Fyctia
La déesse Myrithia 6
Une voix émergea des ombres, cette fois plus forte et plus claire. Elle était à la fois masculine et féminine, douce et terrifiante.
— « Vous marchez sur le territoire des Juges de l’Inspiration. Chaque pas en avant vous rapproche de l’infini, mais qu’êtes-vous prêts à laisser derrière ? Votre mémoire ? Votre identité ? Votre essence ? »
Camille recula instinctivement, mais Léandre fit un pas en avant, le cristal serré dans sa main.
— « Nous ne sommes pas là pour mendier. Nous sommes ici pour comprendre. L’inspiration, l’infini… ce n’est pas seulement pour nous. C’est pour l’humanité tout entière. »
La voix ricana doucement.
— « Comprendre ? L’humanité a toujours cherché à comprendre ce qui est au-delà d’elle. Mais chaque réponse est un poison, chaque vérité une malédiction. Êtes-vous prêts à porter ce poids ? »
La salle s’emplit alors de mouvements. Les statues, auparavant figées, commencèrent à se mouvoir. Lentement, elles se détachaient de leurs socles, leurs yeux vides tournés vers le groupe.
— « Ce sont les égarés, » murmura Camille, horrifiée. « Ceux qui ont échoué dans leur quête. »
Les silhouettes avancèrent, leurs pas lourds résonnant dans la salle. L’une d’elles tendit une main vers Christopher, murmurant des mots incompréhensibles, presque suppliants.
Jenny, paralysée par la peur, joua instinctivement quelques notes sur sa harpe. Le son, clair et vibrant, fit reculer les ombres, mais seulement pour un instant.
— « Nous devons trouver la clé pour passer, » dit Léandre, scrutant la salle. « Le cristal doit être la réponse. »
Camille observa les symboles qui brillaient faiblement sur le sol.
— « Regardez ! Ces signes… ils forment une constellation. »
Elle traça rapidement les contours avec son doigt. Lorsque les lignes furent complétées, un cercle de lumière s’alluma au centre de la pièce. Les ombres reculèrent immédiatement, leurs gémissements s’intensifiant.
Léandre plaça le cristal dans le cercle, et une lumière éclatante illumina la salle. Les ombres hurlèrent, se dissipant une à une. Mais au lieu de disparaître complètement, elles laissèrent derrière elles une image fugace : des scènes de vie, des fragments de mémoire volés, flottant comme des mirages.
— « Ces souvenirs… ce sont les leurs, » murmura Jenny, fascinée et attristée à la fois. « Ils ont tout donné pour cette quête, et voilà ce qu’il en reste. »
La salle se vida de son obscurité, révélant une nouvelle porte, ornée d’un motif complexe représentant une fleur à six pétales. Léandre récupéra le cristal, qui semblait briller avec une intensité nouvelle.
La voix résonna une dernière fois, plus lointaine mais toujours imposante :
— « Vous avez franchi un seuil. Mais le prochain fragment vous coûtera plus qu’un souvenir. Préparez-vous à affronter ce que vous refusez de voir en vous-mêmes. »
Le groupe, désormais renforcé par la lumière du cristal, avançait dans un silence lourd. La nouvelle porte ornée d’une fleur à six pétales semblait presque organique, vivante. Chaque pétale brillait faiblement, pulsant au rythme de leurs pas comme un cœur battant doucement.
Camille, les doigts encore tremblants après les épreuves passées, approcha la porte. Elle traça du bout des doigts les contours des pétales. À son contact, une inscription, jusque-là invisible, apparut dans une langue ancienne.
— « C’est une énigme, » souffla-t-elle. « Une clé dissimulée dans les mots. Écoutez : ‘Six chemins, six sacrifices, six reflets de l’âme. Celui qui cherche l’infini doit abandonner ce qui le retient en arrière.’ »
Léandre fronça les sourcils, scrutant la gravure avec intensité.
— « Cela implique que pour chaque fragment, nous devons laisser une partie de nous derrière. Mais jusqu’à quel point ? »
Jenny, toujours pensive, toucha sa harpe.
— « Peut-être que c’est plus symbolique qu’il n’y paraît. Et si ce n’était pas une perte mais une transformation ? L’inspiration demande des sacrifices, mais elle donne aussi quelque chose en retour. »
La porte s’ouvrit lentement, dévoilant un couloir brillant, semblant fait de cristal pur. Chaque pas faisait résonner des échos lointains, comme si des voix invisibles murmuraient des prières anciennes. Les murs étaient couverts de reflets mouvants, projetant des visions fugaces de vies passées et présentes.
— « Regardez ! » s’exclama Christopher, désignant l’un des reflets. « C’est moi… mais plus jeune. »
Dans le miroir liquide, ils purent voir un jeune Christopher, penché sur une machine à écrire, entouré de piles de manuscrits inachevés. Sa frustration était palpable, son visage marqué par une fatigue que le groupe reconnaissait bien.
— « C’est un avertissement, » murmura Léandre. « Ces visions reflètent nos doutes, nos échecs, et tout ce que nous avons tenté de fuir. »
Camille s’arrêta devant un autre miroir. Elle y vit une femme, la version d’elle-même d’il y a plusieurs années, avant qu’elle ne disparaisse dans sa quête de l’inspiration éternelle. Cette femme souriait, entourée de livres, mais ses yeux trahissaient une solitude profonde.
— « Et si ces reflets étaient là pour nous juger ? Pour nous demander si nous avons changé, ou si nous restons les mêmes, prisonniers de nos propres limitations ? »
Alors qu’ils atteignaient le bout du couloir, une lumière intense les éblouit, les forçant à fermer les yeux. Une voix, cette fois différente et plus douce, résonna dans l’air :
— « Vous qui cherchez l’éternité, que laisserez-vous derrière pour avancer ? Votre fardeau, vos regrets, ou quelque chose de plus cher encore ? »
Des autels apparurent devant eux, chacun portant un objet symbolique. Une plume pour Camille, représentant ses écrits ; une harpe miniature pour Jenny, écho de son art ; une pierre taillée pour Christopher, rappel de son pragmatisme ; et une amulette pour Léandre, vestige de son passé glorieux.
— « Ces objets sont des fragments de vos âmes, » poursuivit la voix. « Pour récupérer le prochain cristal, vous devez en laisser un ici. Ce que vous choisissez de sacrifier définira la suite de votre chemin. »
Léandre posa son amulette sur l’autel sans hésiter, son regard déterminé.
— « Mon passé ne me définit plus. Si je dois avancer, je dois abandonner ce poids. »
Camille hésita, la plume tremblant entre ses doigts.
— « Et si ce sacrifice effaçait une partie de nous ? Et si c’était une perte irrémédiable ? »
2 commentaires
NohGoa
-
Il y a un mois
Amphitrite
-
Il y a un mois