Julie-anne bastard Mieux vaut motard que jamais Que les ennuis commencent !

Que les ennuis commencent !

― J'ai un mec.

Ma mère suspend son geste, et laisse retomber dans son assiette la fourchette qu'elle s'apprêtait à porter à ses lèvres. Je lui cloue le bec. Trente secondes. Son front se plisse, ses narines se dilatent. Les rides au coin de ses yeux sombres s'accentuent, un signe chez elle d'une très grande réflexion. Elle me jauge, cherche ses mots, les trouve et passe à l'offensive. L'interrogatoire peut commencer. Ce qu'elle ignore, c'est que je suis prête.

― Ah oui ?

― Ah oui.

Son ton ne me plaît pas, mais alors là, pas du tout. Je ne sais pas si ce qui me fait le plus mal, c'est son incrédulité ou le sarcasme latent de sa question. Quoi qu'il en soit, ma mère doute de ma capacité à me trouver un amoureux et ça m'énerve. C'est ma mère, elle devrait me faire confiance. « C'est peut-être justement parce que c'est ta mère qu'elle sait pertinemment que tu as plus de chance de te casser une jambe que d'avoir rencontré le grand amour », raille ma conscience. Ce n'est quand même pas de ma faute si les mecs dignes d'intérêt ne courent pas les rues. Franchement, je suis sûre que c'est statistiquement plus facile de gagner au loto que de tomber sur le bon numéro ! Les mecs bien sont ou déjà en couple ou cachés au fin fond d'une grotte, car personnellement, je ne les ai jamais vus. Par contre, ceux que j'ai eu « le privilège » de croiser sont quasiment tous vicieux, retors, pervers, narcissiques, imbuvables. Je me réserve le droit d'allonger cette liste qui est loin d'être exhaustive. C'est donc en pleine connaissance de cause que j'ai décidé de faire une pause, une très longue pause, une très très longue pause. Surtout à l'échelle de ma vie. Deux ans, c'est long. Cette abstinence prolongée a eu le mérite de me permettre de me consacrer à ce qui importe vraiment, à savoir les soirées canapé-thé-livre, mon apprentissage du tricot et mes cours de Zumba. Comme je n'ai toujours pas la silhouette de Jennifer Lopez et que je n'ai pas dépassé un troisième rang de mailles, il est facile de deviner laquelle de ces trois activités est ma distraction favorite. Je crois que depuis quelques mois, mon vieux canapé rouge Backabro d'Ikea est même devenu mon meilleur ami. C'est avec lui que je passe le plus clair de mon temps libre. Il a le mérite d'être à la fois fidèle et présent, qualités dont mon dernier petit ami était foncièrement dépourvu. Mon ex était un pauvre mec, ce qui fait probablement de moi une pauvre fille. J'ai cru à toutes les fadaises qu'il pouvait me débiter. (Qu'est-ce que j'ai été stupide ! ) Je le croyais obnubilé par son travail et son désir d'ascension sociale, alors qu'en réalité, il était surtout intéressé par ses parties de jambes en l'air avec sa secrétaire. Son bureau lui servait davantage à satisfaire une libido débridée, plutôt qu'à travailler. Il m'a trompée pendant des mois. Et encore s'il n'avait jeté son dévolu que sur sa secrétaire ! Je lui ai pardonné son aventure avec cette dernière, puis la suivante. C'est pourtant quand je l'ai surpris avec une de mes amies que j'ai compris qu'il fallait que je me réveille. Et vite. Il n'allait pas changer, moi si. Aucune envie de devenir la fille la plus cocue de la capitale, il y a des limites à mes ambitions de notoriété. Malade comme un chien, j'avais quitté le boulot un peu plus tôt en cette froide journée de févier. J'avais ouvert la porte avec une seule idée en tête, m'emmitoufler dans une couette, avec une tasse de thé brûlant et un livre quand j'ai eu la désagréable surprise de trouver mon cher et tendre et ma copine Lydia, vautrés sur le tapis du salon. Sur Mon tapis dans Mon salon. Mon sang n'a fait qu'un tour et je les ai poussés dehors, à moitié nus, en plein hiver. Fin de la plaisanterie. Ils peuvent s'estimer chanceux que je n'ai pas réussi à remettre la main sur mes ciseaux de cuisine ! Il y a des règles dans la vie auxquelles on ne doit déroger, et ce sous aucun prétexte, sinon c'est le bordel : on ne couche pas avec le mec d'une de ses amies figure en bonne position, juste après on ne doit pas tuer ses parents, je crois. Ils ont eu beau frapper à la porte, hurler, tenter de me soudoyer. Rien n'y a fait. Ma porte est restée close. Ils peuvent cependant me remercier de ne pas avoir mis le feu à leurs affaires que je me suis contentée de jeter par la fenêtre. J'ai retrouvé ma dignité, mais il était trop tard pour mon cœur. Il n'a pas survécu. Piétiné, fracassé, réduit en miettes. J'étais désespérément et incroyablement amoureuse de lui. Pathétique. Mais ça, c'était avant ! Du temps où je croyais aux princes charmants, au mariage et à tout le tralala. Maintenant mes amoureux sont Earl Grey, Backabro et Jane Austen. Et je sais qu’eux ne me décevront jamais. Et je suis très heureuse, comme ça, merci bien.

