Fyctia
02. Quentin – Drôle d’idée
La buée sur le miroir des vestiaires m’empêche d’observer mon reflet. Je passe une paume sur la surface lisse et au fil de mes gestes, je distingue ma chevelure ébouriffée, les contours de mon visage et le haut de mon torse. La serviette entre les mains, je frotte ma tête, puis descends le long de mon cou, essuie rapidement mon ventre avant de la nouer autour des hanches. Si mon corps et surtout mon regard ne reflètent aucun tumulte, dans ma caboche, c’est un sacré festival de questions sans réponses qui tournicotent. Une vraie gonzesse !
Je ne vois pas pourquoi j’accepterais ! Je ne vais pas m’abaisser à… à faire quoi ? Photographier des gâteaux ? Pis quoi encore !
J’ouvre la porte qui sépare la douche des vestiaires et me retrouve nez à nez avec Pierre, déjà entièrement vêtu et qui m’attend, impatient.
— T’en as mis du temps ! Il reste de l’eau chaude pour les autres ?
Je hausse les épaules. Les autres, je m’en fous. Je paie assez cher mon abonnement au club pour profiter d’une bonne douche après mon entraînement, sans que je doive m’inquiéter de la quantité utilisée.
J’enfile rapidement t-shirt, boxer, jeans et chaussettes tout en écoutant mon ami commenter notre dernier échange de balle. Il m’a rétamé… c’est le cas de le dire ! Je vais l’entendre encore longtemps. Je ne devais pas être à mon affaire. Vraiment pas !
— Le perdant offre un verre, il me semble ? me charrie-t-il alors qu’on se retrouve sur le trottoir.
Face à nous, les vitrines se parent de leurs plus belles décorations. Certaines trop clinquantes ou trop chargées, d’autres au contraire apportent la magie que les promeneurs recherchent. Même si je n’aime pas particulièrement le montrer, Noël reste la période de l’année que je préfère. Sans doute liée à mon enfance et les vacances toujours très heureuses passées chez mes grands-parents. Il suffit qu’une odeur de cacao me chatouille les narines pour que je me perde dans ce souvenir presque intact. Celui où le chocolat fondait lentement dans la casserole en compagnie du lait et de l’ingrédient secret que Papy mettait loin des regards. Son secret a disparu avec lui, un matin d’automne, il y a près de dix ans. Plus jamais, je n’ai bu de chocolat chaud de peur d’être déçu.
— J’ai faim. La brasserie en bas de chez moi prépare de bonnes tartes flambées. Ça te va ?
— Tu m’invites ?
Je soupire lourdement avant de répondre :
— À condition que tu retires ta proposition faite à cette demi-folle qui a débarqué à notre table ce midi.
— C’est comme ça que tu parles de ma cousine ?
— Ta cousine ? répété-je surpris. Tu n’as pas vraiment pris le temps de nous présenter, je te rappelle. J’avais à peine fini de partager avec toi mon projet que déjà tu élaborais un plan sorti de je ne sais où avec cette nana. J’ai bien cru que tu voulais juste…
— Me la faire ? termine-t-il avant d’éclater de rire.
Je l’observe légèrement plus détendu. Oui, j’avais eu cette impression, mais comme j’avais passé ma matinée à cumuler les désillusions, je n’en étais plus à une près.
Je suis reporter-photo en free-lance et mes clichés me rapportent suffisamment pour vivre. Je rentre d’un périple en Amazonie avec de véritables petits trésors et aucun magazine n’a daigné s’extasier sur mes images. Ce matin même, j’ai claqué la porte d’une revue soi-disant proche de la nature, respectueuse des mœurs, des peuples, et de leurs employés… mais qui réclamait d’autres cadrages, d’autres lumières, de pouvoir retoucher mes photographies à leur guise. Comme si mes clichés avaient besoin d’être modifiés ! N’importe quoi !
C’est exclu que je brade mon boulot ! Ni en termes d’argent ni en termes de droit et j’en faisais part à Pierre lorsqu’une blonde, pas plus haute que trois pommes a contourné notre table avant de s’exclamer qu’elle avait une idée…
Et quelle idée ! De plus, je ne lui avais rien demandé à cette nana. De quoi elle se mêlait, franchement, surtout en s’immisçant dans notre conversation. J’avoue que je l’avais eue mauvaise !
— Sa coloc’ est adorable et si elle te fait goûter ses pâtisseries, tu ne pourras plus t’en passer. Honnêtement, j’ai jamais mangé un éclair aussi…
— OK ! Elle est douée, et alors ? Je fais quoi moi de ça ? ronchonné-je.
— Flo te l’a dit. Elle pâtisse, tu photographies et tu lui files un coup de main pour sa promo sur les réseaux.
— Et elle me paie avec des paillettes de chocolat ?
— Je croyais que tu voulais faire une pause avec les publireportages et te rapprocher d’un autre public ?
Merde ! Il m’écoutait ! Pourquoi je lui ai balancé ça ?
Même si je cherche à me diversifier pour agrandir mes connaissances, je ne vais pas… Non pas des gâteaux quand même !
14 commentaires
Angel Guyot
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Il y a 4 jours
Thalie C
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Il y a 5 jours
MélineDarsck
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Il y a 4 jours