Blanche de Saint-Cyr Mon frère Vacances

Vacances

L’été fut difficile pour Alejandro. Tout d’abord, les vacances. Nous étions partis camper dans les Landes avec la caravane de Tante Hélène. Les parents nous achetèrent deux tentes igloos à deux places, et Papa déclara :


— Choisissez vous-même qui dort où, changez tous les jours si ça vous chante. Vous bougerez vos matelas gonflables vous-même ou appellerez les déménageurs bretons, mais moi je suis en vacances !


Avec Mina, nous voulions loger ensemble, mais Alejandro craignait de dormir seul dehors, faut dire que les grands pins noirs grinçaient avec le vent. Je constatai qu’en général, il n’aimait pas beaucoup être séparé de Maman. Après quelques hésitations, elle proposa de l’accueillir dans la caravane avec eux. Papa fit la moue comme quand on frappait à la porte de leur chambre, le dimanche matin, qu’elle était fermée à clef et qu’il nous ouvrait quand même. On voyait sa tête apparaître dans l’entrebâillement alors qu’il était tout nu, on faisait semblant de ne pas le remarquer. Je me disais à chaque fois « heureusement qu’Isadora ne traîne pas dans les parages », le pauvre, elle ne l’aurait pas loupé.


Le camping fourmillait d’enfants, mais malgré les progrès d’Alejandro, son français n’était pas encore terrible. De plus, il ne savait pas nager. Alors que je plongeais dans la piscine avec ceux de notre âge, lui évoluait dans le petit bassin avec les amis de Mina. Souvent, il préférait rester près de Maman et contemplait nos jeux d’un air triste. J’en parlais un soir où elle vint me border.


— Pourquoi il est toujours chagrin, Alejandro ? Il est pas content d’être en France, dans notre famille ?


— Il pense aux enfants de l’orphelinat. Quand il les a quittés, il était le plus grand. Il servait de grand-frère à tout le monde, alors il s’inquiète, maintenant qu’il ne peut plus veiller sur eux. En rentrant, nous téléphonerons à Sœur Thereza. Elle pourra lui donner des nouvelles de chacun, je suppose.


Je me serrai contre ma mère. Pauvre Alejandro, Maman avait raison, il avait quand même traversé plus d’épreuves que moi jusqu’ici. Plus que Mina aussi, finalement. Était-ce pour cela que Maman semblait l’aimer plus que nous ? J’avais envie de lui poser la question, mais je n’osais pas. J’avais peur qu’elle me réponde « tu ramènes toujours tout à toi, ne sois pas si… » comment disait-elle déjà ? Ah oui : égocentrique.


En revenant de vacances, nous étions attendus chez Tante Hélène, pour lui rendre sa caravane, mais aussi pour son barbecue annuel, l’occasion de réunir toute la famille en été. La plupart de mes cousins n’avaient pas encore rencontré Alejandro. Dans la voiture, il se tordait les mains, pas pressé de découvrir des nouvelles têtes. À peine débarqué dans le jardin, il fut l’objet de mille sollicitudes.


— Qu’il est beau !

— Tu parles déjà bien français, bravo !

— Nous sommes si contents de te voir.

— Depuis le temps qu’on parlait de toi !


Au début, Mina paradait avec lui.


— C’est mon frère.


Ses yeux brillaient de fierté. Après, elle se lassa et disparut avec Annabelle, notre cousine de son âge, pour organiser un défilé de poupées mannequins. Je me retrouvai seule. Tous étaient si agglutinés autour d’Alejandro que personne ne m’enguirlanda quand je m’enfournai l’énorme saladier de croustilles au fromage. Ma cousine Blandine m’aborda.


— T’as trop de la chance, il est mignon ton frère. Il a les yeux de Bambi.


Je rougis violemment. Elle était bête, Blandine. Puis Maman tapota son couteau sur son verre de bulles, comme dans les films où il y a un mariage.


— J’ai une déclaration importante à vous communiquer. À partir d’aujourd’hui, Alejandro s’appellera Alexandre. Ce changement de prénom lui tient à cœur, alors je vous demanderai de le respecter.


J’étais estomaquée. Franchement, Maman aurait pu nous le dire dans la voiture avant de l’annoncer à tout le monde.


— Au début, c’est pas grave si on se trompe, articula mon frère, gêné d’imposer une règle.


— Bienvenue à Alexandre ! clama Tante Hélène en portant un toast.


