Seb Verdier (Hooper) Mille et une voix Lundi 03 janvier (2)

Lundi 03 janvier (2)

Et elle démarre fort cette journée ! Mounir m’interpelle juste avant que je n’ouvre ma session informatique : « Hop, hop, hop, on éteint tout, y’a du changement : on passe de l’autre côté du miroir ce matin ! Eh oui, on va aider les filles de la Qualité à l’étage Vulcain, elles sont débordées ». Je dois avoir l’air surpris car il complète : « Oui, allez, on se serre les coudes, c’est parti ». Je ne le sais pas encore à ce moment-là, mais cette incursion « de l’autre côté » sera très intéressante pour moi dans les jours à venir.



Dans leur petit bureau entièrement vitré, donnant, d’un côté, sur la ville et les tours voisines et, de l’autre, sur un open-space fourmillant de chefs de projets, d’analystes, de pilotes de prestataires et de formateurs, les filles de la Qualité m’accueillent chaleureusement : elles sont overbookées et sont super contentes de recevoir un peu d’aide. Elles m’indiquent rapidement un siège, un écran, un casque et m’expliquent très vite les outils que je vais devoir utiliser.


J’arrive cependant, entre deux explications, à leur demander pourquoi je suis là aujourd’hui, je veux dire ici, avec elles. Elles me répondent qu’elles sont sous l’eau en ce moment et qu’elles ont demandé – comme le règlement les y autorise – des renforts du plateau téléphonique. Les superviseurs ont des listes de personnes susceptibles de venir les épauler et Mounir leur a donné mon nom. Ah bon ? Oui ; elles supposent que depuis quelques temps la qualité de mes appels a dû être repérée et, qu’au vu de mon expérience, mon ancienneté, on a dû estimer que j’étais apte à fournir un coup de main aux personnes en charge de l’Assurance Qualité.



Derrière ces deux derniers mots un peu creux, se cache en réalité tout un dispositif redouté par les téléconseillers et les téléconseillères et dont il faut que je vous parle absolument car cela va jouer un grand rôle dans la drôle d’histoire qui m’attend. En effet, tous les appels sont en permanence enregistrés, stockés, écoutés et notés.


Ils sont tout d’abord enregistrés en temps réel (il faut que le client signale au téléconseiller son refus d’être enregistré dès le début de l’appel pour qu’une procédure spéciale soit enclenchée).

Ils sont ensuite stockés, par l’entreprise, au format audio, dans des disques durs, sur ses serveurs, pendant au moins une dizaine d’années (règlementation oblige).


Ils sont également écoutés, par pleins de personnes : par les gens de la formation (eux, ils écoutent surtout les nouveaux pour voir s’ils sont bons pour le service, ils font du monitoring), par les contrôleurs de gestion (qui ont la hantise de la fraude interne et écoutent quelques appels au hasard, le fameux picking) et par les personnes du Service Qualité donc, qui, eux, n’écoutent pas tous les appels bien sûr, cela serait impossible, mais un certain pourcentage, qui varie en fonction des négociations annuelles obligatoires.


Enfin, ils sont notés, car c’est justement là le boulot des experts qualités : écouter et noter la directivité du conseiller, l’exactitude de la réponse apportée, la bonne gestion de la réclamation, mais aussi le respect des phases d’accueil, d’écoute, de reformulation, de réponse, de rebond, et de prise de congés, le tout dans une durée moyenne de conversation inférieure à cinq minutes.

Comme le centre a connu un petit essor dernièrement, les filles de la qualité commerciale sont un peu débordées et les superviseurs leur envoient donc des gens en renfort car le quota d’écoutes mensuel doit absolument être tenu, sinon on ne peut pas noter les gens et on est bien embêté pour calculer leur prime du mois. Pour aujourd’hui, c’est donc moi le renfort ; tout à l’heure il y en aura d’autres, et demain d’autres encore. Bon. Je m’installe et entame mes écoutes, bon gré mal gré, car je n’avais pas prévu de faire cela aujourd’hui et, mine de rien, j’aime bien une certaine forme de routine dans mon travail, dans mes journées.



Le premier appel que j’écoute est un contact reçu la semaine dernière et décroché par Vania – ah je crois que je la connais : une jolie rousse qui travaille dans l’équipe de David, un superviseur pas commode, très à cheval sur les horaires et les pauses. Cela me fait bizarre d’entendre ainsi un client parler sans que je ne puisse lui répondre, quelqu’un superposant sa voix à ce que je voudrais dire. Au bout de quelques phrases, j’arrive tout de même à m’y faire et entame une analyse critique de l’appel : Vania a une jolie voix, suave et traînante, on sent qu’elle sourit ; mais il lui arrive souvent d’oublier des choses essentielles dans le script, elle répond un peu à côté et perd un temps fou à rechercher des infos dans le dossier du client ; elle n’a pas dû encore comprendre que dès qu’on a le nom et le numéro de téléphone du client on les saisit ensemble, dans le logiciel, pour gagner du temps ; et on ne les sépare plus ensuite.


J’écoute ensuite Ophélia, une belle camerounaise, métisse, qui fait un mi-temps chez nous pour payer une partie de son loyer. Elle est vive et directe, elle a un bel accent chantant, mais malheureusement elle raconte beaucoup de bêtises, et avec un air un peu trop sûr de soi, selon moi. De plus, elle prend parfois le chemin du script à l’envers, ce qui lui coûte cher sur sa durée de conversation globale. Elle s’éparpille, se répète. La voix est assurée, mais le ton vire parfois à l’invective ; de plus, quelques cordes vocales ne tiennent pas les aigus et un vilain raclement de gorge vient souvent tout gâcher.


Viens ensuite le tour de Svenn : je ne vois pas qui c’est – peut-être ce petit jeune, un blondinet aux airs d’adolescent, qui est arrivé le mois dernier ? – mais en tout cas sa voix est claire et, même si on sent qu’il fait de son mieux pour paraître plus vieux, elle reste mélodieuse : une voix de vendeur, légèrement enjôleuse, qu’un accent étranger achève de rendre mystérieusement attirante. D’ailleurs, il en use un peu trop à mon goût et essaie trop souvent de placer des options. Je note que l’acharnement commercial est malvenu, et je passe à une autre écoute, à Eliane (une grande brune que je croise parfois dans mon quartier, elle vient de l’Océan Indien je crois), puis à Lise (une petite Belge égarée chez nous, elle dit « allô » au lieu du traditionnel « Assistance Commerciale, bonjour… », c’est amusant), puis à d’autres encore…



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10 commentaires

BStrike

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Il y a un an

Les portraits sont bien brossés, l’écriture est fluide… ça fait du bien 👍

MARY POMME

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Il y a un an

👍😉

Catherine Domin

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Il y a un an

super ! les descriptions sont très justes, car j'ai aussi travaillé dans une plateforme téléphonique, mais heureusement, pendant 6 mois.

Seb Verdier (Hooper)

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Il y a un an

Merci ;) c'est un environnement "particulier" en effet....

JUSTINE MG

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Il y a un an

on débloque ;)

Balika08

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Il y a un an

À jour 😉

Eloïse_f

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Il y a un an

Like de soutien en retour ; )

chiara.frmt

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Il y a un an

<3

Carl K. Lawson

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Il y a un an

un peu de soutien pour cette histoire originale ;D

Gwenaële Le Moignic

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Il y a un an

;-)
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