Fyctia
Les noces de porcelaine (2)
Lorsque je montais dans la voiture, un petit objet que je ne connaissais que trop bien m’attendait sur la banquette arrière.
J’observais la boule à neige, songeuse.
Ronde, transparente et brillante, elle n’avait pris aucune égratignure au fil des années, contrairement à nous deux.
Elle était cet immuable sur lequel le temps semblait ne pas avoir de prise.
Comment avions-nous pu laisser un objet si futile prendre une telle importance dans notre quotidien, voire même dans notre relation ?
Et si elle n’existait pas, dis-moi pourquoi nous existerions ?
***
La voiture roulait en direction de la salle des fêtes, un calme pesant régnant dans l’habitacle.
- Ça va ? demandais-je à Guillaume en chuchotant.
- Hum… me répondit-il, vaguement.
Je le dévisageais, en rogne.
Vous avais-je déjà dit que je ne faisais jamais les choses à moitié ?
Non ? Eh bien, sachez que j’étais plutôt le genre de personne à aller au bout de ce que j’entreprenais - le déclenchement de l’alarme incendie pouvait en témoigner - alors il n’allait très certainement pas s’en tirer avec une pseudo demi-réponse qui tenait plus du borborygme que d’un alexandrin digne d’une pièce de Racine.
“On ne m’abuse point par des promesses vaines
Tant qu’un reste de sang coulera dans mes veines” (Iphigénie).
Autrement dit, je n’allais pas lâcher le morceau - Guillaume - de sitôt.
- Hum ?! Ça veut dire quoi ça ? insistais-je.
Son regard balaya longuement le dos du conducteur de la voiture avant de répondre doucement :
- On en reparle en arrivant, OK ?
Sujet délicat.
Je hochais la tête pour acquiescer.
Quand la voiture s’arrêta, Guillaume descendit pour contourner le véhicule et m’ouvrir la portière.
- Après vous, Madame…
Je gloussais, toujours immobile sur mon siège, en le regardant s’exécuter.
- Si Madame veut bien s’en donner la peine, ajouta-t-il, avec son fameux sourire en coin.
Il me tendit sa main que j’attrapais avec soulagement.
En effet, j’étais peu coutumière de la robe de soirée et des talons et son aide était la bienvenue.
Je glissais la boule à neige dans ma pochette avant de passer mon bras sous le sien.
Guillaume me regardait du coin de l'œil tandis que nous avancions vers l’entrée de la salle.
- Ça te va bien, me dit-il.
- De quoi ?
- Ta robe, tes cheveux, tout… T’es vraiment jolie aujourd’hui, habillée comme ça, ajouta-t-il, fier de lui.
Je me stoppais quelques secondes, la mine sérieuse.
- Donc tu sous-entends que d’habitude, ce n’est pas le cas…
Il souffla.
- Marion, t’es chiante !
- De mieux en mieux…
Je voyais l’embarras se dessiner sur son visage au fur et à mesure de notre échange.
- Ecoute, oublie ! J’essayais juste de te faire un compliment…
Je le regardais, l’air sévère alors qu’intérieurement, je jubilais.
- Bon, ça passe pour cette fois. Mais t’as intérêt à faire attention, la prochaine fois !
Son regard se fit plus perçant quand il comprit que je le taquinais.
- Et puis, entre nous, tu n’es pas mal non plus, dans tes habits du dimanche ! ajoutais-je, pour l’achever.
Il éclata de rire avant de se pencher pour m’embrasser sur la joue.
- Ah Marion… Que ferais-je sans toi ?!
Bizarrement, avec ce petit geste d’aspect assez anodin, c’était moi qui faisais nettement moins la maligne maintenant…
La salle était somptueuse et décorée avec soin.
Ma mère avait toujours eu beaucoup de goût et une fois encore, elle avait exercé son talent avec maîtrise.
Je respirais un bon coup avant d’affronter la foule des convives.
