F.V. Estyer Mille et une couleurs Chapitre 3

Chapitre 3


Raphaël


Assis dans l’herbe, je tends l’oreille pour discerner les bruits alentour. Mes mains sont moites, je les essuie sur mon jean. Je suis tellement nerveux que mon cœur cogne contre mes tempes. J’espère ce moment autant que je le redoute. Je n’arrête pas de m’imaginer la suite de cette soirée. Va-t-il venir ? Va-t-il s’enfuir en me découvrant ? Si c’est le cas, au moins, je ne lirai pas la colère, la déception et la tristesse sur son visage. Je ferme inutilement les yeux et retrace en pensées la courbe de sa mâchoire, les muscles de son corps. C’est fou, malgré tout ce temps, je n’ai rien oublié. Je crois qu’il me suffirait de le toucher pour savoir que c’est lui. Qu’il suffirait de le sentir pour le reconnaître. Je me demande si c’est également son cas, ou s’il a fini par me remplacer. Rien qu’à imaginer un autre homme entre ses draps, son corps ondulant contre le sien, imaginer qu’il puisse crier un autre nom que le mien alors que l’orgasme l’emporterait, ça me rend malade. Je suis injuste, mais c’est plus fort que moi. Je voudrais avoir été le seul à partager son lit, à entendre ses soupirs et ses gémissements, à me gorger de l’odeur de sa peau et à profiter de la chaleur de son corps, de l’éteinte rassurante de ses bras.

Je remonte mes genoux, pose mon menton dans le creux, et pousse un soupir.

Je tente de refouler mes craintes, de taire ma peur, de positiver. Il va venir. Il va venir. Il va venir. Je me répète ces mots tel un mantra, comme si par la seule force de mon esprit, je pouvais l’obliger à me rejoindre.

Et j’attends.

Tristan


— Continue d’avancer, il y a un espace libre là-bas, je te rejoins, je dois essayer de trouver mon amie.

Bon sang, mais à quoi il joue ? Je ne l’ai jamais vu comme ça. Il semble nerveux, ça ne lui ressemble pas. En temps normal, je ne connais personne de plus détendu que mon frère, ce qui me rend de plus en plus suspicieux.

— T’as peur qu’elle te plante ? je demande, un brin moqueur.

Il m’assène une tape sur le crâne et me traite d’abruti, puis il me plante là avant de s’éloigner.

Je secoue la tête, décidant de ne pas m’attarder sur ses bizarreries, et reprends ma marche.

Je fais deux ou trois mètres avant de m’immobiliser brutalement.

Je cligne des yeux, persuadé d’avoir rêvé. Persuadé d’être victime d’un foutu mirage, ici, en plein milieu de la foule, de la musique et des bruits de pétards balancés sur le sol.

Mais lorsque je les pose de nouveau devant moi, rien n’a disparu.

Il est là, assis dans l’herbe. Seul. Et je cesse de respirer.

Ses doigts enfoncés dans le sol, il arrache des brins d’herbe. Il est nerveux, je le sens. Je le sais. Après tout, je le connais par cœur. Connaissais. Ouais, j’ai l’impression de tout conjuguer au passé ces derniers temps.

Et alors je comprends. Mon frère, sa mise en scène. Je me rends compte que sa mystérieuse amie ne peut être personne d’autre que Marina.

Je voudrais retrouver cet enfoiré et le traiter de tous les noms, je voudrais le frapper de toutes mes forces pour avoir concocté ce piège.

Un piège qui n’en est pas vraiment un. Après tout, il me suffirait de tourner les talons, et jamais Raphaël ne saurait que je suis venu. Jamais il ne saurait que je l’ai vu. Que je suis resté là, immobile, à l’observer, à laisser mes yeux s’égarer sur chaque parcelle de son être et de noter tous les petits détails qui ont changé : ses cheveux plus longs ; sa barbe désormais rasée, son corps plus frêle. Jamais il ne saurait que j’ai remarqué qu’il portait sa chemise bleue, celle qui lui va si bien, qui laisse deviner ses épaules minces et son ventre plat.