Tous reprirent en chœur et les verres s’entrechoquèrent.


— T’étais pas au courant ? me demanda Blandine.


Je devais avoir l’air vraiment abasourdi. Comme si je ne l’avais pas entendue, je filai en direction des fashionistas miniatures. Je trouvais les deux petites en train de parler avec des voix de fausset. Une grande poupée réprimandait un nounours qui avait mangé trop de confiture, refusait de s’essuyer les mains et risquait de pourrir les robes du défilé.


— Mina ? T’as entendu ? Alejandro, il veut qu’on l’appelle Alexandre.


— Ben oui, tu savais pas ? Il pense qu’Alejandro fait pas assez français. Paraît que beaucoup d’enfants de l’orphelinat changent de nom quand ils arrivent ici. Moi j’ai gardé Mina, Maman m’a expliqué qu’elle le trouvait trop mignon, ça aurait été dommage.


— On va t’appeler Minette ! pouffa Annabelle.


Mina éclata de rire.


— Pouark, on dirait un nom de chat !


Je regardais les deux petites avec des yeux ronds. Je me sentais à nouveau exclue de cette famille. On ne m’informait de rien. Je comptais pour du rien. Je m’éloignais rapidement, non sans entendre Mina préciser :


— Moi je veux pas changer, sinon je ne saurai plus qui je suis.


Puisqu’ils se débrouillaient tous si bien sans moi, peut-être devrais-je m’en aller ? Retourner dans Landes, au bord de la piscine. Trouver une nouvelle famille qui m’accueillerait avec plaisir, qui ferait attention à moi. Ici le monde tournait autour du nombril d’Alejandro. Ou plutôt d’Alexandre comme Môsieur désirait qu’on l’appelle désormais. J’étais folle de rage et de tristesse, mais après avoir contemplé la rue par-dessus la haie un moment, je décidai d’aller simplement bouder au fond du jardin.

Papa s’en aperçut et vint s’asseoir à mes côtés. Je me confiai à lui en arrachant des touffes d’herbe. Il tenta de me rassurer.


— C’est vrai, nous devions t’en parler hier soir, puis avec les préparatifs du départ, nous avons oublié. Ça te paraît si grave ?


— Ce n’est pas que ça. Depuis qu’Alejandro est là…


— Alexandre.


— Depuis qu’Alexandre est là, vous ne faites plus attention à moi.


— Je suis désolé que tu penses ça. Nous, de notre côté, on t’aime toujours autant, tu sais. Mais on est sans doute un peu maladroits.


Je ne répondis rien, mais je me sentais déjà mieux d’avoir osé en parler à Papa.


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11 commentaires

Rachelmcz

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Il y a un an

Ombeline semble bien cacher la tristesse qu’elle ressent suite à toute cette situation ! Je ne peux pas voir la mère ! Je trouve ça dommage de sauter si vite les vacances, ce passage est un peu trop rapide alors que tu l’a beaucoup teasé dans le chapitre précédent. Peut être rallonger cette scène ? Le changement de prénom semble être très intéressant, ça semble cacher une immense tristesse de la part de ce petit garçon, il semble se sentir si écarté et perdu ! Son père semble très attentionnée comparé à la mère et j’aime beaucoup ! Ombeline est très touchante

MARY POMME

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Il y a un an

🧡

Katie P

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Il y a un an

Ombline est toujours aussi touchante. J'aime également beaucoup le caractère attentionné que tu as donné à son père, et qui ressort bien dans ces derniers chapitres.

Horliana

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Il y a un an

Ce chapitre est touchant, j'aime bien comme tu décris la difficulté de cette nouvelle arrivée dans la famille

Livre_e

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Il y a un an

Très touchant. Que ce soit Ombeline ou Alexandre qui tente de s'intégrer 🤗

clara_belle

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Il y a un an

Likes d’entraide 💓💓 N’hésite pas à passer toi aussi sur La Flamme dans ses yeux 💓

Dina Johnson

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Il y a un an

Pauvre Ombline :( c'est plus de la maladresse à ce niveau c'est de la négligence !

Carl K. Lawson

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Il y a un an

;)

Louise B.

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Il y a un an

Je n'ai pas grand chose à dire sur ce chapitre. Je comprends les réactions d'Ombline et sa frustration de se sentir toujours exclue. Elle se comprend tout à fait et est donc très crédible
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