― Ah oui.

Pas le choix. Je me défends. Je me répète. Ma mère sourit, et ce sourire ne me dit rien qui vaille. Je sens que mon ego va encore en prendre un coup, mais je m'entête. Vous allez penser que mon vocabulaire est fort limité, mais je vous rappelle que je suis en grande conversation avec ma mère. Cela relèverait du miracle que j'aie le dernier mot. À moins que... Elle ne réagit pas, ou plutôt pas de la façon dont je le souhaiterais puisqu'elle reporte toute son attention sur son assiette de poulet rôti. Elle déguste lentement une nouvelle bouchée. Je suis prise d'une soudaine envie, certes non avouable, de lui enfoncer un os en travers de la gorge. Qu'elle s'étouffe avec son silence ironique !

― Tu as vu que Lebourg a installé un nouveau nain dans son jardin ?

Finalement, je crois que je préférais quand elle se taisait.

― Maman, tu as entendu ce que je viens de dire ? dois-je m'inquiéter ? Démence sénile ? Alzheimer, peut-être ?

Si elle croit que je vais me laisser faire et l'écouter raconter les aventures du nain de monsieur Lebourg, son voisin ventripotent, c'est qu'elle ne me connaît pas.

― Ma chérie, je sais que ton célibat te pèse, mais...

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9 commentaires

bluebutterfly

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Il y a 6 ans

Super chapitre. J’ai beaucoup aimé et j’ai bien ris aussi. Les hommes ça ne court pas les rues. Et sa mère olala je sens que je ne vais pas bcp l’aimer !

Kandly Spense

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Il y a 6 ans

Top ! J'aérerais un poil plus le texte en créant des paragraphes mais sinon j'adore !

Ludivine Delaune

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Il y a 6 ans

j'adore ! ton titre, ton résumé ton premier chapitre aussi !!

Trotel Elga

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Il y a 6 ans

Le titre m'a particulièrement intriguée et le premier chapitre a été un bon moment

Virginie gr

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Il y a 6 ans

La suite, la suite ! Il est temps de se lever et de se mettre au travail lol

alice78

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Il y a 6 ans

Mentir ce n'est pas bien ;-)

Amelia Pacifico

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Il y a 6 ans

Hello ! J'aime beaucoup ton entrée en matière, hâte de lire le deuxième chapitre. Amelia

Jc Staignier

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Il y a 6 ans

Génial !

CATHCOEUR

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Il y a 6 ans

Bon vent ! C'est super Julie-anne
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