Fyctia
6.-
J’allai mourir.
Je suis rentré chez moi. Les lumières de la maison étaient toutes éteintes, ma femme et mes enfants probablement couchés. Je me suis servi un verre dans la cuisine. J’ai apprécié la couleur ambrée et l’odeur caramel du rhum dix ans d’âge, du moins uniquement sur les trois premiers verres. À mi-bouteille, je me moquais terriblement de son goût et de son apparence.
Titubant, j’ai rejoint la salle de bain. J’ai pris une longue douche, laissant l’eau ruisseler des heures sur mes cheveux. Je voulais effacer toutes les odeurs, celles du sexe, de la trahison et de ma noirceur. Je m’en voulais.
Face à mon reflet, aucune envie de retrousser mes lèvres, de prendre ma voix rauque et de jouer les tyrans, bad-boys, méchants, tueurs ou gangsters. Je l’avais suffisamment été aujourd’hui. Je voulais seulement aller me coucher.
Ma femme, ma petite femme qui m’avait aimé et soutenu pendant plus de vingt ans était endormie, recroquevillée en petite cuillère. À mille lieux de se douter de ce que j’avais fait et que j’allais mourir, l’abandonner.
Je me suis couché sur le dos et j’ai regardé le plafond. J’ai su, à cet instant, que mon heure était arrivée. La faucheuse me rendra visite cette nuit. J’allais mourir dans mon sommeil, près de l’amour de ma vie, sans un bruit, sans un dernier adieu.
Finalement, c’était comme si je l’avais toujours su.
Ma respiration ralentit.
Mes yeux se fermèrent.
Les battements de mon cœur temporisèrent.
Mon esprit s’apaisa.
La vie me quittait.
À l’ultime instant, je songeai à cette fameuse après-midi, au coup de téléphone qui m’avait réveillé pour m’apprendre ma mort prochaine. La voix du médecin, cette voix brute et rauque que je connaissais. C’était cette même voix que je prenais devant mon miroir pour jouer les vilains.
C’était ma voix.
Je songeai à la fêlure que j’avais dans le cœur, à cette noirceur qui était prisonnière. Je songeai à cette bête enfermée dans une cage, à ce démon qui voulait s’échapper. Je songeai à mon Mister Hyde, à cette ignoble créature perverse et assoiffée de sang.
Je songeai à chaque instant de ma vie où elle avait crié révolte, vengeance. Je songeai qu’elle avait presque réussi à se libérer, face à Tiffaine.
Je songeai que je mourrai et je compris qu’elle allait naitre.
Je devais me faner pour qu’elle puisse éclore.
Je devais disparaître pour qu’elle puisse apparaitre.
Je devais être enfermé pour la libérer.
Je mourrai.
Ma femme se retourna dans un sens, puis dans l’autre et balbutia :
— T’es enfin rentré ! Demain tu pourras déposer les enfants à l’école ? Tu seras gentil.
Mes yeux s’ouvrirent en un éclair.
Des yeux rouges cerclés de noir.
4 commentaires
cedemro
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Il y a 4 ans
David Belo
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Il y a 4 ans
Sabrina A. Jia
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Il y a 4 ans
David Belo
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Il y a 4 ans