois que tu les rencontres.
— Non, mais nos fiançailles ont jeté une sorte de froid. Je veux que les Dumont se sentent bien ici et que Carole soit rassurée sur le bonheur de son fils.
Je sors une chaussette de Noah de sous le canapé et découvre avec horreur qu’elle traîne derrière elle une colonie de moutons de poussière. Je cours chercher le balai tout en terminant de démêler mes cheveux. Quel bordel.
— Pourquoi aurait elle besoin d’être rassurée sur le bonheur de Noah ? demande Sophia en fouillant dans les placards à vaisselle. Il est heureux, non ?
— Oui…
Enfin, je crois… mais depuis quelques jours il me semble préoccupé.
Je remonte à l’étage me sécher les cheveux et tenter de me calmer. Si Carole me sent stressée, elle se posera encore plus de questions. Et je dois discuter avec Noah de sa réaction de tout à l’heure, ce qui m’angoisse. J’espère qu’il ne sera pas contrarié toute la soirée.
Je viens de sortir ma trousse à maquillage – histoire de me donner bonne mine –, lorsque j’entends la voix de Noah au rez de chaussée, ainsi que celle d’Armand.
Inspire.
Expire.
C’est parti !
13 commentaires
louisefb
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Il y a 9 ans
branqui
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Il y a 9 ans
HonorineHamelin
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Il y a 9 ans
Laura S. Wild
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Il y a 9 ans
Shokgirl21
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Il y a 9 ans
CocoDG
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Il y a 9 ans
chacha2780
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Il y a 9 ans
Laura S. Wild
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Il y a 9 ans
Christina Meyer
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Il y a 9 ans
juliettegreco
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Il y a 9 ans