Fyctia
38 - Quand ça se complique.
La soirée bat son plein. L’alcool coule à flot et les pourboires aussi, pour notre plus grand plaisir. J’en ai même réussi à oublier le costume ridicule que je suis en train de porter: il montre un maximum de peau excepté l’essentiel et je suis également affublée d’une petite paire d’oreille de biche, ainsi que d’une queue. Avant d’y aller, je me suis regardée dans le miroir et j’ai failli renoncer, tant je trouvais ça exagéré. Mais avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, les filles m’ont attrapées et quasiment trainées vers la salle. Heureusement après quelques minutes à être au milieu des clients et à servir coupes de champagnes et cocktails en tout genre, j’en ai presque fini par oublier ma tenue.
Mais malgré la musique et l’ambiance générale qui est plus que festive, je ne peux m’empêcher de penser à Claire. Au regard qu’elle m’as lancé avant de s’en aller: je crois que je ne l’ai jamais vue aussi déçue. Et il y a de quoi, j’imagine.
- Alors comme ça, c’est vrai…
La bulle invisible m’entourant éclate alors que je me suis éloignée du brouhaha pour aller faire une petite pause: mes pieds sont littéralement en train de se transformer en bouillie et j’ai besoin de m’asseoir une minute. Mais manifestement ça ne va pas arriver tout de suite, parce qu’on m’as suivie jusqu’ici. En tournant la tête entre dans mon champs de vision un homme. Il doit avoir la trentaine si ce n’est pas moins. Il est vêtu comme s’il était en voyage d’affaires: Un costume cravate apparemment de qualité qui doit coûter une petite fortune, accompagné de chaussures impeccablement cirées. Il est un peu plus grand que moi -toujours perchée sur mes chaussures montées sur échasses-, les épaules larges, des mains puissantes. La mâchoire carrée, des lèvres charnues…Mais ce qui m’hypnotise au delà de son apparence, ce sont ses yeux. Ils sont d’une superbe couleur bleu lagon, très claire. Ils sont certes cachés derrière des lunettes aux branches noires assorties à ses vêtements, mais semblent encore plus ressortir grâce aux verres qui sont pourtant assez fins.
- Excusez moi?, m’entendis-je demander en me redressant légèrement pour être plus droite.
Il sourit. Un sourire qui fait ressortir une fossette et qui lui donne un air encore plus avenant. Mais quelque chose cloche. Une impression étrange monte soudainement en moi et je me souviens alors des mots d’Adrian: Un requin dissimulé sous une peau de dauphin. Et en le voyant sourire, c’est ce que je perçois. Un requin blanc.
- La rumeur cours comme quoi Levi a embauché une petite nouvelle. Je voulais voir ça de mes propres yeux. Et je ne suis pas déçu.
Je me retiens de lever les yeux au ciel. C’est censé être un compliment?
- Je suis désolée, mais qui êtes-vous?
Il éclate de rire et je recule d’un pas. Je ne suis pas si éloignée de la salle que ça: je peux totalement y retourner et me mêler à la foule. Mais il semble voir que je réfléchis à une manière de m’éclipser et s’approche en faisant un mouvement sur le côté, rétrécissant ainsi mes chances de fuir. Magnifique.
- Je suis un vieil ami de Levi. Nous faisions affaire ensembles, dans le temps.
Pourquoi est-ce que tout ça sonne faux?
- Je vois…Excusez-moi, mais je dois retourner au travail.
Il se contente simplement de me regarder et ne bouge pas d’un centimètre. Mon coeur commence alors à s’affoler: il n’y a pourtant aucune raison de paniquer, mais je ne peux pas empêcher ce sentiment de gène monter en moi. Cet homme est trop étrange, et ça se voit. Son air charmant ne me trompe pas.
- Ne vous inquiétez pas, vous avez bien cinq minutes non?
J’ai envie de refuser, mais quelque chose me dit qu’il ne prendra pas non pour une réponse. J’ouvre tout de même la bouche pour essayer de sortir une excuse quelconque, mais il me coupe dans mon élan en fouillant dans la poche intérieure de la veste de couturier hors de prix qu’il porte. Il en sort une liasse de billet et mes yeux s’écarquillent légèrement lorsqu’il me tends deux billets de cent dollars. Mon regard se durcit et je sens la colère m’envahir.
- Ecoutez, je ne sais pas pour qui ou pour quoi vous me prenez, mais il est hors de question que j’accepte votre argent.
Un de ses sourcils se soulève, mais il se départit pas de son sourire en coin. Bon sang, ce type me sors par les yeux. Je ne supporte pas son petit air narquois et pincé. Il n’a rien à voir avec Levi, qui lui pourrait être facilement plus impressionnant. Non, chez cet inconnu, il y a une noirceur, quelque chose que je n’arrive pas à décrire. Je sais juste tout au fond de moi, qu’il est mauvais, d’une manière ou d’une autre.
- Je voulais simplement vous dédommager pour le temps que je vous fais perdre, c’est tout.
Bien sûr.
- Les clients ordinaires me donnent dix ou vingt dollars pour le temps que je leur accorde.
Là, son sourire s’agrandit, mais il parait un peu plus juvénile, comme si il était vraiment agréablement surpris.
- Vous me voyez comme un client ordinaire?
- Non. Je vous vois comme un homme qui veut payer quelqu’un pour lui parler: je trouve ça un peu triste.
Son visage se ferme un peu et j’ai peur d’avoir franchi la ligne. Ses poings se serrent également, mais il se contente de me regarder, avant que son sourire ne réapparaisse.
- Elijah.
L’inconnu et moi nous tournons ensembles dans la même direction. Levi est là et je ne lui ai jamais vu un air si pincé et si sombre. Bones est à ses côtés, les bras croisés, ce qui fait ressortir ses incroyables muscles. Le dit Elijah sourit de plus belle et dit d’un air enjoué:
- Levi! Ça faisait longtemps!
- Pas assez. Qu’est-ce que tu veux?
- Moi? Rien de spécial. Je voulais prendre de tes nouvelles et comme on m’as dit qu’une nouvelle pouliche était venue remplir ton écurie, alors je me suis dit qu’une petite visite surprise serait la bienvenue!
Je rêve, ou ce type que je ne connais que depuis deux minutes vient de me comparer à un animal? J’enfonce mes ongles dans les paumes de mes mains, sentant le goût amer de l’humiliation et de la colère envahir ma bouche.
- Si c’est moi que tu viens voir, alors n’embête pas mes employées.
Le ton de Levi est certes courtois, mais même moi j’arrive à sentir la menace sous jacente. Ces deux là ne sont pas de vieux amis, c’est clair…Cet Elijah doit forcément faire partie de l’organisation: mais je n’ai pas le souvenirs d’avoir vu un quelconque dossier le concernant dans le colis de Joshua. Je me promets alors de demander à Adrian de vérifier dès que je rentre au manoir.
- Je faisais simplement connaissance, voyons!, lance Elijah d'un faux air guilleret, glissant ses doigts dans ses cheveux noirs gominés mais pourtant coiffés avec style. Et comme toujours, tu as très bon goût. Mais il faudrait penser à lui apprendre à ne pas parler aux clients de cette manière.
Je déglutis et détourne le regard, encore plus excédée. Il a vraiment l’air de croire que je suis une sorte d’animal que l’on peut dresser: c’est tellement dégradant!
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