Fyctia
Curieux sentiments
Devant les portes de l’ascenseur, Diegory laissa l’inconnu aux soins d’Elise et de Talyah. Il emprunta les escaliers et s’équipa de son oreillette afin de prévenir Gareth de leur arrivée imminente. Après trois tonalités, la voix du jeune homme pulsa au tympan de Diegory. Ce dernier lui expliqua la situation dans laquelle ils s’étaient embourbés à la morgue avec Elise et, curieusement, son allocuteur ne sembla pas surpris. Tout du moins, son attention paraissait captive d’un sujet bien plus intéressant que la dernière lubie d'Elise.
— Tu m’écoutes ? s’enquit Diegory. On est dans la merde jusqu’au cou s’ils n’ont pas terminé d’analyser le numéro inscrit sur la cuve. Tu peux te renseigner ?
— Vu l’état émotionnel dans lequel le Chef se trouve, tu pourrais même pisser sur son bureau qu’il ne t’en tiendrait pas rigueur. Tu connais l’adage : le « maître » a trouvé son maître. J’sais pas qui est ce type, mais je donnerais cher pour avoir ne serait-ce qu’un poil de son charisme, soupira-t-il. Ils arrivent, je raccroche.
Stupéfié par ces dires et la rapidité avec laquelle Gareth avait raccroché, l'enquêteur mit quelques secondes avant de recomposer le numéro. Les six appels qu'il passa restèrent sans réponse. Diegory relança la communication une dernière fois lorsqu'un signal sonore lui indiqua l'arrivée d'un SMS. Sans perdre un instant, son doigt effleura l'écran.
« Gareth Sleam :
Que ton âme repose en paix. »
Même si le message se présageait funeste, Diegory ne parvint pas à s'empêcher de rire tout en rangeant son téléphone portable, car, à l'évidence, Gareth n'était plus en mesure de décrocher sans éveiller des soupçons. Ce jeune homme était le clown de leur section. Même dans les situations les plus périlleuses, il parvenait à dérider quiconque se trouvait dans son sillage. Il apportait de « l'espoir » là où tous semblaient avoir cessé d'y croire. Parfois, Diegory se demandait ce qu'il adviendrait de sa folie s'il était envoyé sur le terrain.
Sur le palier attenant au hall, l'enquêteur inspira profondément avant d'ouvrir la porte. En quelques enjambées, il rejoignit Elise qui sursauta à son arrivée. Pour la énième fois, il la vit obliquer le regard. La jeune femme arborait cette attitude depuis qu'ils l'avaient retrouvée. À maintes reprises, il l'avait vu détourner la tête, parfois même alors qu'elle observait le coin d'un mur. Bien qu'elle lui eût lancé de multiples sourires, Diegory n'était pas dupe. Elise n'était pas dans son état habituel.
— Tu ne nous accompagneras pas.
Ces mots... venait-il vraiment de les prononcer ? Les yeux bleus de l'inspectrice avaient plongé dans les siens. Sans mal, il lut l'incompréhension et l'inquiétude sur son visage. Comme pour se donner une contenance, il répéta les mêmes mots, mais plus fort cette fois. Tant, que même Talyah se retourna l'espace d'une seconde avant de reprendre sa route.
— Tu ne nous accompagneras pas. Tu n'es pas en état.
— Je comprends.
Qu'avez-vous fait à Elise Rivera ? songea-t-il. D'ordinaire, elle se serait démenée pour l'accompagner, il en avait eu un aperçu avec leur venue à la morgue. Avait-elle, elle aussi, remarqué ne pas être en état ? Au sourire qu'elle épingla sur son visage tandis que ses yeux trahissaient sa peine, il eut soudain le sentiment qu'il allait amèrement le regretter.
— Le Chef passera sûrement te voir, veille à rester dans ta chambre.
Elise opina sans se défaire de ce sourire qu'il savait faux. Il lui tapota l'épaule et s'éloigna en direction de la sortie. Il atteignait les portes automatiques quand la voix de l'inspectrice s'éleva dans son dos :
— S'il te plaît, ne le fait pas se sentir plus coupable qu'il ne pense l'être.
— Je ne peux pas te le promettre, lança-t-il en se tournant vers elle, mais je ferai au mieux.
⁂
Elise les regarda s’éloigner. À peine eurent-ils quitté son champ de vision qu’elle tourna les talons. Au fond, regagner sa chambre comme lui avait subtilement intimé Diegory s’avérait plus judicieux, pourtant, son chemin fut tout autre.
Immobile devant la morgue, Elise temporisait. Franchir ces portes revenait à franchir le point de non-retour. Hélas, les mots de cette entité tout comme les questions qui en avaient découlé la tourmentaient. En quoi ce corps parviendrait-il à l’aider ? Lui permettrait-il de mettre son bourreau derrière les barreaux ? Lui donnerait-il une information cruciale ? Ou au contraire, cet être brumeux, cherchait-il à la conduire à sa perte ? Si tel avait été le cas, ne lui aurait-il tout simplement pas ôté la vie quand il en avait eu l’occasion ?
— Vous n’entrez pas ? tonna la voix du médecin légiste derrière elle.
— Je ne devrais pas être ici, répondit Elise, pensive.
— Mais vous n’y êtes pas. La dernière fois que nous nous sommes vus, vous retourniez dans le hall d’entrée avec vos coéquipiers. Que dis-je ? se reprit-il, nous ne nous sommes jamais rencontrés.
— Je ne vous comprends pas.
— Ce n’est pas que vous ne compreniez pas, c’est juste que vous regardez dans la mauvaise direction.
À ces mots, une bribe d’un souvenir lointain se juxtaposa.
« Ce n’est pas que tu ne comprends pas ma chérie, c’est juste que tu ne regardes pas dans la bonne direction. »
Cette phrase… Sa mère la répétait à longueur de temps. Elise se souvenait même de l’expression de son visage lorsqu’elle la prononçait. Cet homme, à quel point avait-il été proche de sa mère pour en connaître son dicton préféré ?
Elise fit volte-face. Le légiste se situait à six pas, immobile, une combinaison blanche prisonnière de sa housse transparente et un long tablier en polyuréthane repliés sur son avant-bras. Plus que sérieux, il combla la distance qui les séparait tout en prenant la parole :
— Je savais que vous reviendriez, mais j’ignorais que ce serait aussi rapide. Je n’ai pas eu le temps de vous trouver une paire de bottes. Enfin, libre à vous de m’accompagner pour l’autopsie du numéro 16, continua-t-il en proposant à Elise la tenue de travail et le tablier qu’il était allé chercher en vue de sa prochaine visite. Thiels vous a formée, n’est-ce pas ?
Elise ne put s’empêcher de saisir l’offrande qu’il lui tendait. Sagissait-il d’un signe du destin ? À l’évidence, tout la poussait à franchir la limite. Jusqu’où irait-elle pour venger cette mère et sa fille ? Était-ce si important à ses yeux au point d’en négliger tout le reste ?
— Ne craignez-vous pas les conséquences ? s’enquit Elise. N’avez-vous donc pas peur de ce que je pourrais faire ?
— Je sais tout ce que vous n’êtes pas, même si j’ignore qui vous êtes. Le choix vous revient : j’ai confiance en vos capacités et votre sens analytique sera un atout dans l’état où se trouve le corps.
— Vous influencez ma décision, se surprit Elise.
— Je vous sais sur le point de craquer, concéda le légiste, taquin, avant de déverrouiller l’accès à la morgue.
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Kiran Syrova
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