Même si je connaissais la grande majorité des invités, je n’étais jamais trop à l’aise dès que le nombre de personnes qui m’entourait dépassait mes dix doigts - et encore !.
Guillaume vint poser sa main sur la mienne lorsqu’il sentit que je serrais son bras avec le trac.
- Ça va aller, Marion.
- Je déteste la foule…
- Je sais mais je reste avec toi, ne t’en fais pas.
Des petits frissons me parcoururent lorsqu’il énonça cette phrase.
Je me tournais vers lui.
- Mais bientôt, tu partiras…
- Je sais, Marion, je sais mais pas tout de suite… On a encore un été devant nous avant la rentrée...
Cette révélation me fit prendre conscience de deux choses.
La première était qu’il nous restait deux mois entiers pour passer du temps ensemble.
La seconde était qu’il ne nous restait que deux mois pour profiter l’un avec l’autre.
Mon cœur se pinça bien plus fort qu’il ne l’aurait dû.
***
La fête battait son plein et Guillaume et moi avions été relégués à la table des enfants.
Dix-sept ans, c’est vraiment l’âge bâtard où on te demande d’être un adulte pour tout un tas de choses mais dès que les gens en ont l’occasion - ou que ça les arrange - ils te propulsent ni vu ni connu dans la case des enfants.
Pourtant, ça faisait bien longtemps que Guillaume et moi ne mangions plus de Happy Meal.
J’avais déposé la boule à neige entre nous deux, sur la table.
Et tandis que je la retournais pour combler l’ennui, je lui demandais :
- C’est quoi le problème avec ton père ?
Il souffla.
- Toujours la même chose… Il attend beaucoup de moi et ce que je fais n’est jamais assez bien pour lui…
- Guillaume…
- J’ai pas tellement envie d’en parler…
- Mais Guillaume…
Il arracha la boule à neige de mes mains en souriant.
- Tiens, lance-moi un défi, ça me changera les idées !
- Je ne suis pas sûre que ce soit ni le lieu, ni le moment…
- Marion, s’te plaît ! Ce sera certainement notre dernière bamboche ensemble avant un moment…
Je réfléchis avant d'accepter.
Il avait raison. La prochaine fois qu’on serait réunis, ce serait certainement à Noël.
- D’accord Guillaume. Mais laisse moi un peu de temps pour trouver une idée…
Il regarda son verre, rempli d’eau gazeuse.
- Tu ne trouves pas que ça manque un peu de fantaisie dans nos verres ?! Je veux dire toute cette eau gazeuse, c’est d’un ennui…
Je jetais un œil aux alentours, sur les tables vidées de leurs convives, trop occupés à se déhancher sur la salsa du démon.
Je reprenais le globe, avant de le secouer pour faire tomber la neige à l’intérieur.
Guillaume m’observait, cette petite lueur démoniaque dans les yeux, déjà impatient d’en découdre avec mon pari.
- OK, t’es prêt ?! Marion a dit : Cap de finir tous les verres de vin entamés sur les tables pairs.
Le visage de Guillaume s’illumina face à ce défi.
Il se leva, avant de se tourner une dernière fois dans ma direction, rayonnant.
- Merci Marion pour cette masterclass… Et cap évidemment !
Et la valse des verres commença.
Une valse à mille verres,
Qui s'offre encore le temps
De s'offrir des détours
Du côté de l'amour
Une valse à mille verres
C'est beaucoup moins dansant
Mais tout aussi charmant
Qu'une valse à trois temps
Une valse à mille verres
Une valse à dix-sept ans
C'est beaucoup plus troublant
Mais beaucoup plus charmant
Qu'une valse à trois temps
Une valse à mille verres
Offre seule aux amants
Trois cent trente-trois fois le temps
De bâtir un roman.
Rapidement je le rejoignis pour danser cette valse endiablée qui malheureusement, ne passa pas inaperçue aux yeux de notre entourage.
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LouiseLysambre
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Mira Perry
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