Serenissime Metal Hurlant Blue on black

Blue on black

Une autre longue journée de lycée qui s’achève. Après avoir rabattu la capuche de mon sweat sur ma tête, j’enfonce mes écouteurs dans mes oreilles. Ils sont tellement usés que le mini-jack commence à se dessouder. Il faudrait que je m’en rachète, mais j’ai tendance à oublier. Je perds un peu la mémoire ces derniers temps.


Je lance ma playlist spécial métal et sursaute car le son sort à fond du téléphone. Je revisse correctement le jack et la musique se déverse dans les écouteurs avec quelques crachotis. A quelques pas de moi, un grand-père me fixe d’un air mauvais en marmonnant. Les seuls propos que je comprends sont « mauvaise fille » et « musique du démon ». Encore un gentil papy puritain, décidément. Qu’y a-il de mal à écouter des chants mélodieux mais un poil violent ? Je soupire.


C’est fatiguant, ces gens qui pense que métalleux et métalleuses scarifient automatiquement des poussins à la pleine lune. A titre personnel, l’odeur du sang me donne envie de vomir. Et mon tonton, qui m’a initiée au heavy métal, n’en parlons pas… il s’évanouit presque en s’écorchant le petit doigt.


Je secoue la tête et avance. J’en ai pour un petit quart d’heure avant d’arriver chez moi. Mon lycée et la maison de mon oncle sont situés d’un bout à l’autre de Roquefort-au-mont-d’or, petite bourgade de la lointaine banlieue lyonnaise au nom plus que fromagesque. Habitants et habitantes se nomment roqueforoites, c’est pour dire. Heureusement que j’aime la raclette.


Les voitures se raréfient tandis que je grimpe une petite colline. Quelques temps plus tard, j’ai presque l’impression de sortir de la ville : le béton a laissé la place à un grand espace vert, au milieu duquel se dresse une immense villa et un petit bois en contrebas.

Je sors mon badge et passe le portail, aussitôt accueillie par Lucifer, notre petit shiba inu. Son nom montre que mon oncle à un drôle d’humour : selon lui, les touffes de poils rousses de notre chien lui font vivre un enfer… Petite, je rêvais d’un husky, ce qu’il m’a toujours refusé étant donné que nous ne sommes pas assez présents à la maison pour nous nous en occuper. Mais bon, Lucy me convient très bien, depuis cinq ans, je suis habituée.

Je traverse le jardin, ma bestiole préférée sur les talons et constate que la vieille voiture de mon oncle est devant le garage. Il a dû finir tôt, pour une fois !

J’entre directement par la porte vitrée de la cuisine et le voit penché vers le four. Une odeur familière me monte aux narines.


— COOKIE ! J’hurle.


Mon oncle se relève et redresse ses lunettes rondes, encore pleines de farines. Il en profite pour baisser le volume de la radio qui déverserait une musique de hard rock à fond dans toute la maison.


— Tu pourrais au moins dire bonjour, gamine ingrate.


Je pose mon sac à terre et m’installe sur un des tabourets du bar face à lui, souriant de toutes mes dents.


— Bonjour tonton. J’ai faim.


Mon estomac gronde pour me donner raison. La commissure de ses lèvres se redresse.


— Bon, on va dire que ça va pour cette fois.


Je trépigne lorsqu’il soulève le torchon sur le plan de travail, dévoilant un cookie géant. Je ne peux m’empêcher de le toucher. Il est pile tiède, la température idéale ! Sans autre cérémonie, je le coupe en deux moitiés égales, lui en tend une et garde la seconde.


— Bon appétit ! me lance-t-il.

— De même ! je réponds.


Après avoir engloutit nos parts respectives, mon oncle s’installe sur le tabouret à côté du mien.


— Alors, ta journée ?


Je soupire.


— Longue, comme d’habitude. Et j’ai eu une bonne note en maths, heureusement que Sophie m’a aidée à réviser.


Une vraie tête cette fille. Enfin, tant que ça ne ressemble pas de près ou de loin à du français. Tonton hoche la tête puis frotte sa barbe rousse. Parfaitement taillée, son tissu de poils fait sa fierté. Même si je trouve ça très classe, j’ai toujours du mal à comprendre son obsession là-dessus.


