Fyctia
Chapitre 4 : Lyla (1/2)
Je suis à poil dans un jacuzzi, et je laisse un inconnu flirter avec moi à l’autre bout du fil. Il a beau ne pas pouvoir me voir, je lui ai quand même dépeint la scène plutôt avec précision. Quelle idiote d’avoir appuyé sur le bouton vert sans vérifier.
J’ignore si c’est le soulagement de savoir que mon sac n’est pas perdu, que mes carnets seront bientôt à nouveau dans mes mains, ou si c’est la prévenance de ce gars, mais je me sens un peu euphorique. Quel type trouve ça normal de demander à sa belle-soeur de fouiller dans un sac de femme ? Qui est aussi prévenant ?
— Marjorie ? il poursuit ses essais sur mon prénom.
— Tu as un truc avec les prénoms en « i » ?
Il marque un temps d’arrêt avant de reprendre d’une voix plus grave :
— Ne me dis pas que tu t’appelles Fanny ?
— Lyla. Je m’appelle Lyla. Qui est Fanny ?
— Lyla, c’est très joli.
— Qui est Fanny, je répète un sourire dans la voix.
— Je te réponds si tu me dis ce qu’il y a dans tes carnets.
Il fait bien de me ramener à la réalité. Je suis en train de dévier complet, c’est n’importe quoi.
— Comment est-ce que je peux récupérer mon sac ? je demande d’un ton plus sec que ce que je ne l’aurais souhaité.
Imaginer tenir à nouveau mes bébés dans mes bras compte plus que tout le reste.
— Dis-moi ce qui t’arrange ? il rétorque sur un ton totalement neutre, comme si notre échange n’avait pas pris une direction plus personnelle juste avant. Plutôt vers le centre ? il rajoute. Tu es descendue à Victor Hugo, je peux te rejoindre là-bas mais pas trop tard dans l’aprem, après j’ai de la route.
— Ah… heu…
Je me frotte les yeux, comme si ça allait aider mes neurones à mieux se reconnecter.
— Je te rends ton sac, et je te laisse tranquille, promis.
— C’est pas ça. Je suis désolée, j’étais de passage à Grenoble que pour quelques heures. Je suis en Savoie, à Courchevel, et je n’ai pas de voiture.
— Ok, il répond d’un ton enthousiaste. Le sac peut rester chez mon frère jusqu’à ce que tu reviennes, c’est pas un souci.
— Non, non, en fait, j’avais un rendez-vous à Grenoble, mais c’était une étape, je ne repasse pas par là après.
— Oh. D’accord. C’est plus compliqué que prévu. Il n’y a pas moyen que quelqu’un vienne de Gre pour te le déposer ?
Je n’aime pas raconter ma vie, mais là, je suis un peu obligée. Et le jacuzzi a perdu tout son attrait. J’attrape ma serviette, me hisse hors de l’eau et m’enroule dedans aussi vite que possible, comme si Robin pouvait m’observer.
Dehors, les arbres sont lourds de neige, le soleil éclatant fait tout scintiller, les sommets sont comme recouverts de chantilly, c’est splendide. L’espoir de retrouver mon sac vient de m’ouvrir les yeux sur le lieu où je réside, et pourtant, je n’arrive pas à profiter pleinement, parce que mes carnets sont là-bas, et moi ici.
— Je ne suis pas de la région, j’explique à l’inconnu du tram, un brin stressée. Je suis ici pour le travail, c’est une mission courte qui se termine le 4 décembre. Après, je prends un avion à Genève pour la Thaïlande. Je… C’est la merde.
— Ou alors…
— Et même si je paye pour que tu me l’envoies par la Poste, y a trop de risque que ça n’arrive pas à temps. Est-ce que…
— Lyla, je peux…
Je réfléchis en même temps que je lui parle, parce qu’il est impensable que je quitte la France sans mon sac.
— Est-ce que je peux te rappeler ? je finis par couper court. Je vais voir à modifier mon billet d’avion. Ça ne te dérange pas ?
— J’ai une autre option, Lyla.
— Je… Quoi ?
Le stress, encore une fois, dépose un foulard sombre sur ma tête ; les effets du jacuzzi se sont déjà dissipés, je suis toute tendue, j’ai du mal à entendre une autre voix que celle qui boucle dans ma caboche que ça ne va pas.
— Je peux venir jusqu’à Courchevel, il propose d’une voix douce.
— Oh non, non non non ! Pas question !
— Par autoroute, c’est à peine à plus d’une heure de Gre, et j’en profiterai pour passer voir quelqu’un dans le coin. Je peux faire le déplacement mardi dans la journée. C’est bon pour toi ?
Mardi, c’est le 1er décembre. Je le sais, j’ai déjà fait mon programme parfait pour ce premier jour de l’Avent d’anthologie. Pas question de renoncer au début de mes festivités, d’autant que je ne sais pas encore comment je vais célébrer cette période une fois en Thaïlande.
Et puis, il est hors de question que je sois redevable à un homme. Ce sac oublié, c’est ma boulette. Il m’a déjà aidée. Deux fois. C’est génial mais ça pique un peu mon besoin de prouver que je peux me débrouiller toute seule.
1 commentaire
Eva Baldaras
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Il y a 13 jours