J’ignore combien de temps je demeure prostré à quelques mètres de lui. À tenter de calmer les battements affolés de mon cœur, à essayer de respirer doucement.

J’hésite sur la marche à suivre. Dois-je le rejoindre ? Dois-je m’en aller ? Est-ce une seconde chance ? Cela en vaut-il la peine ? Suis-je prêt à souffrir encore pour cet homme qui a empli mon cœur de chaleur avant de me l’arracher ? Suis-je prêt à revivre tout ça ? À ressentir cette douleur atroce qui, bien que sourde, est toujours présente ? Et surtout, suis-je prêt à l’aimer de nouveau ?

Oui. Oui, parce que je n’ai jamais cessé. Pas une seule minute. Pas une seule foutue seconde. Je l’ai aimé comme je n’aurais jamais pensé en être capable : fort et passionnément. Trop fort et trop passionnément, sûrement. Pourtant, je crois que ça en vaut la peine.

Et ce sont les jambes légèrement chancelantes que je décide de le retrouver.

Raphaël

Je me fige en sentant une présence juste derrière moi. Je ne tourne pas la tête. À quoi bon ? Au lieu de ça, je laisse le vent nocturne charrier les odeurs jusqu’à mes narines. Lorsque l’effluve de son parfum parvient jusqu’à moi, je prends une profonde inspiration, comme un camé avec un rail de coke.

Je ne bouge pas d’un pouce, je reste immobile, le cœur battant à tout rompre, me demandant ce qu’il va faire. Sait-il que j’ai deviné sa présence ? Va-t-il combler les quelques pas qui nous séparent l’un de l’autre ?

Je cesse de respirer lorsqu’il finit par s’asseoir près de moi. Si près que je sens sa chaleur. Si près qu’il me suffirait de tendre à peine le bras pour le toucher.

Le toucher. J’en ai tellement envie que j’en crève. Je m’abstiens pourtant, ignorant de quelle manière réagir. Dois-je parler ? Dois-je m’excuser ? Dois-je lui balancer tout ce que j’ai sur le cœur, pour ne pas avoir de regrets, s’il décide de me planter là ? Pour me persuader que j’avais out essayé ?

J’ouvre la bouche et la referme quand j’entends la musique classique monter dans les airs.

Trop tard. Le spectacle va commencer.

Il ne dit rien non plus, et lorsque les premiers feux éclatent dans le ciel, je me surprends à sourire.

Je le connais si bien que je n’ai aucun mal à me l’imaginer, le nez rivé au ciel, les yeux écarquillés, en train de se délecter du jeu de lumière qui embrase la nuit.

Ça éclate de toute part, mes oreilles bourdonnent sous le bruit violent. Des enfants pleurent, des parents les rassurent, des gens s’émerveillent et gloussent. Et moi je reste là, près de lui, immobile, essayant de contrôler mes tremblements.

Bizarrement, je n’ai pas besoin de mots. Et même si je meurs d’envie d’entendre sa voix, sa seule présence suffit pour l’instant à me combler.

Un feu plus bruyant que les autres me fait sursauter. Il se rapproche de moi. Nos peaux se frôlent, et la mienne se couvre de chair de poule.

« N’aie pas peur, je suis là. Je suis avec toi » semble-t-il dire.

Ma main tâtonne timidement à la recherche de la sienne, et lorsque nos doigts s’entrelacent, j’ai l’impression que mon cœur va exploser.

Je me rapproche de lui, me colle contre son corps. Il me laisse faire, me laisse me pelotonner tout contre lui.

Comme avant.


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3 commentaires

Cirkannah

-

Il y a 9 mois

waouh qu'il est beau ce chapitre tellement d'émotions!!!!!

lisa3375

-

Il y a 9 mois

très beau

Sauzay

-

Il y a 9 mois

🥰
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