— Et toi ? Je lui demande en me léchant les doigts.


Il lève les yeux au ciel.


— Si tu savais !


Je ris.


— Ta star préférée à encore fait sa diva ?


Il gémit.


— Il a demandé une piscine à boules dans sa loge. Et, évidemment, impossible de lui en trouver une dans le bled où il est en tournée. Il aura ma peau, je te jure…


Je souris. Tonton est directeur d’un label de musique lyonnais qui marche plutôt bien. Ce qui explique l’immense maison en périphérie. Il ne m’a jamais dit combien il gagne, mais en comparaison de mes camarades, je crois que j’appartiens à une famille plutôt riche. On a trois toilettes rien qu’au premier étage, c’est pour dire.

Évidemment, mais à part Sophie et Ewan, personne n’est au courant au lycée. Pas besoin d’avoir une raison de plus pour me faire martyriser. Ou pire, courtiser par profit. Je retiens une grimace.

Et, pour finir, mon oncle se tape une floppée de star de rock et de métal, plus tyranniques les unes que les autres. J’ai pu en rencontrer quelques-unes, mais pas la pire.

Je regarde l’heure sur le four et manque de m’étrangler.


— Tonton, c’est déjà dix-huit heures !


Il me fixe, désespéré. Tous les mardis, j’ai cours de muay thai à l’autre bout de la ville. Et presque tous les mardis, je suis en retard.


— C’est bon, j’ai compris, on y va en voiture…


Je souris et détalle vers ma chambre, au premier étage.


— Mais tu fais vite, sinon je te laisse crever sur ta moto cassée ! crie-t-il à l’autre bout du couloir.


Récupérant à la va-vite mon sac de sport et mes protections, je ris. Avec sa tignasse rousse qui part dans tous les sens, son goût prononcé pour les musiques bizarres et son humour très noir, les gens le prennent pour un démon. Moi, je trouve que j’ai vraiment un super tonton.


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19

19 commentaires

Camille Jobert

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Il y a 5 ans

Il est cool le tonton, un brin loufoque !

Emmanuelle TZ

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Il y a 5 ans

J ai le bcp l ambiance qui se dégage déjà du récit 🙂 je poursuis...

Charlie L

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Il y a 5 ans

Ca me plait cette histoire de groupe de rock. J'espère qu'elle va se trouvé un beau bassiste (pas toujours des chanteurs) qui va collé une raclée à Hector

Serenissime

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Il y a 5 ans

Autant prendre un batteur, c'est les plus sous-estimé ha ha , et la raclée à Hector elle va lui mettre toute seule ;)

Gabriele VICTOIRE

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Il y a 5 ans

l'ambiance est rassurante ! pour l'instant... ;)

Serenissime

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Il y a 5 ans

Ca changera un poil après ; )

MarinaM

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Il y a 5 ans

Les préjugés ont la vie dur tu le montre bien !! Bon chapitre 😊

Lou.R.Delmond

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Il y a 5 ans

J'ai adoré ce chapitre ! Tes personnages sont très attachants, et le texte est tour à tour drôle, touchant et un peu triste/mélancolique. J'ai vraiment, mais vraiment hâte, de lire pleeeeiiinnns de chapitres !

Serenissime

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Il y a 5 ans

Merci de ton commentaire ! Je vais tenter d'en sortir plein alors et de dépasser le chapitre 10 cette fois ha ha

Landry

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Il y a 5 ans

Très bon début ! Ton personne principal détonne complètement de la normalité de par son caractère, son apparence et ses goûts. Elle ainsi que ses deux amis qui, de par leur physique/handicap, sont encore tabous, malheureusement, au sein de notre société. Ton écriture est toujours très agréable à lire, comme d'habitude. J'ai repéré quelques petites fautes mais je pense que c'était plus des fautes d'inattention qu'autre chose. Mais je te rassure: rien de gênant ! Dans tous les cas, Deirdre est déjà très attachante, et on veut en découvrir davantage sur elle et sa vie. Et en tant que "métalleuse", je ne peux qu'approuver ses goûts musicaux. :D Vivement la suite ! Je vais suivre ton récit de près. ❤
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