Fyctia
L'étreinte murmure 1
Le sentier menant au Sanctuaire des Reflets devenait de plus en plus escarpé. Le vent sifflait entre les crêtes, et chaque pas semblait les rapprocher d’un mystère insondable. Pourtant, une tension invisible pesait sur eux, comme si les montagnes elles-mêmes les observaient.
Carthos Jo, en tête du groupe, s’arrêta soudain.
— « Écoutez… Le silence ici n’est pas naturel. »
Léandre fronça les sourcils. Il tendit l’oreille, mais ne perçut rien d’autre que le bruit de leurs respirations et le craquement des pierres sous leurs pieds. Camille, qui marchait juste derrière lui, murmura :
— « C’est un silence vivant. Comme si quelque chose retenait son souffle. »
Après plusieurs heures de marche, ils atteignirent un plateau où un étrange monument se dressait. Une arche massive, sculptée dans un marbre noir scintillant, était gravée d’inscriptions dans une langue ancienne. Léandre, fasciné, s’approcha pour examiner les motifs.
Christopher, toujours sceptique, lut à haute voix l’inscription centrale, dont une traduction approximative était gravée en latin :
« Seul celui qui accepte l’ombre en lui peut passer. Refuse-la, et les ombres te dévoreront. »
Bill Kal, visiblement mal à l’aise, s’éloigna légèrement.
— « Qu’est-ce que ça signifie ? Encore un test philosophique ? »
Jenny répondit, son ton calme mais ferme :
— « Ce n’est pas seulement un test. C’est un seuil. Ce genre de défi demande plus qu’une solution intellectuelle… Il faut ressentir. »
Léandre posa sa main sur l’arche, et immédiatement, une voix résonna dans sa tête, profonde et troublante :
— « Montre-moi ton imperfection, et je te montrerai ton chemin. »
Avant que Léandre ne puisse répondre, des silhouettes commencèrent à émerger des rochers environnants. Des ombres, indistinctes mais terriblement menaçantes, se formèrent autour du groupe. Leurs contours semblaient faits de fumée, mais leurs yeux rouges brillaient d’une lumière cruelle.
Camille recula instinctivement.
— « Les ombres égarées… Elles étaient mentionnées dans les légendes. Elles s’attaquent à ceux qui doutent, ceux qui hésitent. »
Christopher, bien qu’effrayé, tenta de raisonner avec les autres.
— « Ce ne sont que des projections de notre esprit ! Si nous restons calmes, elles disparaîtront. »
Mais une ombre fondit sur lui, le forçant à esquiver de justesse. La créature semblait vouloir s’infiltrer en lui, comme si elle cherchait une faille dans sa volonté.
Carthos Jo cria :
— « Ne combattez pas par la force brute ! Confrontez-les par la vérité. Si vous les niez, elles deviendront plus fortes. »
Jenny, les mains tremblantes, ferma les yeux et murmura une prière :
— « Montre-moi mon reflet, ombre. Je n’ai rien à te cacher. »
À ces mots, l’ombre devant elle vacilla, se tordit, et disparut dans un nuage de poussière lumineuse. Léandre, inspiré par son courage, se tourna vers l’ombre qui l’encerclait.
— « Si tu veux me briser, montre-moi ce que je redoute. Je suis prêt. »
L’ombre changea alors de forme, prenant celle d’un Léandre plus jeune, les mains tachées de peinture, les yeux pleins de larmes. C’était lui, au bord de la faillite artistique, rongé par le doute et la peur de l’échec.
Mais au lieu de détourner le regard, Léandre s’avança et prit cette version de lui-même dans ses bras.
— « Tu fais partie de moi. Et je t’accepte. »
L’ombre se dissipa, et un éclat de lumière sembla jaillir du cristal qu’il portait. Peu à peu, les autres suivirent son exemple, confrontant leurs propres peurs et imperfections. Les ombres, privées de leur pouvoir, se dissolvaient une à une.
Lorsque la dernière ombre disparut, l’arche noire émit une lueur douce et s’ouvrit, révélant un chemin descendant dans les entrailles de la montagne. Une odeur de terre humide et d’encens ancien flottait dans l’air.
Léandre se tourna vers les autres, le regard empreint d’une nouvelle détermination.
— « Nous avons franchi une étape. Mais ce n’est qu’un début. Ce sanctuaire teste notre âme autant que notre corps. »
Carthos Jo acquiesça, mais son visage restait grave.
— « Les épreuves vont devenir plus personnelles, plus intenses. Ce lieu ne veut pas seulement que nous comprenions le sacré. Il veut que nous l’incarnions. »
Le groupe entra dans l’obscurité du passage, leurs torches projetant des ombres dansantes sur les murs. Au loin, un chant ancien résonnait, à la fois apaisant et terrifiant. C’était un appel irrésistible, une mélodie qui semblait contenir toutes les réponses et toutes les questions.
Le passage dans lequel ils s’enfonçaient semblait sans fin, les murs ornés de gravures à peine visibles dans la lueur vacillante de leurs torches. Chaque pas résonnait comme une prière oubliée, amplifié par l’écho étouffé de la pierre. Mais ce n’étaient pas seulement leurs bruits qu’ils entendaient.
Des murmures. Faibles, presque imperceptibles, mais indéniablement là. Ils semblaient venir de partout et de nulle part, comme des voix perdues entre deux mondes.
— « Vous entendez ça ? » demanda Camille, brisant le silence tendu.
Léandre hocha la tête, fixant l’obscurité devant eux.
— « Ce ne sont pas des mots. C’est… une intention, un appel. »
Jenny, qui marchait en retrait, s’arrêta brusquement. Elle plaça une main tremblante contre la paroi, les yeux mi-clos.
— « Ces voix... elles pleurent. Mais ce n’est pas de la tristesse. C’est une sorte de nostalgie… comme si elles attendaient quelqu’un. »
Carthos Jo, l'air grave, murmura :
— « Ce sont les voix de ceux qui ont cherché avant nous. Certains ont échoué, d'autres ont abandonné. Ils sont devenus des échos, des fragments de mémoire laissés ici pour avertir ou guider. »
Plus loin, le passage s’élargit pour dévoiler une vaste salle circulaire, dominée par sept miroirs disposés en cercle. Chaque miroir était unique : l’un était brisé, un autre embué, un autre encore poli comme un lac immobile. Une inscription gravée au centre de la pièce brillait faiblement :
« Les sept reflets montrent ce que vous êtes, ce que vous étiez, et ce que vous pourriez devenir. Choisissez avec soin, car un seul révèle le chemin. Les autres consument l’âme. »
Bill Kal se figea devant le miroir fissuré, fasciné par son propre reflet fragmenté.
— « C’est… moi, mais ce n’est pas moi. »
Dans le miroir, son visage était changé, vieilli par une obsession dévorante, ses mains couvertes d’une poussière dorée, comme s’il avait tenté de sculpter l’éternité elle-même. Il recula brusquement, le souffle court.
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